01/02/2006
L'insolente de Ravensbrück
Le Verfügbar aux enfers, une opérette à Ravensbrück de Germaine Tillion
Quand Germaine Tillion arrive à Ravensbrück, « un dimanche soir de la fin d’octobre 1943 », terrible est la révélation de l’enfer, avec ces prisonnières en haillons, hagardes de faim et de souffrance, et que leurs bourreaux nomment par dérision « schmuckstücks ».
Germaine Tillion va utiliser le rire comme technique de survie. Au fond de l’enfer, cachée dans un carton, avec la complicité des détenues, Germaine Tillion écrit une sorte de revue, à partir de chansons populaires que toutes connaissent : variétés, opérette, Le Verfügbar aux enfers, c'est "une opérette à Ravensbrück". Le « verfügbar », c’est elle, une sorte de « tire-au-flanc », qui refuse le travail forcé. Revenue des enfers, elle avait publié Ravensbrück au Seuil, en témoin historique, en ethnologue et sociologue. C’était aussi une mélomane et une dramaturge.
Jorge Semprun, à Buchenwald, se récitait des poèmes pour se rappeler qu’il était un homme. Germaine Tillion écrivait une revue de music-hall pour que ses compagnes de misère n'oublient pas qu’elles étaient des femmes. Elle pratique l’autodérision avec insolence, comme on attaque pour se défendre. « Catharsis de la peur par le rire », écrit Claire Andrieu dans l’introduction. Car Germaine Tillion met en scène tout l’univers concentrationnaire avec les « transports », les « blocks », les insignes, le vocabulaire, les événements qui dirigent la vie des détenues, et surtout la solidarité.
Le Verfügbar écrit au camp même est inachevé. Mais quel document ! Tzvetan Todorov en préface l’édition qui reproduit le manuscrit in extenso. Germaine Tillion a attendu soixante ans pour faire connaître ce texte. Par pudeur ? Parce qu’il n’était pas sérieux ? Pourtant rien n'est plus sérieux que cette comédie noire. La verra-ton un jour sur scène, au lieu des découpages et collages de récits ?
11:33 Écrit par Dadumas dans Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
30/01/2006
Braves soldats
« Entre mille et une guerre notoires », Brassens préférait la guerre de 14-18 et il semble qu’il ait fait des émules. Depuis deux ans, nous avons lu Les Âmes grises, de Philippe Claudel, Le Monument de Claude Duneton et sur scène, nous avons vu La Traversée de Samuel R. de Michel Vier, Comme en 14 de Dany Laurent, sans compter les correspondances de poilus, les films, les BD et les travaux de recherche. Voici La Sainte Catherine, une nouvelle pièce de StéphanWojtowicz.
Catherine (Caroline Maillard), c’est l’infirmière de l’hôpital militaire installé dans un hôtel réquisitionné. La guerre est finie, mais pas la démobilisation, et traînent encore dans les chambres les gazés, les gueules cassées, les pas chanceux comme Plumet (Didier Brice) qui a le pied en compote et le cerveau un peu embrumé. Le capitaine Cazaud (Philippe Magnin) qui commande l’hôpital, est débordé, et quand un civil, qui plus est un artiste (Guillaume de Tonquédec) vient le déranger pour réaliser un monument à la gloire du poilu tombé pour la France, il est furieux. Mais comme il est pétochard et servile, et que le sculpteur peut amener Joffre et Pétain à l’inauguration, c’est bon pour sa carrière, ça, il s’incline.
Stéphan Wojtowicz brosse avec lui le portrait d’un gradé cynique et déplaisant dont Magnin s’empare avec volupté. Il adore jouer les chefs sans âme. Catherine est forcément dévouée et son idylle avec Plumet ne surprend pas. Restent le soldat et « l’artiste ». Les deux acteurs gagnent la partie. Braves soldats. Le premier inspire la compassion, un sentiment difficile à admettre dans notre époque qui bannit la sentimentalité. D’autant que Plumet, soumis et fataliste, fruste dans les manières et le langage n’attire pas d’emblée la sympathie.
L’auteur en l’opposant à l’artiste égoïste et vaniteux impose au spectateur une vision plus réaliste que la mise en scène (signée José Paul et Agnès Boury) gomme un peu. Car rien ne rend compte du nombre ni de la souffrance des soldats qu’on nous cache derrière le trop beau décor d’Édouard Laug. Question de moyens sans doute ?
