19/10/2006
Une Veuve sentimentale
Joyeuse Missia Palmieri, qui débarque à l’ambassade de Marsovie à Paris avec l’urne funéraire de son défunt dans les bras ? Pas vraiment. Entourée, adulée, elle représente une petite fortune, et ses prétendants ne manquent pas. Mais elle sait qu’on ne la courtise que pour son héritage, et la cupidité de ces mâles en émoi, la rendrait plutôt amère. Son ami Nadia, mariée au baron Popoff, l’ambassadeur, espère lui faire épouser son amant, Camille de Coutançon afin de donner le change à son époux. Mais sur les rangs, se bousculent aussi l’attaché militaire belge, le consul du Guatemala, et quelques admirateurs de moindre envergure. Le baron Popoff, soucieux des finances marsoviennes, conscient que la fortune de Missia représente tout le budget de l’Etat, voudrait qu’elle choisisse le Prince Danilo, l’attaché militaire marsovien, afin que les millions restent dans la Patrie.
Or, par un pur hasard, Dieu de l’opérette, le Prince Danilo est le grand amour de jeunesse de Missia. Hélas ! Elle n’a pas pu l’épouser car elle était pauvre, aujourd’hui, c’est lui qui n’a pas un sou et il ne veut pas qu’on croie qu’il ne l’épouserait que par intérêt. De l’orgueil mal placé ? Ah ! Mais on a sa fierté dans l’aristocratie !
Il faudra trois actes pour qu’ils cèdent l’un à l’autre, et Franz Lehar, sur un livret de Victor Léon et Léo Stein, d’après L’attaché d’ambassade d’Henri Meilhac (1861), créé à Vienne en 1905, adapté par Caillavet et de Flers (1909), fit faire le tour du monde à sa Veuve joyeuse. Sous la baguette de Gérard Daguerre, notre veuve sentimentale trouvera enfin l’Amour…
Aujourd’hui, Jérôme Savary y met la patte, et c’est un heureux moment pour l’Opéra-Comique. Il s’en passe des choses à l’ambassade de Marsovie ! Pas très honnêtes, ces Marsoviens en faillite, épouvantés de voir atterrir sur leur terrasse, un hélicoptère qui leur fait craindre l’arrivée de Sarkozy. Quand on traficote la blanche pour arrondir ses fins de mois, on n’a pas l’esprit tranquille. Même sous le regard lumineux du portrait de Savary, maquillé en général grand Conducator…
Ezio Toffolutti abrite visiblement l’ambassade dans le foyer du Palais de Chaillot, et c’est un joli coup de chapeau à celui qui redonna une âme à ce théâtre. La Cinémathèque sera le décor de la réception de l’acte II. Le « joli pavillon » de l’acte suivant, sera le kiosque des Jardins du Trocadéro, mais Maxim’s sera toujours Maxim’s avec un cancan extraordinaire dont Sabine Leroc et Sacha la grenouille renouvellent l’art.
On s’amuse de toutes ces trouvailles, de cette « folle de Chaillot », de « Madame de Fontenay », de la gouaille prodigieuse d’Eric Laugérias qui joue Figg , on admire les voix (Marie-Stéphane Bernard ou Anne-Marguerite Werster pour Missia, Jean-François Vinciguerra pour le baron Popoff, Boris Grappe ou Ivan Ludlow pour Danilo) , les costumes de Michel Dussarrat, on retrouve l’émotion des amours romanesques, des valses sirupeuses.
Sortir d'un spectacle, en souriant, en fredonnant, c'est si rare, de nos jours... Partageons notre plaisir.
Théâtre de l’Opéra-Comique
Jusqu’au 15 novembre
0825 00 0058
15:45 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
13/10/2006
Désobéir
Adapter un roman à la scène est toujours une gageure. Et, Michel Vinaver, si subtil dans son théâtre, en transformant aujourd’hui L’objecteur des années 50, en une pièce de théâtre n’a pas résolu toutes les difficultés inhérentes au genre.
Quel est le sujet de L’objecteur ? Un jeune appelé, Julien Bême refuse la discipline du régiment Il est incarcéré avec d’autres. Les taulards font le mur, mais rentrent pour l’appel du matin, sauf Julien. Cela s’appelle « déserter ». Cette action est passible du conseil de guerre, comme le fait d’avoir laissé les soldats sortir sans permission. A défaut de trouver Julien, ses compagnons, Pélisson et Pelletier passeront au « falot ». Car nous sommes en pleine guerre froide. La guerre de Corée commence et celle d’Indochine aussi. Les bourgeois craignent les communistes à l’intérieur comme à l’extérieur. Les tensions politiques sont effrayantes, les rumeurs amplifient le moindre incident. On voit partout « l’œil de Moscou » ? D’ailleurs n’a-t-on pas vu la main de la CIA dans l’accident d’avion qui entraîna la mort de Cerdan ?
De cette espionnite galopante, la pièce rend compte, avec des scènes courtes, efficaces où s’enflent les soupçons des militaires, les peurs de la libraire et du diacre, les conflits familiaux, les relances des réseaux clandestins. Le décor de Chantal Gaiddon qui cerne l’espace de demi-cercles concentriques, dispose ainsi de caches, de couloirs, de dédales aussi labyrinthiques que les consciences. La mise en scène de Claude Yersin intensifie les angoisses, d’autant qu’il fait interpréter soixante-douze personnages par onze comédiens parfaitement dirigés : Sarajeanne Drillaud, Pauline Lorillard, Hélène Raimbault, Adrien Cauchetier, Fabien Doneau, Claude Guyonnet, Benjamin Monnier, Nils Ohlund, Didier Royant, Didier Sauvegrain, Cédric Zimmerlin. Il faut aller les voir passer de la soubrette à la bourgeoise, du chrétien borné au vieil anarchiste, du journaliste branché au griveton brimé, quelle aisance !
