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22/09/2016

Comment Cyrano vint à Rostand

 

 

Vous aviez découvert en Alexis Michalik un auteur, metteur en scène prometteur, dirigeant avec brio une troupe jeune et sympathique dans Le Porteur d’histoire. Vous l’aviez retrouvé avec bonheur dans Le Cercle des illusionnistes. Vous allez maintenant l’adorer avec Edmond.Théâtre, Edmond Rostand, Alexis Michalik, Théâtre du Palais Royal

Il nous conte ici la création d’une des plus célèbres pièces de notre répertoire, celle qui fait salle comble quand on la joue, qui soulève l’adhésion de tous les spectateurs, mais qui distribue une trentaine de rôles, demande une foultitude de figurants, cinq décors différents, des costumes historiques et une multitude d’accessoires. Vous avez deviné ? Cyrano de Bergerac d’Edmond… Rostand ! Bien sûr !

Or, quand l’action commence, en 1895, Les Romanesques, et La Princesse lointaine, même interprétée par Sarah Bernhardt (Valérie Vogt), n’ont guère obtenu de succès. La critique dédaigne les « anachronismes de son style », le public boude, et les directeurs de théâtre réclament une comédie. Edmond, marié à Rosemonde Gérard (Anna Mihalcea), poétesse de son état, doit nourrir sa famille. Il a déjà deux fils : Maurice et Jean. Son inspiration semble tarie et il tire le diable par la queue. Pourtant c’est à lui que Benoît Constant Coquelin, dit Coquelin aîné (Pierre Forest), directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin commande une pièce. « Il faut juste l’écrire » !

Théâtre, Edmond Rostand, Alexis Michalik, Théâtre du Palais RoyalEt Edmond va trouver un sujet, construire l’intrigue, se plier aux caprices de la comédienne principale, satisfaire le commanditaire, exaucer les vœux de son ami Léonidas (Kevin Garnichat), résister aux intrigues des producteurs (Christian Mulot et Pierre Bénézit), à la jalousie de Rosemonde, aux avances de Jeanne (Stéphanie Caillol), au scepticisme des deux Georges illustres, Courteline (Régis Vallée) et Feydeau (Nicolas Lumbreras)… Comment Cyrano vint à Rostand ? Et comment Rostand fit de son personnage un être éternel ? Alexis Michalik vous emporte dans une aventure inoubliable.

Les répétitions sont chaotiques. Elles commencent avant que l’écriture de la pièce soit terminée. La production manque de moyens. La Comédie-Française signifie à Coquelin une interdiction de jouer à Paris. La comédienne principale, Marie Legault (Christine Bonnard) se fait porter pâle le soir de la première.

Et pourtant… Ce sera un triomphe !

Le talent d’Alexis Michalik est de vous faire vivre les « coulisses » de la création. Il réinvente les instants où un auteur fait son miel de tout ce qu’il entend. Il se plaît à mêler les personnages célèbres comme Tchekhov (Nicolas Lumbreras), et son ami Stanislavski (Pierre Bénézit), Jules Clarétie (Christian Mulot), Maurice Ravel (Nicolas Lumbreras) ou le fils Coquelin (Régis Vallée) et les inconnus anonymes, comme cet Honoré (Jean-Michel Martial), cafetier en butte au racisme, et les serveuses, les filles de joie, les journalistes, les machinistes et les spectateurs. Il montre comment quelques mots peuvent éveiller une idée, comment l’objet inanimé peut déclencher une parole, une rencontre susciter une situation. Edmond (Guillaume Sentou) transforme ainsi la réalité de son quotidien en épopée.

La recette ? Pour Edmond le génie poétique et une devise  en trois A : agir, avancer, aimer. Pour Alexis Michalik une verve dramatique inventive inépuisable et une troupe soudée par le talent et l’intelligence. Admirables trouvailles ! Les douze comédiens portés par un texte jubilatoire, secondés par des extraits éblouissants de Cyrano, passent d’un rôle à l’autre, de la fiction de Cyrano à celle d’Edmond. Ils déménagent les meubles, roulent et déroulent les tapis, changent de costumes (signés Marion Rebmann), de personnages, d’attitudes, de situations avec une maîtrise incroyable (scénographie de Juliette Azzopardi).

On en oublierait presque de faire remarquer à l’auteur que ce n’est pas Jeanne l’habilleuse qui joua Roxane le soir de la première en décembre1897, mais Rosemonde, l’épouse fidèle, copiste de la pièce, assistante aux répétitions, soutien inébranlable d’un auteur qui n’avait pas encore connu le succès.

Mais c’est une broutille. Dans la salle, on est transporté par l’enthousiasme et debout à la fin, comme tout le monde, on applaudit à tout rompre. Quelle prodigieuse soirée ! Comme ils savent bien nous donner le goût du théâtre ! Moments inouïs, grandioses !

Courez-y et vite !

