15/03/2017
Les murs du purgatoire
Le théâtre 13, côté jardin, est rouvert !
La nouvelle est excellente ! D’autant plus que c’est Alexis Michalik qui l’inaugure par un nouveau spectacle, Intra Muros dont il signe le texte et la mise en scène. Et vous connaissez sa « soif narrative » et sa maîtrise de la scène !
Nous avions aimé Le Porteur d’histoire, puis Le Cercle des illusionnistes. Cette saison, Edmond nous a enthousiasmé, alors, c’est avec une joie toujours renouvelée que nous sommes allés voir Intra Muros.
Intra Muros nous plonge dans cette espèce de purgatoire qu’est la prison. Avec cinq comédiens, et un musicien Alexis Michalik reconstitue l’itinéraire de deux détenus : Ange (Bernard Blancan), la cinquantaine et 28 ans de centrale, et Kévin (Faycal Safi), un jeune, détenu depuis sept ans. Tous deux se présentent à l’atelier théâtre qu’Alice (Alice de Lencquesaing), assistante sociale stagiaire a réussi à obtenir pour les condamnés à de longues peines. Elle amène avec elle Richard (Paul Jeanson), metteur en scène et Jeanne (Jeanne Arenes), son ex-femme, comédienne. Le plateau est noir et nu, au centre un quadrilatère plus clair délimite l’espace de jeu de l’atelier dans une « salle polyvalente ». Des chaises entassées et un lit de fer complètent le décor. Au proscenium, côté jardin et au fond de scène des costumes (Marion Rebman) et accessoires sont suspendus sur des portants. Les comédiens se serviront, changeant à vue d’identité quand l’histoire va dérouler ses aléas intranquilles. Car, entre les juges, les flics, les parents, le frère, les témoins, ils incarneront une trentaine de personnages.
Côté cour, Raphaël Charpentier, compositeur, arrangeur pianiste et percussionniste, a installé ses claviers et percussions pour soutenir l’action, suggérer les coups, animer les rencontres, concrétiser le décor. Les lumières d’Arnaud Jung règlent les déplacements, modifient les espaces et les temps dans une fluidité remarquable.
Les serrures de la prison s’ouvrent, l’une après l’autre, dans un bruit métallique, les trois intervenants franchissent les grilles et longent les couloirs et enfin, rencontrent les deux détenus. Au bout du parcours, les attendent Ange, bras croisés, mutique, et Kévin, bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, la rage au cœur et aux lèvres.
Le contact n’est pas facile. Jeanne est meilleure psychologue que Richard. Les détenus ne se laissent pas apprivoiser facilement.
Mêlant subtilement passé et présent, Alexis Michalik déroule vingt ans de vie de ses protagonistes. Nous saurons ce qui a conduit Ange à sa feinte indifférence, ce qui anime Ange, mais aussi ce que Richard espère, ce que Jeanne regrette, ce que veut Alice.
Le purgatoire des uns conduit à toutes les rédemptions.
Admirablement construite, jouée avec intelligence, la pièce transporte les spectateurs.
Intra Muros est une réussite.
Photo : © Alejandro Guerrera
Intra Muros d’Alexis Michalik
Jusqu’au 16 avril
Théâtre 13
01 45 88 62 22
du mardi au samedi à 20 h
dimanche à 16 h
17:20 Écrit par Dadumas dans Blog, éducation, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 13, alexis michalik | Facebook | | Imprimer
22/09/2016
Comment Cyrano vint à Rostand
Vous aviez découvert en Alexis Michalik un auteur, metteur en scène prometteur, dirigeant avec brio une troupe jeune et sympathique dans Le Porteur d’histoire. Vous l’aviez retrouvé avec bonheur dans Le Cercle des illusionnistes. Vous allez maintenant l’adorer avec Edmond.
Il nous conte ici la création d’une des plus célèbres pièces de notre répertoire, celle qui fait salle comble quand on la joue, qui soulève l’adhésion de tous les spectateurs, mais qui distribue une trentaine de rôles, demande une foultitude de figurants, cinq décors différents, des costumes historiques et une multitude d’accessoires. Vous avez deviné ? Cyrano de Bergerac d’Edmond… Rostand ! Bien sûr !
