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20/02/2006

Restaurer les vivants

Yasmina Reza était comédienne. Elle écrivait aussi. Gabriel Garran l’encouragea. Conversations après un enterrement fut créée en 1987 avec le succès que l’on sait. Aujourd’hui, Gabriel Garran la met en scène, sobrement, magnifiquement, dirigeant chaque comédien suivant la partition de son personnage. Ils acquièrent tous une profondeur, une épaisseur charnelle qui nous les rend sensibles. C’est ainsi qu’on donne à un texte une portée universelle.
On n'est jamais seul à un enterrement. Toute la famille se rassemble. On efface les rancœurs pendant la cérémonie. Ensuite les dissensions reprennent. Mais quelquefois, au bout des « conversations » viennent les aveux, les déchirements, le pardon, pour que la vie puisse continuer, et, comme on dit chez Tchekhov, « réparer les vivants ».
Nathan (Jean-Michel Dupuis), quarante-huit ans, a été le rival de son jeune frère Alex (Serge Hazanavicius), vingt-trois ans, et Élisa, trente-cinq ans les a abandonnés, trois ans auparavant. Les voici réunis pour l’enterrement du père, avec leur sœur, Édith, (Mireille Perrier) quarante-cinq ans et l'oncle Pierre, soixante-cinq ans, (Bernard Verley) venu avec sa femme Julienne (Josiane Stoleru). Élisa se tient « en retrait », comme le voulait l’auteur. La mise en scène de Gabriel Garran la place très loin du groupe familial accentuant la fracture dès la première scène.  Elle est hors de la fratrie qu’elle a abîmée. Et sans doute resterait-elle à jamais exclue, si au moment de partir elle n’avouait à Nathan son amour « éperdu ». Et si, le hasard, on n’ose pas dire la Providence, s’en mêlant, sa voiture ne tombait pas en panne.
La scène est noire de murs et de plateau, chambre obscure (Décor de Florica Malureanu) oppressante, sans horizon, comme l’âme d’Alex, le frère abandonné, hargneux avec tous, même avec la douce Julienne dont les propos candides l’irritent. Impossible à vivre, il souffre. Il ressasse encore les  vindictes enfantines, et n’a pardonné au père ni la gifle de ses douze ans, ni à Nathan son indulgence, ni peut-être son sacrifice, et aujourd’hui, chaque réflexion d’Édith devient pour lui une remontrance… Il déchire les autres comme Élisa l’a déchiré.
En vain, la réconciliation chemine. Les femmes se parlent. Puis, sur la tombe du père, Nathan retrouve Élisa, et brave l’interdit. Les lumières de Gaëlle de Malglaive cernent le couple dans un halo pâle et tendre, une auréole de bonheur, qui va filtrer peu à peu dans le groupe qui cherche encore ce qu’il a en commun.
L’orage, et le repas vont le reconstruire. Autour du pot-au-feu. Car les vivants, il faut bien que ça se restaure pour rester en vie! Ce « pot-au-feu », Nathan, l'a acheté. Édith, Pierre, Julienne, ont épluché les légumes sous les sarcasmes d’Alex qui trouvait les navets pourris. Il aura fallu bien des mots, des cris, des pleurs et des rêves, pour qu'il propose soudain de le « saupoudrer de tous les aromates vivants ». A qui d'autre attribuer l'épithète de vivants, sinon à ceux qui vont passer à table ? Manger le pot-au-feu, ensemble, c'est aussi lécher ses blessures.

 

Théâtre Antoine
Depuis le 18 janvier
01 42 08 77 71

 

13:25 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer

17/02/2006

En anglais dans le titre


 