 

Photos © Alejandro Guerrero

 

 

Edmond d’Alexis Michalik

Théâtre du Palais-Royal

01 42 97 40 00

du mardi au samedi à 21 h, dimanche à 16 h 30

 

 

 

 

 

28/05/2015

Rostand a du génie

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Monter Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand avec sa vingtaine de rôles et ses figurants,  suppose une troupe nombreuse. Et comme, de plus, il y a un changement de décor à chaque acte, avec un théâtre dans le théâtre à l’acte I, une pâtisserie en ordre de marche au II, une maison avec balcon au III, un bivouac avec des mousquets, des canons, un carrosse qui entre en scène au IV, un cloître avec jardin au V, des costumes en abondance, des accessoires en nombre, la représentation exige des moyens que seuls les grands théâtre nationaux peuvent encore apporter. Et pourtant…théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazarini

Henri Lazarini vient de signer une mise en scène sobre et dynamique, colorée et romantique sans balcon, sans carrosse, avec treize comédiens, et le jeune public qui vient en rangs serrés écouter du Rostand, en reste muet d’admiration. Et nous, qui affichons volontiers des mines blasées, nous partageons son émotion !

D’où vient que depuis sa création en 1897, le triomphe de Cyrano de Bergerac ne s’est jamais démenti ? De son héroïsme revendiqué à l’heure des compromissions ? De sa curiosité scientifique ? De sa verve poétique et sa « burlesque audace »[1]? De son ironie cinglante envers les gens en place ?  On a eu beau nous expliquer que ce bretteur intrépide était un homosexuel notoire[2], on préfère qu’il soit l’amoureux platonique de Roxane. On nous a dit que ses bravades ont un côté cocardier démodé et franchouillard. Mais on l’aime comme aurait dû l’aimer Roxane…

théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazariniHenri Lazarini choisit de le montrer d’abord en Rostand lui-même (Benoit Solès), devenant Cyrano au fil de sa plume. Tel Ferruccio Soleri[3] faisant glisser le masque  d’Arlequin, de son front à son nez, il entre alors en scène pour interdire Montfleury (Michel Baladi). Et la machine théâtrale est lancée pour deux heures de prouesses. Benoit Solès est magnifique. Fougueux devant les périls, stoïque devant un Christian effronté (Vladimir Perrin), pudique devant une adorable Roxane (Clara Huet), il est éblouissant. L’apogée de son interprétation sera sans doute ce dernier acte crépusculaire, où il retrouve, quinze ans après le siège d’Arras, une Roxane douloureuse, corsetée dans son deuil, bouleversante Geneviève Casile qui joua ce rôle au Français aux côtés de Jean Piat. Sublime idée que de montrer ainsi le passage du temps et d'évoquer le vers de Rosemonde Gérard, l'épouse-amante  de Rostand  qui se demande si l'amour durera encore : « Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs. »

théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazariniEt les autres comédiens ? Vladimir Perrrin (Christian) est charmant comme il se doit. Michel Melki donne un Ragueneau sensible et attentionné. Émeric Marchand joue un Le Bret fraternel, Emmanuel Dechartre, un Comte de Guiche rageur et blessant, Jean-Jacques Cordival, le capucin naïf qui marie Roxane et Christian. Puis viennent ceux qui jouent de multiples rôles, Lydia Nicaud (ou Christine Corteggiano), en duègne, puis Mère marguerite, Anne-Sophie Liban, la coquette Lise qui devient Sœur Marthe au dernier acte,  Julien Noïn, et Pierre-Thomas Jourdan, marquis, cadest, pâtissiers ou poètes, tous impeccables, le ton juste.

théâtre,théâtre 14,cyrano,edmond rostand,benoit solès,henri lazariniLa scénographie de Pierre Gilles dresse au proscenium deux espaces mémoriels : une loge de théâtre, à cour, et à jardin, le cabinet de travail de Rostand avec une photographie de Sarah Bernhardt, et un plan du Voyage dans la lune de Méliès qui servira d’illustration au récit de Cyrano à l’acte III. Peu d’accessoires et Cyrano se bat sans épée ! Il n’y a pas de balcon non plus mais cependant tout fonctionne, le spectateur est pris, subjugué, ému aux larmes.

Il y a dans le rouge des costumes de Roxane et des petits marquis, la provocation de la préciosité, dans ceux des cadets une réminiscence des bicolores signés Léon Gischia, et c’est peut-être aussi pour ces souvenirs-là qu’on a envie de dire : « Rostand a du génie et Christian était beau ».

 

Photos © LOT

 

Cyrano de Bergerac  d’Edmond Rostand

Jusqu’au 4 juillet

Théâtre 14

01 45 45 49 77



[1]- Boileau Nicolas, Art poétique, IV.

[2]- Dans le Banquet d’Auteuil de Jean-Marie Besset.

[3]- Acteur du Piccolo Teatro de Milan, il joua Arlequin serviteur de deux maîtres  de Goldoni sous la direction de  Giorgio Strehler.