Il y a un ton Wojtowicz, une écriture serrée, acerbe, dérangeante. Nous avions aimé La Photo de papa en 1997 à Avignon, La Sainte-Catherine n’est peut-être pas créée au bon moment dans le théâtre adéquat. Mais l’auteur a du talent.
Petit Théâtre de Paris
01 42 80 01 81
20:45 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer
26/01/2006
Courage et fidélité
Ostrovski, un don de Sobel
En 1966, Bernard Sobel nous faisait découvrir Cœur ardent d’Ostrovski, un auteur méconnu en France, et qui pourtant ,vingt ans avant Tchekhov, peignait en Russie, la province déstabilisée par l’abolition du servage, rongée par les préjugés, minée par l’émergence d’une nouvelle classe : la bourgeoisie qui savait faire fructifier l’argent quand les hobereaux ne savaient que le dépenser et s’endetter. Quant aux sentiments humains, ils étaient universels, les mêmes que chez nous aujourd'hui : la jalousie, le mépris, la haine déchiraient la société tandis que l’amour, le courage et l’espérance tentaient de la rendre meilleure. A Gennevilliers, il y eut L’Abîme, La Forêt (qu’André Barsacq avait créée), et récemment Innocents et coupables. Toujours l’enchantement se renouvelait.
Aujourd’hui, avec Dons, mécènes et adorateurs Bernard Sobel nous révèle un chef d’œuvre, traduit par André Markowicz. Comme dans Innocents et coupables nous retrouvons le monde du théâtre en province. Sacha est une jeune actrice très douée (Chloé Réjon l’est, nous le savions déjà), mais c’est un cœur pur, elle a refusé la « protection » du Prince (François Clavier) qui se venge en exigeant que le directeur du théâtre (Gaëtan Vassart) ne renouvelle pas son contrat. Sacha et sa mère criblées de dettes, sans ressources autres que les « bénéfices » de certaines représentations, sont aux abois. Le talent ne suffit pas. Le courage non plus. Survient un mécène adorateur, Velicatov (Éric Caruso) qui l’entoure d’attentions, la couvre de cadeaux, trace le sillon de sa « carrière », sans exiger qu’elle renvoie Piotr le « fiancé » (Vincent Minne). La fidélité se déplace. Entre son art et sa rigueur morale, Sacha choisit.
Pour figurer les divers lieux de l’action, juste quelques malles sur le plateau nu que des panneaux, en descendant des cintres vont limiter ou ouvrir sur la profondeur, différente suivant l’endroit. Pas de poudre aux yeux, pas de prétentieux et ruineux décor. Une seule concession : la scène du départ à la gare, façon Vie parisienne comme si Sobel se moquait de nos propres clichés. Toute la richesse du texte passe par les comédiens que Bernard Sobel dirige avec maestria. Il faudrait les citer tous. Thomas Durand le fonctionnaire désabusé, Éric Castex le tragédien grandiloquent, Isabelle Duperray, la comédienne apprivoisée, Laurent Charpentier le compagnon de beuveries, Jacques Pieiller le vieil adorateur ruiné devenu accessoiriste. Chaque personnage a son maintien, chaque voix sa tessiture. Celle, si posée, presque accablée d’Éric Caruso, vous étreint, et le grain inimitable d’Elizabeth Mazev contribue à l’émouvante composition de la mère, toute en sensibilité débordante qu’elle contient mais dont le bouillonnement franchit par instants les limites de la bienséance qu’elle s’impose. Entre la mère et la fille des scènes tendres et âpres conduisent sans violence à la décision finale. Du grand art. On en reparlera dans les études psychanalytiques (si les psy, bien sûr, lisent autre chose qu’Hamlet).
Ce sera la dernière mise en scène de Sobel à Gennevilliers, théâtre qu’il a créé, conçu jusque dans l’architecture des salles, et qu’il anime depuis plus de quarante ans, avec courage et fidélité. Il ne faut pas que ce soit le chant du cygne. Il y a encore tant de pièces qu'on ne connaît pas et que lui, s'est donné la peine de lire.
Jusqu’au 4 février
01 41 32 26 26
18:02 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre | Facebook | | Imprimer