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13/02/2015

Pêcheurs et prêcheurs en eaux troubles

 

Théâtre de l'Etoile du Nord, le Poulpe, Abbi PatrixVous connaissez sans doute Gabriel Lecouvreur dit « Le Poulpe » à cause de ses grands bras  mobiles qui assomment ses adversaires. Le personnage, créé par Jean-Bernard Pouy, a maintenant plus de vingt ans et deux cent quatre-vingt six aventures au compteur. Défenseur de causes perdues, pourfendeur de nazis et autres associés, grand amateur de bières et de vieux coucous déglingués, Le Poulpe est un anarchiste qui traîne dans des coups pas très politiquement corrects où il remet à leur place les fauteurs d’injustice. Depuis 1995, Le Poulpe est réinventé régulièrement par des auteurs différents. Ils se laissent guider par leur affinités mais obéissent à des règles précises : celle du fait divers, et de la contrainte, naissent de périlleuses et savoureuses entreprises. 

La quartier général du Poulpe est le rade de Gérard, Le Pied de porc de Sainte-Scolasse, et c’est sans doute à ce comptoir que Abbi Patrix le conteur, justicier à ses heures, Phil Reptil (guitare et musique électroacoustique) et Vincent Mahey (musicien, ingénieur du son) se sont retrouvés pour inventer un nouvel épisode à ses aventures.

Tous les trois nous emmènent jusqu’à l’île de La Réunion, en passant par Rungis et retour chez Gérard pour un "polar électro-conté". Pas de combat spectaculaire, tout est dans les mots, la voix, la musique et une bande son hautement suggestive. On entend les rumeurs de Rungis, les  tumultes des foules subjuguées par un prêcheur, les chants des oiseaux, les gazouillis du ruisseau, les vrombissements des moteurs, les craquements du bateau. C’est inventif, concret, dynamique et jubilatoire.

À la fin, le prêcheur et les pêcheurs en eaux troubles sont punis et Le Poulpe mérite toute notre reconnaissance.

Allez-y, ça change des classiques et le trio, sur scène vaut le voyage !

 

Photo : © Philippe Stisi

 

Le Poulpe de Julien Tauber

Théâtre de l’Etoile du Nord

01 42 26 47 47

mardi, mercredi et vendredi à 20 h 30

jeudi à 19 h 30

samedi à 17 h

 

Autour du spectacle :

Les mardis à 19 h 30, Julien Tauber vous accueille avec ses musiciens invités : Linda Edsjo percussionniste, Alexandra Grimal, saxophoniste, Florent Colautti, « artiste protéiforme ».

Les mercredis : le 18 février : Jean-Bernard Pouy, créateur du personnage de Gabriel Lecouvreur, dit Le Poulpe.

                       Le 25 février : Hervé Sard auteur du dernier Poulpe : La Catin habite au 21.

Les jeudis : « Bords de scène » avec l’équipe artistique.

Les vendredis : « After musical » avec, le 20 février : Tarik Chaouach,

                       Le 27 février : Girafe et Bruno Girard.

Les samedis : « Paroles de quartier », atelier de création dès 14 h (01 42 26 29 21), où, à partir de faits divers, les spectateurs écriront de courts récits répondant à la question : « Que ferait le Poulpe dans ce cas-là ? »

 

À lire pour mieux connaître Gabriel :  La Petite Écuyère a cafté de Jean-Bernard Pouy,

Arrêtez le carrelage de Patrick Raynal

Nazis dans le métro de Didier Daeninckx

Chili incarné  de Gérard Delteil

L’Amour tarde à Dijon  de Jacques Vallet

Etc.

 

11/02/2015

Fin d'été à la campagne

 

 

Comédie-Française, Les Estivants, Théâtre, GorkiComme tous les étés,  Bassov l’avocat (Hervé Pierre) a loué une grande datcha, pour sa famille, sa femme Warwara (Sylvia Bergé), sa sœur Calérie (Anne Kessler), son jeune beau-frère Vlas (Loïc Corbery).