Les titres de films ou de pièces de théâtres qui fleurissent sur les affiches me laissent perplexe.
L’anglais est-il devenu langue obligatoire ? Croit-on que les Français le comprennent parce qu’ils possèdent les quelque deux cents mots qui leur permettent de voyager sur tous les continents ? Le globish n’est pas l’english. Claude Hagège s’alarme pour les sciences et les techniques, inquiétons-nous aussi des arts dramatiques.
Walk the line, qui sort cette semaine, est-ce « suivre sa ligne », « suivre son chemin », « franchir la ligne », « aller trop loin », « atteindre son but », le « dépasser » ou « se faire une ligne » ? Je sais que walk the boards se traduit par « monter sur les planches », mais walk the line ?
Et pourquoi avoir gardé The Constant Gardener, en anglais dans le titre ? N’est-ce pas l’histoire d’un botaniste follement amoureux, amoureux jusqu’à la mort et au-delà ? Traduire par Le Fidèle Jardinier, ou Le Botaniste fidèle aurait-il nui à la beauté du film, à son succès ?
Tears for fears, n’est-ce pas Pleurs de peur ?
On nous annonce aussi Illuminations-Coloured plates, construit sur des textes d’Arthur Rimbaud ! Tiens ! Tiens ! Arthur a certes séjourné en Angleterre mais ses Illuminations n’ont pas été écrites en anglais, même s’il y sème, avec la ferveur du néophyte quelques mots qu’il vient d’apprendre : bottom, fairy, being beauteous. Alors pourquoi pas les listes de mots et d’expressions qu’on a retrouvées dans ses manuscrits ? Et pourquoi « coloured plates » ? D’autant qu’il n’a jamais écrit pour la scène…
 Nous avions déjà eu : Getting attention, (avec get ce verbe fourre-tout). Ce titre ne correspond-il pas à cette Surveillance attentive qu’exercent les voisins les uns sur les autres ? Espionnage entre voisins, ou Voisinage attentif, ou Entourage attentif, ou Attention renforcée, mais finalement Précaution inutile.
Qu’on ne prétende pas que c’est « intraduisible » ! Demandez à Jean-Michel Déprats, demandez à François Regnault s’ils ne sont pas venus à bout des jeux de mots de Shakespeare que François-Victor Hugo avait prétendus « intraduisibles ». Évidemment, leur réussite suppose non seulement une excellente connaissance de la langue qu’ils traduisent mais aussi une science infaillible de la leur. Car il s’agit de défendre à la fois deux langues jusque dans leurs idiotismes. Imagine-t-on un roman policier où des phrases resteraient en anglais ? Car c’est uniquement dans cette langue-là qu’on ne traduit plus.
Est-ce par hypocrisie que Shopping and Fucking, (qui exigerait que nous soyons obscènes) est resté tel quel ? Nos amis Québécois ayant traduit  depuis longtemps, shopping par « magasiner », pourquoi ne pas l’utiliser ? Et pour Fucking ? Certains traduisent fuck par « enculer », il y a aussi « foutre » qu’on osait au grand Siècle, avec son dérivé « foutraison ». On peut préférer Magasinage et Baise, ou choisir « baisage » ou « baisement ». Tout est affaire de suffixation.
D’où vient notre répugnance, aujourd’hui, à assimiler et créer de nouveaux mots ?
En 1886, nos arrière-grands-parents avaient fait de « boycott », « boycottage », il serait temps de nous en souvenir. Boycottons et inventons, afin de garder vie et force à la langue française.

10:00 Écrit par Dadumas dans Film, langue, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |  Imprimer

09/02/2006

Famille close

Une famille ordinaire de José Pliya
C’est un logement modeste. Une cuisine, une salle à manger, deux chambres, peut-être une troisième qu’on ne voit pas, celle de l’enfant dont les jouets traînent sur le tapis. C’est une famille banale de Hambourg : Elga, la mère règne sur la cuisine et Dörra, la bru n’aura jamais le droit d’y préparer la soupe. Julius, le fils n’a pas de situation. Un enfant est né : Véra, qui déjà, à trois ans préfère jouer chez les voisins. Heureusement, l’État nazi a besoin de police, et en 1941, il embauche tous les hommes de bonne volonté. Sauf les vieux. Oskar le père y serait bien allé aussi, mais on lui a conseillé de profiter de sa retraite et de cultiver son jardin. Il est vexé. Il voulait servir la patrie. Comme son fils, le veinard qui va pouvoir liquider les Polonais pas obéissants, et les ghettos.  À cette « tournée de pacification », il gagne des galons, mais perd tout désir. Les permissions sont rares, éprouvantes pour le père à qui il refuse de parler, pour sa femme qu’il ne regarde plus, qu’il ne touche plus, pour sa mère dévorée d’inquiétude. En 1945, il sera « porté disparu ». Elga d’un mensonge « simple » a sauvé la petite Sarah que les policiers voulaient emmener à Auschwitz. Le grand-père meurt. Soixante ans plus tard, Véra raconte.
Le texte de José Pliya suscite les interrogations, sur la nature du Mal, sur la monstruosité, sur l’amour filial, sur notre responsabilité. Car nous, en 1941, si nous n’avions eu ni logement, ni travail, qu’aurions-nous fait ?
Isabelle Ronayette met en scène très intelligemment. Refusant le pathos, elle choisit de montrer Véra, sous les traits d’une vieille femme : Denise Bonal, et pour mieux accentuer la distance, Laurence Rebouillon filme en gros plan une dame digne et douce qui prend le thé, rêve un peu, s’essuie les mains, regarde au loin. Elle ajoute des plans du port d’Hambourg, de fleurs épanouies, de petite fille rieuse, et sur l’écran projette un film de sérénité retrouvée qui gomme la violence faite à l’enfant.
Reste le malaise de la famille dans l’espace naturaliste. Romain Bonnin est Julius, et avec son visage poupin, il inspire confiance. Comme beaucoup de pervers qui sommeillent. Chantal Garrigues joue la mère tout en retenue, une femme « peu affectueuse » qui n’extériorise rien. Agnès Pontier montre une Dörra secrète, impénétrable, froide en apparence, dévastée par un feu intérieur. Johan Leysen est peut-être trop discret, on l’imagine plus susceptible, plus brutal par moments, mortifère comme son dernier geste. Famille close, société funeste. Dans l’espace scénique imaginé par Annabel Vergne, seule la mère est à sa place, les autres s’observent, se dérangent, se gênent. Les spectateurs sont proches, installés en voyeurs.
C'est ainsi que les hommes vivent...

 

Texte édité à l’Avant-Scène théâtre, collection des Quatre-Vents
Prix : 8 €
Théâtre de la Tempête jusqu’au 12 février
01 43 28 36 36

18:44 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre |  Facebook | |  Imprimer