25/02/2015
Albertine retrouvée
On avait un peu oublié la vie tumultueuse d’Albertine Sarrazin. Abandonnée à l’Assistance publique à la naissance, adoptée, violée à dix ans par un oncle, elle est bouclée au Bon Pasteur dès les premières révoltes de l’adolescence. Elle commence à noircir de petits cahiers, et ses écrits sont confisqués. Excellente élève, mais indisciplinée, elle fugue le jour de son oral de bac. Elle quitte Marseille où « le nombre de flic égale celui des malfaiteurs. »
De quoi peut vivre une fille de quinze ans à Paris ? Elle se prostitue, tente un braquage avec son amie Emilienne et la voilà en prison à seize ans. Elle supporte mal la « solitude et l’enfermement » et quand en 1955, elle est condamnée à sept ans de prison, elle s’évade, saute d’un mur de dix mètres et se casse un os du pied, l’astragale.
Celui qui la ramasse, c’est Julien Sarrazin, un petit délinquant, qui va devenir son grand amour. Elle ne va vivre que pour lui, par lui. Ils sont arrêtés, condamnés, libérés, réincarcérés, mais ils se marient, et une fois leurs peines purgées s’installent ensemble dans les Cévennes. En 1964, Jean-Jacques Pauvert accepte deux manuscrits : La Cavale et L’Astragale, deux succès d’édition, tout de suite adaptés au cinéma. Albertine Sarrazin devient célèbre, « Je crois au pouvoir de la volonté, de l’enthousiasme. » déclare-t-elle, dans une interview.
Mais le bonheur est court et la vie injuste. En 1967, à cause d’un anesthésiste incompétent, elle meurt après une opération. Elle n’avait pas trente ans.
Mona Heftre bouleversée par l’œuvre et la vie d’Albertine lui dresse un mémorial poignant. Spectacle baroque bâti avec des textes puisés dans les romans, les poèmes (dont certains sont mis en musique (musique de Camille Rocailleux), les entretiens. Avec sa silhouette fine, ses gestes gracieux, Mona réincarne l’incandescente jeune femme brune au visage étroit et aux yeux immenses. Manon Savary, qui signe la mise en scène et une vidéo, donne aux images en noir et blanc une esthétique contrastée faite de lumières crues et de noirs angoissants. Les lumières de Pascal Noël articulent les épisodes de cette impétueuse « vie de cavale ».
Comment ne pas l’aimer cette Albertine, qui volait les poèmes de Rimbaud et défiait la famille bourgeoise qui l’avait reniée ? Comment ne pas la plaindre, elle qui fut victime de la « bestialité des hommes » ? Elle n’avait ni « bon sens, ni morale, ni retenue ». On a jugé qu’elle était « perverse », et même un « danger pour l’ordre public », alors qu’elle n’était qu’une petite fille affamée d’amour et de tendresse. Ses mots, comme des cris rebelles saisissent les spectateurs.
Grâce à Mona Heftre, Albertine disparue est devenue aujourd’hui Albertine retrouvée.
Photo :© D. R.
Albertine Sarrazin, une vie de cavale de Mona Heftre
d’après l’œuvre d’Albertine Sarrazin
du mardi au samedi : 19 h, dimanche : 15 h
Théâtre de Poche-Montparnasse
Depuis le 24 février et jusqu’au 3 mai
01 45 44 50 21
21:53 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montpanasse, poésie, littérature, albertine sarrazin, mona heftre, manon savary | Facebook | | Imprimer
21/02/2015
À lire et à voir
Vous avez déjà vécu des rencontres familiales catastrophiques, où vous étiez arrivés pleins de bons sentiments et de bonnes intentions et d’où vous étiez partis l’injure aux lèvres et la rancœur chevillée à l’âme. Gilles Dyrek, maîtrise joyeusement ces conflits, ces disputes. Il évite, sur le fil du rasoir, les drames qui pourraient devenir sinistres et ramène toujours l’espoir.
Dans Noël au balcon qui vient d’être créé au Café de la Gare, il nous fait la démonstration brillante que nous pouvons tous sortir indemnes, ou presque, de toutes les situations désespérées.