Il y reçoit ses amis, l’écrivain Chalimov (Samuel Labarthe) en panne d’inspiration, et le propriétaire Rioumine (Alexandre Pavloff) secrètement amoureux de Warwara. Les Doudakov, Cyrille (Michel Favory) et sa femme Olga Doudakov (Martine Chevallier) ont loué, à proximité une plus petite datcha. On y reçoit aussi les Souslov, Piotr (Thierry Hancisse), sa femme Youlia (Céline Samie), qui flirte effrontément  avec Nicolas (Pierre Hancisse). Leur oncle  Doublepoint (Bruno Raffaelli), riche rentier, trouve cette bande de gens ennuyeux, mais par désoeuvrement, les fréquente assidûment. La saison estivale s’écoule lentement, entre « bavardages insupportables », pique-niques très arrosés, médisances, et « jérémiades » de ces petits-bourgeois et les commentaires fielleux des gardes (Christian Blanc et Jacques Connort). Mais Maria Lwovna (Clotilde de Bayser) doctoresse, par ses questionnements directs, sa sincérité, son attitude libre va briser les tabous.

Gérard Desarthe met en scène Les Estivants de Gorki, dans un espace ouvert planté de bouleaux (scénographie de Lucio Fanti) dont l’écorce dessine des figures humaines. Vlas ne déclare-t-il pas : « Mon père, un jour, a été un arbre » ? Et tous les ancêtres de cette terre ne surveillent-ils pas leurs descendants pusillanimes qui savent seulement se plaindre et jamais construire ? Ils sont tous prisonniers de leur veulerie, alors qu’il suffirait de vouloir pour changer leur monde. Leurs contradictions éclatent. Le mobilier de jardin est rouge, comme les praticables, sur lesquels à l’acte I on dit des vers ou joue du piano, et à l’acte II trône un bureau encombré de dossiers sur lesquels Vlas perd sa jeunesse et ses illusions.

Mais pour agir, il faut aimer. Et c’est Maria Lwovna qui, en aimant le jeune Vlas, bouscule cette petite société repliée sur elle-même. Alors,  les hommes comme Bassov, Souslov, Doudakov, Chalimov, apparaissent plus triviaux, imbus de leur virilité, misogynes et solidaires,"des porcs", regroupés côté jardin, tandis que Warwara, Maria, Calérie s’en éloignent, côté cour, choisissant de les quitter pour s’engager dans des œuvres positives. L'été s'achève, et avec Vlas et Doublepoint, elles vont donner un sens à leur vie.

La mise en scène de Gérard Desarthe éclaire l’œuvre et la magnifie. Les comédiens, dans le décor poétique, les costumes seyants (Delphine Brouard), interprètent avec une grande maîtrise des personnages ambivalents  aux émotions intenses.

Une belle réussite !

 

 

Photo :© Cosimo Mirco Magliocca

 

 

Les Estivants  d’après Maxime Gorki

Version scénique de Peter Stein et Botho Strauss

Version française de Michel Dubois et Claude Yersin

Mise en scène de Gérard Desarthe

Comédie-Française, salle Richelieu

www.comedie-francaise.fr

0825 10 13680

08/02/2015

« Deux femmes vêtues de deuil »

 

 

Théâtre, Théâtre de la Pépinière, Victor Hugo, Cristiana Reali, Philippe Calvario, Jean-Claude Jay, La reine Marie (Cristiana Reali), fille d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon est restée dans l’Histoire d’Angleterre sous le surnom de Bloody Mary. Qu’on juge donc de sa popularité ! Dans une nation déchirée par des guerres de religions, elle dut lutter contre des féodaux orgueilleux de leurs prérogatives, se défendre des accusations de bâtardise dans sa filiation, et accepter qu’on négocie son mariage comme une alliance politique et stratégique avec Philippe II d’Espagne. Pas question de romance, encore moins d’amour.

