Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/09/2014

Tout est possible !

 

  

théâtre,théâtre de la tempête,philippe adrien,jean-louis bauerFinies les saignées ! Terminés les lavements ! La médecine moderne est branchée. Et le malade imaginaire du XXIe prend ses ordonnances sur Internet, investit sa fortune dans les start-up médicamenteuses, et, comme au XVIIe, devient la proie de tous les charlatans…

Partant de ce postulat, Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien vont laisser galoper leur fantaisie et transformer la comédie de Molière en farce déchaînée : La Grande Nouvelle.

Notre Argan (Patrick Paroux), vient d’apprendre « une grande nouvelle », l’homme pourra « vivre jusqu’à mille ans ! ». Il y croit, il y est préparé. Dans sa maison régie par une domotique capricieuse, Argan embauche un factotum, Antoine (Pierre Lefebvre) qui se révèle fort en informatique, capable aussi bien de déboucher les toilettes que de repeindre les murs, de court-circuiter l’ensemble afin de freiner les volontés du maître.

Antoine est en réalité un ami de Charly (Arno Chevrier), amant d’Angèle (Lison Pennec), fille d’Argan, dans laquelle vous avez reconnu… le personnage d’Angélique, la fille à marier de la pièce de Molière et dans Antoine, l’impétueuse Toinette.théâtre,théâtre de la tempête,philippe adrien,jean-louis bauer

Béline, la seconde femme d’Argan est devenue Aline (Nathalie Mann). Elle sort d’une chirurgie lourde accompagnée d’un psy coach (Jen-Charles Delaume qui joue aussi Thomas Dupont alias Diafoirus chez Molière). Ce dernier doit « encadrer et dynamiser le processus de son nouveau schéma corporel ». On comprend vite qu’elle ne s’est pas contentée de refaire « les seins et les tétons », mais qu’elle est aussi passée « d’un genre à l’autre ». Car aujourd’hui, « il y a des opérations pour tout. »

Marc, le frère d’Argan, (Jean-Marie Galey qui joue aussi Dupont père) médecin lui-même, est atteint d’un « crabe » sournois qui lui laisse peu d’années à vivre,  et il ne croit pas aux miracles. Pourtant, avec l’aide d’Antoine déguisé en prêtresse du vaudou, avec la volonté amoureuse d’Angèle, les miracles de la technologie et la naïveté d’Argan, tout se termine bien, personne n’est ruiné, et Angèle se fera obstétricienne, car « tout est possible ! »…

théâtre,théâtre de la tempête,philippe adrien,jean-louis bauerLa démesure étant le propre de la farce, Philippe Adrien et Jean-Louis Bauer utilisent toutes les informations que les découvertes scientifiques et techniques autorisent. La scène, lieu des conflits, devient aussi l’espace de toutes les divagations. Dans un décor de Jean Haas, les vidéos d’Olivier Roset convoquent des monstruosités délirantes.

À l’écran, les prestations de Dominique Boissel, Nadège Gbouhouri, Dominique Gould, Ylin Yang, Maxime Lefrançois déclenchent des rires libérateurs. Les costumes de Cidalia Da Costa jouent ironiquement avec les couleurs. Musique et son (Stéphanie Gibert), chant (DomPaulin), mouvement (Maïmouna Coulibaly) rythment la sarabande des égarements… que les comédiens interprètent avec un sérieux qui brise toutes les réticences. Mention spéciale à Pierre Lefebvre pour la fureur de ses transes. C’est « hénaurme » et on s’amuse… énormément !

« Mille ans », mais, ajoute Argan, « pas pour tout le monde ! » Cependant, La Grande Nouvelle peut être vue et comprise par tous !

 

 Photos :  Copyright Antonia Bozzi

 

La Grand Nouvelle de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien

Mise en scène de Philippe Adrien

d’après Le Malade imaginaire de Molière

Théâtre de La Tempête

Jusqu’au 12 octobre

Du mardi au samedi à 20 h, le dimanche à 16 h

11/06/2014

Pour Jacques Herlin

 

Théâtre, télévision, cinéma, Jacques HerlinIl avait presque 87 ans, et la saison dernière, il jouait encore dans Des souris et des hommes de Steinbeck au Théâtre 14. Il venait de tourner pour France 2 dans La Rue des ravissantes, d'après une nouvelle de Boris Vian. Nous le verrons donc encore à la rentrée.

