11/11/2011
Carte blanche à Hitler
Que faire contre le diable quand on est un jeune prêtre ? Que faire contre le diable quand il s’appelle Hitler, et que le « Vicaire du Christ » sur terre, c’est-à-dire le pape Pie XII, prétend que le diable, c’est Staline et qu’il faut ménager Monsieur Hitler ? Comment arrêter les crimes contre le peuple juif ?
Les personnages de Rolf Hochhuth, les faits dont il s’inspire pour sa pièce, Le Vicaire, sont authentiques. Paul Claudel n’écrit-il pas que « les horreurs sans nom et sans précédent commises par l’Allemagne nazie auraient mérité une protestation solennelle du Vicaire du Christ. » Au moment où son successeur (Benoît XVI) engage le processus de béatification de Pie XII, il est capital de se souvenir de ces atermoiements qui désespérèrent les vrais chrétiens.
Jean-Paul Tribout signe une mise en scène d’autant plus puissante qu’elle étonne de simplicité et de sobriété. Les comédiens sont graves et justes.
On a bien sûr en mémoire le film de Costa-Gavras, Amen (2002), et ses reconstitutions historiques.
Le décor d’Amélie Tribout est unique, constitué de panneaux métallisés, brillants, gris sombre. On retrouve cette couleur anthracite dans les costumes d’Aurore Popineau. Même costume de clergyman, pour tous les protagonistes, un insigne, une calotte, une croix les distingue, tous pareilllement sombres, sauf le pape.
L’effet est garanti quand Pie XII tout de blanc vêtu apparaît, au centre des protagonistes qui attendent un mot de lui pour agir.
Impavide, l’homme aux petites lunettes rondes se considère « innocent du sang versé ». Successeur de saint Pierre ? De Jésus ? Plutôt d’un certain Ponce Pilate qui s’était lavé les mains en livrant le Christ à ses bourreaux…
En hommage à ceux qui eurent pitié des martyrs, allez voir Le Vicaire.
Photos : © Lot
Le Vicaire de Rolf Hochhuth, publié au Seuil
Adaptation et mise en scène de Jean-Paul Tribout
Théâtre 14
01 45 45 49 77
Jusqu’au 31 décembre
18:29 Écrit par Dadumas dans Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, histoire, littérature, théâtre 14, jean-paul tribout | Facebook | | Imprimer
06/11/2011
Amour glacé
Autour du mythe de la fille perdue, et du même personnage, Lulu, Frank Wedekind a écrit trois pièces : La Boîte de Pandore (une tragédie monstre), L’Esprit de la terre, et La Boîte de Pandore (tragédie en trois actes). Pabst s’en est inspiré pour le cinéma, Alan Berg pour un opéra qu’il laissa inachevé. Aujourd’hui, Robert Wilson en donne une version dans laquelle Lou Reed, a écrit une nouvelle partition pour le Berliner Ensemble.
Le drame de Wedekind s'ouvre sur une parade grotesque d'hommes de tous âges : le vieux Schigolch (Jurgen Holtz) grimé comme le clown Grock, et les autres, sortis d’un film muet en noir et blanc (Murnau et Chaplin), le Dr Goll (Georgios Tsivanoglou qui sera aussi Rodrigo), Schönning (Alexander Lang), son fils Alwa (Mackus Gertken) Schwartz (Ulrich Brandhoff), Ferdinand (Marko Schmidt), Hopkins (Alexander Ebeert), pantins que la belle Lulu (Angela Winkler) rend fou de désir.
Elle leur cède, avide de plaisir et d’argent, dans un univers cosmopolite, jusqu’à la fatale rencontre de Jack l’éventreur (Christian Lober), l’assassin des rues de Londres. Le voyage de la belle passe aussi par Paris, où elle entraîne sa cohorte d’amants et sa fidèle amie la comtesse Martha von Geschwitz (Anke Engelsmann). Quand « on ne voit pas les lèvres, on ne voit que des baisers », peut-on parler d’amour ? Elle n’est finalement qu’une « chienne sanguinaire », « une salope », et ce qu'elle vend est « un amour glacé » ! Nul n’aura compassion de cette femme.