Or dans Marie Tudor, il est surtout question d’amour car Victor Hugo voit la Reine jeune et ardente. Passionnément éprise d’un aventurier napolitain, Fabiano Fabiani (Jean-Philippe Ricci) elle est aussi une femme trahie qui souffre. Simon Renard (Régis Laroche ou Pierre-Alain Leleu), légat du roi d’Espagne va se charger de démasquer le favori. Il a pour lui la cour et ses lords méprisants envers l’étranger, (Anatole de Bodinat, Stanislas Perrin, Pierre Estorges, Robin Goupil, Valentin Fruitier, Thomas Gendronneau) : « Quelle fête dans Londres, le jour de sa chute ! »Théâtre, Théâtre de la Pépinière, Victor Hugo, Cristiana Reali, Philippe Calvario, Jean-Claude Jay,

Et il a un autre atout dans son jeu. Il vient de découvrir que Fabiano Fabiani a séduit Jane (Jade Fortineau), une jeune orpheline que Gilbert (Philippe Calvario ou Benjamin Guillet), ouvrier ciseleur avait recueillie enfant et qu’il allait épouser. Simon Renard apprend aussi que Jane est l’héritière de Lord Talbot dont les biens ont été confisqués par le feu roi, et que Marie a distribués à… Fabiani. Gilbert soupçonne Jane de l’aimer moins. Elle ne répond à ses : « M’aimes-tu ? » que par de la « reconnaissance », alors que lui importe ce leitmotiv hugolien : « être aimé ». Mais leur ami Joshua (Jean-Claude Jay), porte-clés à la Tour de Londres,  semble veiller sur leur bonheur.

Théâtre, Théâtre de la Pépinière, Victor Hugo, Cristiana Reali, Philippe Calvario, Jean-Claude Jay, La « première journée » se passe dans un extérieur nocturne propice aux assassinats, près du pont de Londres où les protagonistes épient le traître Fabiani car « C’est la nuit que se défont les favoris des reines. » La scénographie d’Alain Lagarde cloisonne la scène de panneaux transparents propices aux reflets et aux ombres et joue avec les entrées de la salle. On y voit Fabiani en suborneur infâme et en criminel cynique. Les costumes sombres jouent sur l’atemporalité. Le drame est noué. Gilbert, mis au courant de la trahison, promet sa vie à Simon Renard.Théâtre, Théâtre de la Pépinière, Victor Hugo, Cristiana Reali, Philippe Calvario, Jean-Claude Jay,

Puis apparaît Marie, dans l’intimité de sa chambre, royale dans sa robe de lamé or. Et c’est un éblouissement. Cristiana Reali est une Marie Tudor tour à tour sensuelle, noble, mutine, hautaine : «  Qui es-tu, malheureuse créature, pour qu’une Reine s’occupe de toi ? », jalouse et perfide, «  Nous autres pauvres femmes, nous ne savons jamais au juste ce qui se passe dans le cœur d’un homme ; nous sommes obligées d’en croire vos yeux, et les plus beaux, Fabiano, sont quelquefois les plus menteurs. Mais dans les tiens, mylord, il y a tant de loyauté, tant de candeur, tant  de bonne foi, qu’ils ne peuvent mentir ceux-là, n’est-ce pas ? ». Elle sait être rieuse, cynique : « Si tu n’as pas de preuves, nous en ferons ! », lucide, « Tu es comme moi, tu résistes à toutes les preuves » dit-elle à Gilbert. Elle sait que son Fabiano, « trahis l’une et renie l’autre »,  et se montre déterminée : « Je veux qu’on ait peur, entends-tu, mylord ? Qu’on trouve cela splendide, effroyable et magnifique, et qu’on dise : c’est une femme qui a été outragée, mais c’est une reine qui se venge ! » Théâtre, Théâtre de la Pépinière, Victor Hugo, Cristiana Reali, Philippe Calvario, Jean-Claude Jay,

Mais elle hésite encore trois semaines et finalement fantasque, décide de le faire évader. Il est vrai que « le cœur de la femme est une énigme » douloureuse : « Devant l’échafaud, plus de jalousie, rien que l’amour… ». La flamboyante Marie et la  douce Jane ne sont plus que « deux femmes vêtues de deuil dans un tombeau », autour desquelles gravite une horde de mâles qui réclament vengeance. 

Si vous n’avez jamais assisté à Marie Tudor, c’est par celle, mise en scène par Philippe Calvario qu’il faut commencer. Le drame romantique s’y inscrit tout entier…

 

Photos :© Florian Fromentin

 

Marie Tudor de Victor Hugo

Théâtre de la Pépinière

Du mardi au samedi à 21 h, samedi à 16 h

www.theatrelapepiniere.com

01 42 61 44 16