Mais, Le comédien Jacques Herlin (né au Vésinet le 17 août 1927)est décédé le samedi 7 juin.

Acteur de théâtre, de cinéma et de télévision, il a joué pour le théâtre, avec de grands noms (Pierre Fresnay, Laurent Terzieff, Pierre Brasseur, Jacques Mauclair, Jean-Louis Barrault, Hermantin...), des textes de grands auteurs (Molière, Montherlant, Shakespeare, Tchekhov, Ionesco, Goethe, Romains, Wilde, Steinbeck...).

Au cinéma il a tourné avec   René Clément, Edouard Molinaro, Jean-Jacques Beineix, Philippe Labro, Claude Miller, Philippe de Broca, James Ivory, Didier Bourdon, Albert Dupontel, Luc Besson, Jean Veber, Pierre Boutron, Ridley Scott, Graham Guit ...

Pendant une vingtaine d’années, installé en Italie, il a travaillé sous la direction de Federico Fellini, Lucchino Visconti, Franco Rossi, Dino Risi, Luigi Comencini...

Pour la télévision, il a tourné avec Peter Kassovitz, Laurent Heynemann, Serge Moatti, Josée Dayan, Claude Grinberg, Didier Lepecheur...

Jacques Herlin a joué en particulier dans Beckett ou l’honneur de Dieude Jean Anouilh, au Théâtre de Paris avec B. Giraudeau. Il était à l’affiche de Léonce et Lenade Büchner à l’Odéon, mise en scène André Engel, Le Jugement Dernierà l’Odéon, mise en scène André Engel, Objet Perdu mise en scène Didier Bezace, et Rutabaga Swingmise en scène Philippe Ogouz, au Théâtre 13.

Depuis 2002, Jacques Herlin était Candy (en alternance) dans Des souris et des hommes de Steinbeck, mise en scène par  Jean-Philippe Evariste et Philippe Ivancic (Théâtre 13, Théâtre 14, tournées).

En 2010, il a interprété le rôle de frère Amédée sous la direction de Xavier Beauvois dans Des Hommes et des Dieux, grand prix du jury au Festival de Cannes 2010. En 2012, dans Les Adieux à la Reinede Benoît  Jacquot, il incarnait le Marquis de Vaucouleurs.

Pour lui, tous les personnages étaient importants, et il n'y avait pas de "petits rôles". 

 

08/06/2014

Lucrèce Borgia travestie.

 Ils sortaient de la représentation de Lucrèce. Et ils discutaient ferme. J'en restitue ici le dialogue...

 

 - Quelles merveilles ces décors nocturnes ! La scénographie d’Éric Ruf plante trois décors splendides ! Tout à fait hugoliens. Et les costumes de Christian Lacroix sont superbes.

- J’en conviens. Mais Je comprends mal que le rôle-titre de Lucrèce Borgia ait été confié à Guillaume Galienne. Il était exceptionnel dans Oblomov,  dans Saint François le divin jongleur.

- Vous l’aviez adoré en travesti dans Feydeau et dans Les Garçons et Guillaume à table !  Denis Podalydès pour sa mise en scène, voit, dans ce travestissement « moins une femme jouée par un homme qu’une femme enfermée dans une apparence qui n’est pas la sienne, qui la contredit, la défigure ». Vous savez que Hugo lui fait dire qu’elle  « n’était pas née pour faire le mal », que c’est l’Italie qui est « fatale et criminelle », qu’elle est entourée de « parents sans pitié », et qu’elle voudrait « racheter son passé ». Cette femme est l’incarnation de l’ambivalence.

- Oui, mais pas de l’ambiguïté. Quand Gennaro lui dit « Vous êtes ma tante ! », la salle ricane. Et elle se retient de rire quand, à l’acte II, Lucrèce joue « le grand jeu » de la scène d’amour à son mari, parce que la situation comique devient équivoque. Lucrèce travestie, c'est, j'en ai peur, Lucrèce trahie.

- Mais sous savez bien que les rôles de femmes, du temps de Shakespeare étaient tenus par des hommes. Et au Japon…

- Nous ne sommes ni chez Shakespeare, ni dans le théâtre Nô. Les grands rôles dramatiques féminins romantiques furent écrits pour des comédiennes, monstres sacré(e)s du XIXe siècle, qui s’appelaient Mlle Georges, Mlle Mars, Marie Dorval, Rachel. Pour Lucrèce il faut une « prima donna ».