Les couplets caustiques, rageurs, sont accompagnés par Dominic Bouffard (guitare), Ulf Borgwardt (clavier et violoncelle), Friedrich Paravicini (bugle, violoncelle, harmonica), Ofer Wetzler (basse), dirigés par Stefan Rager. Un petit magasinier en blouse grise, Ruth (Ruth Gloss) les marmonne en trottinant, petite touche comique dans cet espace violent et sombre.
Le monde de Robert Wilson est expressionniste. Tubulures et lampes se détachent en contre-jour sur un fond translucide. De rares touches de couleur cinglent le décor en noir et blanc. Ce sont les longs gants verts de Lulu, la robe rouge de la femme fatale. Les tissus lamés accrochent les lumières (crées par Wilson).
Le spectateur est subjugué par la beauté. Il en oublie l’intrigue, et se perd un peu dans les péripéties. L’émotion est glacée par l’esthétique. Mais il en gardera des images sublimes.
Lulu de Frank Wedekind, Lou Reed, Robert Wilson
Théâtre de la Ville jusqu’au 13 novembre
01 42 74 22 77
Festival d’automne
01 53 45 17 17
18:54 Écrit par Dadumas dans Littérature, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, wedekind, berliner ensemble, robert wilson, théâtre de la ville | Facebook | | Imprimer
31/10/2011
Robert Lamoureux
C’était un « diable d’homme » et un auteur que le public aimait. Il vient de nous quitter.
Il nous avait dit : « Je n’ai compris ce qui me faisait agir qu’après la cinquantaine. Avant, par pudeur, par timidité, je ne m’avouais pas ‘auteur dramatique’, bien que j’aie eu cinq ou six pièces jouées avec plus ou moins de bonheur, mais en général avec succès », et là, il avait touché du bois, par réflexe, mais il n’était pas superstitieux, et disait encore ; « Je suis plutôt sceptique dans la vie ».
Il se vantait d’avoir obtenu à l’école, « le prix de camaraderie ». Il avait commencé par faire rire les copains car il avait joué, avec eux, dans la cour de l’immeuble, à Saint-Mandé, de petites pièces, puis écrit les revues de fin d’année du club sportif.
« J’ai écrit très tôt, bien avant de rentrer dans ce milieu et sans rien prétendre. J’avais joué des pièces de Jacques Deval, puis Faisons un rêve de Sacha Guitry. Pendant les représentations de cette pièce, j’ai commencé à être démangé par l’envie d’écrire. J’avais un sujet qui me paraissait amusant et je l’ai raconté à Marcel Achard. Il m’a dit : « c’est une très bonne idée » et m’a encouragé à l’écrire, il me l’a même enrichi. Il s’agissait de La Brune que voilà. Dans la version que je lui avais racontée, il y avait un homme avec trois maîtresses. Il m’a dit : « Mets-en quatre, tu vas t’amuser davantage ! ». Il ne m’a pas dit comment me débrouiller, mais je l’ai écouté, j’en ai ajouté une quatrième en effet, et cette première pièce a été un gros succès. »
Il ne reniait pas ses débuts mais s’étonnait toujours du triomphe de « sa chansonnette, Papa, Maman, la bonne et moi » dont tant de gens se souviennent depuis 1950 et qui lui avait demandé « un quart d’heure de travail », alors que chaque pièce lui imposait « une énorme somme d’efforts, de déceptions, de désillusions, de fatigue, d’insomnie. »
Pour écrire, il se levait tous les matins à quatre heures et écrivait jusqu’à sept heures. « C’est une discipline, comme pour le sport. Il faut pratiquer tous les jours. Sans cesse il reprenait son travail. « Quand j’ai fini une pièce, j’en ai écrit au moins cinq !... Certaines pages sont écrites jusqu’à quarante fois. »
Il n’écrivait que des comédies : « Faire rire m’a toujours rendu heureux ».
Aujourd’hui, le rideau s’est définitivement baissé. Et nous sommes tristes.
Propos recueillis en Novembre 1989, avant la publication d’Adelaïde 90, N° 858 de L’Avant-Scène Théâtre.
19:44 Écrit par Dadumas dans cabaret, humour, Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert lamoureux, théâtre | Facebook | | Imprimer