Or, quand l’action commence, en 1895, Les Romanesques, et La Princesse lointaine, même interprétée par Sarah Bernhardt (Valérie Vogt), n’ont guère obtenu de succès. La critique dédaigne les « anachronismes de son style », le public boude, et les directeurs de théâtre réclament une comédie. Edmond, marié à Rosemonde Gérard (Anna Mihalcea), poétesse de son état, doit nourrir sa famille. Il a déjà deux fils : Maurice et Jean. Son inspiration semble tarie et il tire le diable par la queue. Pourtant c’est à lui que Benoît Constant Coquelin, dit Coquelin aîné (Pierre Forest), directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin commande une pièce. « Il faut juste l’écrire » !
Et Edmond va trouver un sujet, construire l’intrigue, se plier aux caprices de la comédienne principale, satisfaire le commanditaire, exaucer les vœux de son ami Léonidas (Kevin Garnichat), résister aux intrigues des producteurs (Christian Mulot et Pierre Bénézit), à la jalousie de Rosemonde, aux avances de Jeanne (Stéphanie Caillol), au scepticisme des deux Georges illustres, Courteline (Régis Vallée) et Feydeau (Nicolas Lumbreras)… Comment Cyrano vint à Rostand ? Et comment Rostand fit de son personnage un être éternel ? Alexis Michalik vous emporte dans une aventure inoubliable.
Les répétitions sont chaotiques. Elles commencent avant que l’écriture de la pièce soit terminée. La production manque de moyens. La Comédie-Française signifie à Coquelin une interdiction de jouer à Paris. La comédienne principale, Marie Legault (Christine Bonnard) se fait porter pâle le soir de la première.
Et pourtant… Ce sera un triomphe !
Le talent d’Alexis Michalik est de vous faire vivre les « coulisses » de la création. Il réinvente les instants où un auteur fait son miel de tout ce qu’il entend. Il se plaît à mêler les personnages célèbres comme Tchekhov (Nicolas Lumbreras), et son ami Stanislavski (Pierre Bénézit), Jules Clarétie (Christian Mulot), Maurice Ravel (Nicolas Lumbreras) ou le fils Coquelin (Régis Vallée) et les inconnus anonymes, comme cet Honoré (Jean-Michel Martial), cafetier en butte au racisme, et les serveuses, les filles de joie, les journalistes, les machinistes et les spectateurs. Il montre comment quelques mots peuvent éveiller une idée, comment l’objet inanimé peut déclencher une parole, une rencontre susciter une situation. Edmond (Guillaume Sentou) transforme ainsi la réalité de son quotidien en épopée.
La recette ? Pour Edmond le génie poétique et une devise en trois A : agir, avancer, aimer. Pour Alexis Michalik une verve dramatique inventive inépuisable et une troupe soudée par le talent et l’intelligence. Admirables trouvailles ! Les douze comédiens portés par un texte jubilatoire, secondés par des extraits éblouissants de Cyrano, passent d’un rôle à l’autre, de la fiction de Cyrano à celle d’Edmond. Ils déménagent les meubles, roulent et déroulent les tapis, changent de costumes (signés Marion Rebmann), de personnages, d’attitudes, de situations avec une maîtrise incroyable (scénographie de Juliette Azzopardi).
On en oublierait presque de faire remarquer à l’auteur que ce n’est pas Jeanne l’habilleuse qui joua Roxane le soir de la première en décembre1897, mais Rosemonde, l’épouse fidèle, copiste de la pièce, assistante aux répétitions, soutien inébranlable d’un auteur qui n’avait pas encore connu le succès.
Mais c’est une broutille. Dans la salle, on est transporté par l’enthousiasme et debout à la fin, comme tout le monde, on applaudit à tout rompre. Quelle prodigieuse soirée ! Comme ils savent bien nous donner le goût du théâtre ! Moments inouïs, grandioses !
Courez-y et vite !
Photos © Alejandro Guerrero
Edmond d’Alexis Michalik
Théâtre du Palais-Royal
01 42 97 40 00
du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 16 h 30
22:52 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, edmond rostand, alexis michalik, théâtre du palais royal | Facebook | | Imprimer