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05/06/2008

Figaro sans frontières

     La nuit est épouvantablement romantique, nuages noirs, obscurité funèbre et les quatre voyageurs sans bagages qui l’affrontent ont peur de se perdre. Un danger les presse. Les révolutionnaires ont assassiné le Roi, et les aristocrates sont promis au même sort. Quand la lune voilée éclaire enfin leur chemin, Figaro (Michel Vuillermoz) et Suzanne (Florence Viala) guident le Comte Almaviva (Bruno Raffaelli) et la Comtesse Rosine (Clotilde de Bayser) vers un pays plus tranquille.

     « Quel crime ai-je bien pu commettre ? » se lamente le Comte, qui ne comprend pas la colère du peuple, pas plus que la Comtesse ne réalise ce qui arrive. « Personne n’aurait pu imaginer » la Révolution… sauf Figaro qui raisonne, analyse, prévoit tandis que les maîtres dépossédés ne savent que se lamenter. Et Suzanne ? Elle se dévoue à Madame, en véritable serva amorosa, fascinée par les belles manières, et les belles paroles de sa maîtresse, cœur fidèle et tête de midinette. Elle n’a plus la répartie vive ni l’esprit astucieux de son modèle français.

     Mais est-on encore en France ? Et au XVIIIe siècle ? Le tableau suivant présente le poste de douanes où les fugitifs ont été conduits pour « passage illégal de la frontière ». Pas de repère spatial ni temporel dans ce banal bureau grisâtre où des préposés en kaki veillent sur l’ordre public. Figaro a beau reprendre des phrases entières du fameux monologue du Mariage de Beaumarchais, le spectateur doute d’être en 1793. Le roi assassiné est-il Louis XVI, ou Alexandre II de Yougoslavie ? Au tableau suivant qui s’ouvre sur la terrasse d’un palace alpin, les costumes évoquent plutôt les années 1930. Puis cette petite ville de Grande Bisbille, la bien nommée, où Figaro a installé son salon de coiffure et son désarroi conjugal, n’est elle pas située en Bavière, à l’heure où le nazisme prône une politique nataliste et exacerbe les xénophobies ?

     Cette révolution est-elle française, bolchevique, ou fasciste ? Le Comte et la Comtesse ressemblent aux maîtres de La Cerisaie, qui, se berçant d’illusions, égarés dans leur nostalgie du passé sont incapables au présent, de prendre des décisions raisonnables. Ils sont aussi les frères des personnages de Bernstein qui s’aveuglent quand le danger est à leur porte. En quelques scènes exemplaires, est brossé le tableau navrant d’une société étriquée, nourrie de préjugés. Voyez la sage-femme plutôt sympathique (Claude Mathieu), le garde forestier bellâtre (Gilles David), la médisante Joséphine, (Christian Cloarec) et l’ambigu Professeur (Roger Mollien). Loïc Corbery douanier autoritaire au second tableau, interprète ensuite une juriste inquiétante et Pierre Louis Calixte, lui aussi douanier, sera un noctambule mélancolique. Ils sont tous parfaits. Sur le bel espace scénographique créé par Géraldine Allier, les lumières de Frank Thévenon projettent des ombres portées gigantesques en guise de signaux d’alarme. L’atmosphère est sinistre, presque terrifiante.

     Dans la mise en scène éblouissante de Jacques Lassalle, la musique de Mozart illustre les premières scènes, elle est ensuite remplacée par des valses tyroliennes, puis par le refrain de la Belle équipe (1936), et la pièce se clôt sur une chanson interprétée par Zarah Lander, l’égérie nazie des romances sentimentales. Une telle partition musicale (signée Jean-Charles Chapon) suit l’itinéraire d’Ödön von Horváth qui se définissant lui-même comme « apatride » nous promène dans le temps et l’espace. Avec Figaro divorce, il fait du premier héros romantique français, le Figaro de Beaumarchais, un Figaro sans frontières. Figaro n’a pas de patrie : il est universel comme le théâtre d’Ödön von Horváth. Au spectateur de « distancer » lui-même !

    Figaro, seul, comprend que le vieux monde vacille. Quand l’humanité prend l’eau, que le vent de l’arbitraire souffle sur tous les gouvernements, il faut sauver sa peau et protéger ceux qu’on aime. Spinoza, disait qu’il « n’y a pas de loi plus haute que d’assurer sa sécurité ». Cette leçon méritait bien que Muriel Mayette inscrive l’œuvre au répertoire de la Comédie-Française ! C'est justice pour un chef d'oeuvre d'entrer dans le premier Théâtre de France. Jacques Lassalle, inspiré, réalise ici, une de ses meilleures mises en scène.

     Là où Lopakhine a échoué, Figaro réussit. Il ne sera pas propriétaire du domaine d’Almaviva, mais son intendant et le Comte décavé, qui n’a « rien appris, rien oublié », pourra y attendre une mort paisible.

     Chez Ödön von Horváth, il n’y aura pas de Mère coupable, puisque la comtesse meurt, que Chérubin (Serge Bagdassarian) tient une boîte de nuit sortie d’un tableau de Hopper et qu’il compose des chansons d’amour pour Suzanne. Laquelle se réconcilie avec Figaro dans le château du Comte transformé en orphelinat. Le vieil Antonio, comme Firs, regrette le passé. Pédrille (Denis Podalydès) fanatique bouffi d’orgueil deviendra un vrai poivrot, et Fanchette (Judith Chemla), sans doute une matrone. « La corruption a triomphé », et l’homme nouveau tarde à venir, mais pas les beaux discours sur « la race future, vigoureuse, joyeuse, libre et bien trempée ». La pièce de Beaumarchais portait l'espoir des lendemains, celle d'Ödön von Horváth, ronge de pessimisme ironique toutes les utopies.

Mais comme la Révolution n’est pas finie, est-il permis d’espérer ?

Figaro divorce d’Ödön von Horváth

Traduction de Henri Christophe et Louis le Goeffie

Comédie-Française

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03/04/2008

À la bonne franquette

     On savait qu’en France tout finissait par des chansons. Le bon peuple, quand il n’est pas populace, met en couplets et en musique les petits et grands événements de notre Histoire et quelquefois, au péril de la censure, se paye la tête des héros glorieux comme des sinistres crétins.

     Le rire est quelquefois plus  efficace qu’un cocktail Molotov pour résister. Nos ancêtres dégoupillèrent souvent le premier, et des bateleurs du Pont-Neuf aux chansonniers actuels, ils déboulonnèrent les Badinguet et les faux-culs de tous poils (si j’ose m’exprimer comme eux).

     Claude Duneton, historien de la langue et des mœurs, est aussi celui des refrains populaires, et il en présente un recueil caustique dans La chanson qui mord, un spectacle sans autre prétention que de distraire et d’instruire. Il nous reçoit comme des amis, à la bonne franquette, sans piano et sans trompette. Il raconte, Catherine Merle, violoniste et soprano renchérit,.Il chante, elle reprend d’une voix plus haute, plus ample, et les spectateurs sont sollicités au refrain. C’est un « spectacle participatif présent », une leçon de parodie autant que d’Histoire.

     Desaugiers, Béranger et Fursy, chansonniers du XIXe siècle en sont les dieux. Claude Duneton en est le  prophète, et nous, qui sommes tous des "ricaneurs tendance libertaire", nous sentons prêts à en devenir les disciples.

La chanson qui mord jusqu’au 20 avril à 18 h 30 Théâtre du Rond-Point 095 98 21

Jour de colère à Haïti

     C’était un roman de Marie Vieux-Chauvet, Amour, colère et folie, José Pliya l’a adapté pour la scène et n’a gardé que le premier mot : Amour. Il contient tous les autres. Le monologue de Claire (Magali Denis Comeau) explique comment naît le désir, la perversité, la rancœur, la vengeance lorsque l’amour est frustré. La mise en scène de Vincent Goethals rompt le récit de Claire par l’apparition d’un danseur, Cyril Viallon, dont le corps, les mouvements, (sur des concertos de Beethoven) sont à la fois l’image du désir et la personnification d’un réel refusé.

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« Le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l’humanité », écrivait Bergson. Ce danseur est le fruit défendu.

     Claire est, dans une famille de « sangs mêlés », l’aînée des trois sœurs Clamont, la vieille fille qui s’est sacrifiée pour élever la petite Annette. Elle veille aussi sur la faible Félicia et, « tient les rênes de la maison », « héritage indivis » d’une famille fortunée d’Haïti. Félicia est mariée à Jean Luze, et les deux autres sœurs convoitent le seul mâle blanc de la maison. Dehors, rôde un autre mâle, une brute de tonton macoute qui viole, pille, menace. Car à la violence dissimulée de la société familiale, répond la violence d’un régime corrompu qui répand la terreur. Claire après avoir été « metteur en scène du drame » familial, deviendra, un jour de colère, l'exécutrice du criminel.

     La vidéo de Janluk Stanislas montre l’intime en gros plan, la création sonore de Bernard Valléry suggère l’émeute extérieure. Les lumières de  Philippe Catalano distillent un jour lumineux derrière des stores de bois et montrent le renfermement de la famille. La scénographie de Jean-Pierre Demas ménage des courbes dans les murs blancs, des endroits dissimulés, des secrets.c7877ee33787bf5116306f9b1f0f97b1.jpg

     Claire, porte une longue robe de coton écru à col officier, vêtement strict pour une fille bien gardée, mais qui la suffoque et que dans ses émotions, elle dégrafe. L’homme est en costume de lin blanc, ou de soie noire. Torse nu pour la sensualité, veste pour la représentation sociale (Costumes Dominique Louis et Sohrab Kashanian), l’image porte plus loin un verbe charnel, que la voix de Magali Comeau Denis érotise.

     C’est toute l’âme d’un peuple qui parle par sa bouche.

 Phtos Eric Legrand

Amour de José Pliya

d’après le roman de Marie Vieux-Chauvet Amour, colère et folie

Le Tarmac

Jusqu’au 19 avril

01 40 03 93 95