- Pour contrebalancer, le metteur en scène confie le rôle de Gennaro à Suliane Brahim qui est très émouvante et on comprend que sa mère ait envie de la… le protéger.

- J'admets. Cependant, a-t-elle la carrure de ce « capitaine aventurier », qui a sauvé Hercule d’Este, et est « au service de la république de Venise » ?

- Vous oubliez Aymerillot qui délivre Narbonne et que Hugo décrit ainsi :

         « Une espèce d’enfant au teint rose, aux mains blanches, 


         Que d’abord les soudards dont l’estoc bat les hanches


         Prirent pour une fille habillée en garçon, 


         Doux, frêle, confiant, serein, sans écusson


         Et sans panache, ayant, sous ses habits de serge, 


         L’air grave d’un gendarme et l’air froid d’une vierge. »[1]

         - Mais Charlemagne n’est pas le Doge de Venise. Et Suliam Brahim « déguisée en garçon », semble bien trop fragile pour être « capitaine » de guerre. Peut-être que la vision d’Othello, mercenaire de Venise m’influence et que, dans mon souvenir, s'est gravée l'interprétation admirable d'Éric Ruf qui jouait Gennaro en 1994, et qui est maintenant le Duc de Ferrare. Pour mémoire, Albert Lambert fils, en 1902, jouait le jeune premier des Burgraves, et en 1927, il devint Job, le vieillard. Ce  passage d’un rôle à l’autre, du jeune homme à l’homme mûr, témoigne parfaitement de la continuité, la cohésion, l’harmonie de la troupe.

     -  - Vous l’aimez bien cette troupe.

 

 

        - Et qui ne l’aimerait pas ? Elle est extraordinaire ! N’avez-vous pas apprécié le bel ensemble que forment Jeppo (Éric Génovèse), Maffio (Stéphane Verupenne), Astolfo (Eliot Jenicot), Oloferno (Benjamin Lavernhe), Apostolo (Sébastien Pouderoux), ces beaux jeunes gens fêtards promis à la mort ? Combien Gilles David, le sicaire Rustighello est cauteleux et inquiétant ? Ne trouvez-vous pas que Christian Hecq compose un diabolique Gubetta, cristallisant haine, humour noir, grotesque et sublime ? Et ne trouvez-vous pas que Georgia Scalliet avec sa robe rouge et ses longs cheveux bouclés aurait fait une magnifique Lucrèce ?

         - Maintenant que vous me le dites… Toutefois, il me semble que Hugo n’aurait pas dû retarder autant l’aveu final :  « Je suis ta mère ».  Le procédé paraît invraisemblable.

         - Vous vous souvenez du Jeu de l’amour et du hasard.

         - Évidemment. Mais je ne vois pas le rapport.

         - Combien de temps attendez-vous pour que Dorante avoue : « C’est moi qui suis Dorante » ?

         - Deux actes.

         - Et Silvia, quand se dévoile-t-elle ?

         - Au troisième et dernier acte. Et à la dernière scène.

         - De plus, connaissez-vous, au XIXe siècle, beaucoup de pièces sur l’inceste ?

         - Il y a bien Dommage qu'elle soit une putain de John Ford, mais c'est au XVIIe… Aucune au XIXe.

         - Et sur l’aveu de l’inceste ? Surtout à l'enfant qui en est le fruit ?

         - Aucune. Peut-être au cinéma…

         - Au cinéma ! Alors, Hugo serait donc moderne. Tenez, j’en veux pour preuve cette réplique de Gennaro qui se confie à Lucrèce au premier acte, scène 5 :« Cela est étrange de se livrer ainsi au premier venu ».  N’y aurait-il pas une parenté avec cette pauvre Blanche Du Bois, qui dit : « s’en remettre à la gentillesse des inconnus » dans Un tramway nommé Désir ?

 

Lucrèce Borgia de Victor Hugo

Comédie-Française, salle Richelieu

Jusqu’au 20 juillet.

0825010 1680

 

www.comedie-francaise.fr

 

 

 

 

        

        

 



[1] -  Victor HugoLa Légende des siècles,  « Aymerillot ».