Grand-mère grincheuse, grand-père tendance alcoolo, père volage, ado en crise, enfant capricieux, mari maladroit, femme surmenée, sœur instable, tous les spécimens de fauteurs de mésentente sont réunis pour Noël dans deux familles différentes, mais qui vont se retrouver sur les balcons de leur résidence. La dinde est trop sèche, la bûche renversée, le Père Noël a sifflé trop de champagne et Anne-Cécile est prête à accoucher…
C’est joyeux, dynamique, caustique, mais jamais méchant. Gilles Dyrek a de l’humour, un œil lucide sur ceux qui l’entourent, et de la tendresse pour ses personnages, ses pères paumés, ses femmes épuisées, ces hommes un peu balourds et tellement touchants, tellement naturels…
Les Éditions de la Traverse ont la bonne idée de publier le texte de cette pièce. Découvrez-la, lisez-la, vous aurez envie de la voir… ou de la jouer.
Noël au balcon de Gilles Dyrek
Fréquence Théâtre N°58, prix : 12, 50 €
Éditions de la Traverse
En ce moment au Café de la Gare à Paris dans une mise en scène de l’auteur.
22:57 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | | Imprimer
Les qualités d’un valet
Richard (Adrien Melin) et Sally (Alexie Ribes) attendent Tony (Xavier Lafitte) qui vient de rentrer en Angleterre après avoir passé cinq ans en Afrique. Il vient d’hériter de son père. La maison est tellement sinistre, que son ami Richard la compare à une morgue (Décor, Sophie Jacob). Mais heureusement, Tony embauche Barrett (Maxime d’Aboville)qui sait tout faire. Cuisine, ménage, décoration, tout est sous sa « responsabilité ». Une perle qui ne voulant pas payer d’impôt, se contente d’un salaire modeste ! Et les qualités du valet compensent la mollesse du maître qui s’est juste donné la peine d’hériter !
Mais très vite Sally, qui est amoureuse de Tony, entre en conflit avec ce valet. C’est d’abord, juste un malaise à propos d’un bouquet d’iris qu’il laisse dans l’entrée, puis elle se rend compte que le parfait serviteur « exploite la faiblesse » du maître. Bientôt, Tony engage, sur les recommandations de Barrett, une jeune employée de maison, Véra (Roxane Bret) afin que son valet ait moins de travail. Et quand Richard suggère à son ami de se séparer de Barrett, Tony prétend que celui-ci le « protège contre ce monde froid et brutal ». Enfin Véra, provocante, aguicheuse, voulant « être aimée comme tout le monde », se glisse dans le lit de Tony alors qu’elle roule déjà dans celui de Barrett.
Que voulez-vous qu’il advienne ? Dans cette atmosphère trouble éclairée par les lumières de Jacques Rouveyrollis, les situations ambiguës se dégradent, la lumière monte avec les tensions. Surpris dans leurs ébats sexuels, Véra et Barrett doivent quitter les lieux. Mais la trêve dure peu. Tony ne peut se passer de Barret et accepte tout. Barrett revient, avec une nouvelle fille Kelly (Roxane Bret), plus vulgaire que la précédente. Tony accepte de partager avec son valet, le lit, la table, les jeux, les mots croisés, tout…
L’auteur, Robin Maugham, noue des fils démoniaques impossibles à rompre. Peu à peu s’installent des sentiments pervers. On boit beaucoup, et le metteur en scène, Thierry Harcourt, guide avec flegme ses interprètes vers le désordre et la déchéance. Les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz évoquent la fin des années 50, la bande son de Camille Urvoy recrée une atmosphère jazzy de ces années-là. L’insouciance s’estompe dans l’inquiétude, puis le dégoût. Le trio élégant du début a disparu. L’ami dévoué, Richard, après une dernière tentative, renonce à sauver Tony de l’abime où il a choisi de s’enfoncer. « Oublie-moi », dit Tony, sourire froid, regard indifférent, impatient de rejoindre ses acolytes pour l’infernale triangularité. Il reste seul en scène comme envouté par l’appel de ses complices.
Ainsi Faust fut perdu par Méphisto, ainsi Othello fut ruiné par Iago, ainsi s’égarent les âmes faibles… On en connaît encore aujourd’hui.
Photo : © Brigitte Enguerand
The Servant de Robin Maugham
Traduction de Laurent Sillan
Mise en scène de Thierry Harcourt
Théâtre Poche-Montparnasse
Du mardi au samedi 19 h, dimanche 17 h 30
01 45 44 50 21
00:15 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montparnasse; robin maugham, thierry harcourt. | Facebook | | Imprimer