Mais ce qui casse malheureusement l’intensité dramatique, c’est « le théâtre dans la théâtre ». Peut-être la représentation de l’époque seule a-t-elle été jugée « archaïque », et peut-être a-t-on voulu distancier les querelles. Cependant, l’action, déjà heurtée par les changements de lieux, et le nombre de protagonistes, ne peindrait-elle pas mieux la course fatale des hommes vers le tragique, sans les interventions de la troupe et de son metteur en scène ?
Nous avions tant aimé À la renverse la saison dernière que nous sommes terriblement déçus dans notre attente. Et pourtant, il faut parler de cette époque, des hommes sacrifiés, des espoirs trahis et de la nécessité de désobéir. Michel Vinaver a toujours, dans ses drames, remué nos âmes et éveillé les consciences, L’Objecteur peut certainement y parvenir.
L’Objecteur de Michel Vinaver
Au TEP jusqu’au 20 octobre,
01 43 64 80 80
ensuite à Neuchâtel, Angers, Nantes, La Roche-sur-Yon, Limoges.14:13 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
10/10/2006
Un Révizor revisité
Ils ont tous quelque chose à se reprocher : concussions, prévarications, corruptions, forfaitures et abus de pouvoir en tout genre. Petits fonctionnaires de l’empire, mal payés et vaniteux, ils veulent paraître riches et supérieurs à cette classe de paysans et de marchands qu’ils pressurent. Alors, quand on leur annonce qu’un Inspecteur Général du Tsar va venir contrôler leurs gestions, ils prennent peur, c’est humain. Le bourgmestre (Marc Chouppart) qui couvrait tous les trafics s’affole, le Directeur des œuvres de Charité (Martial Jacques) s’énerve, le directeur des postes (Alexis Jacquet) s’excite, la juge (Myriam Azencot) se trouble, l’inspecteur des écoles (Jean-Charles Maricot) bafouille, c’est la panique.
Khlestakhov (Juliette Plumecocq-Mech, époustouflante), lui, n’a pas grand-chose à se reprocher. Avoir perdu au jeu, est-ce que cela compte dans la vie d’un jeune homme bien né, au XIXe siècle ? Tout au plus pourrait-on l’accuser de grivèlerie, parce qu’il n’a pas un sou pour régler l’auberge, mais semer quelques dettes ici et là, rien de plus normal… Son serviteur, Ossip (Pierre-Henri Puente), lui, s’inquiète. Alors quand il voit débarquer le bourgmestre et de ses acolytes, il craint le pire, c’est-à-dire la prison pour son maître, tandis que les bourgeois de la ville, obnubilé par leurs craintes d’inspection, s’imaginent que ce jeune étranger est le « révizor » qu’ils redoutent. Et Khlestakhov, obscur petit fonctionnaire, devenu « son excellence », ne résiste pas aux honneurs et aux flatteries. Imposture ? Peut-être, mais qui est le plus coupable, celui qui ne détrompe pas ces gens qui s’aveuglent ou tous ces hypocrites qui veulent l’acheter ? L’âme humaine se repaît de bassesses inavouables…
Il faut les voir courir, trembler, s’agiter vainement et stupidement. Christian Rauck les conduit sur un rythme de burlesque américain, et pour souligner le grotesque de tous ces profiteurs, il a demandé à Arthur Besson d’écrire une musique, et à Rémi de Vos d’écrire les paroles de couplets dignes des meilleurs Labiche. Et c’est un coup de génie. Le Révizor est revisité, sans être le moins du monde trahi, la traduction d’André Markowicz en fait foi. « Je suis un garçon délicat » chante Juliette Plumecocq-Mech, et elle a cette silhouette fine et « raffinée » que les balourds du village, engoncés dans les costumes de Coralie Sanvoisin, jalousent en vain. Le « dandy aristocratique » appartient à la race des filous, il roule tout le monde, séduit la femme du bourgmestre (Emeline Bayart) et sa fille (Amélie Dénarié) et disparaît avec les économies de chacun.
La scénographie d’Aurélie Thomas multiplie les armoires, c’est-à-dire les portes qui cachent les secrets, c’est astucieux et comique. Deux grands tapis se croisent au milieu de la scène et un balcon surplombe la porte de la demeure. Les musiciens sont en scène, contrepoints soulignant des aventures comiques, les accompagnant. A jardin, l’armoire de l’intime, où Khlestakhov séduit Maria et Anna. A cour, l’armoire qui donne sur l’extérieur, l’auberge, d’autres lieux. Des écrans de toile masquent alternativement les lieux et permettent des projections railleuses. Ô le portrait du bourgmestre en général en Bonaparte passant les Alpes ! Quelle trouvaille !
Il en est ainsi des dizaines que je vous invite à aller découvrir de toute urgence… Il y a seize comédiens fabuleux et des troïkas pleines de talent.
Créé à Bussang en juillet 2005
Théâtre de la Cité Internationale
Du 9 octobre au 5 novembre
01 43 13 50 50
18:50 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer