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12/04/2011

Un couronnement

 

Il est bien organisé le petit commerce de Jonathan Peachum (Bruno Raffaelli), qui, secondé par sa femme Celia Peachum (Véronique Vella), métamorphose les chômeurs en infirmes pour aller mendier dans les rues de Londres, quadrillée par secteurs afin qu’ils ne se fassent pas concurrence. La charité, la respectabilité et la religion protègent l’organisation de la famille. Aussi, jugez de la colère des parents quand ils apprennent que leur fille unique, Polly (Léonie Simaga) s’est mariée avec Mackie Messer (Thierry Hancisse), tueur et chef de gang ! Les Peachum le dénoncent à la police !

Oui, mais le chef de la police, que les truands appellent Tiger Brown (Laurent Natrella), est un pote de Mackie. Ils ont fait les Indes ensemble ! Qu’à cela ne tienne ! Il reste, pour le dénoncer, toutes les femelles que Mackie a trompées : Lucy (Marie-Sophie Ferdane) qui se dit enceinte de ses œuvres, ainsi que Jenny-la-Bordelière (Sylvia Bergé) et les filles de son bordel. Solidarité féminine oblige ! Et Mackie sera pendu. Mais c’était sans compter sur l’événement du jour : le couronnement de la Reine qui exerce son droit de grâce…

Quand « les messagers du roi [arrivent] au bon moment », tout finit bien. Mais Peachum prévient le public : en réalité, « la vie finit mal », et « le monde est dur ». La pègre pourra prospérer tant que les gueux se soumettront à ses lois, que les puissants fermeront les yeux sur les trafics d’influence, et « qu’aucune somme d’argent ne saurait inciter [les juges] à rendre une justice équitable. ».

Laurent Pelly, le metteur en scène, qui signe aussi les costumes, nous fait découvrir un Opéra de quat’sous nouveau, avec des chansons qu’on n’avait pas encore entendues, et des voix que nous n’avions pas coutume d’entendre, comme la délicieuse voix de soprano de Léonie Simaga, « fiancée du pirate ». Il nous égare dans des décors qui se transforment à vue (scénographie de Chantal Thomas), et toute la troupe de la Comédie-Française est mobilisée pour que cette « entrée au répertoire » donne le frisson aux spectateurs. Les seconds couteaux sont tenus par des grands, Jérôme Pouly (Matthias), Serge Bagdassarian (Le Pasteur, le chanteur), Stéphane Varupenne (Walter), Nâzim Boudjenah (Smith), Félicien Juttner (Jacob), Pierre Niney (Robert), Jérémy Lopez (Jimmy), les élèves comédiens de la Comédie-Française, et la troupe de Laurent Pelly (Florence Pelly, Angélique Rivoux, Mélody Marie-Calixte). Bruno Fontaine dirige treize musiciens avec maestria, et le lumières de Joël Adam se jouent des combats de l’ombre.

Pour un couronnement, c’en est un ! La soirée est inoubliable !

 

 

  

 

 

 

Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht

Traduction de Jean-Claude Hémery

musique de Kurt Weill

Comédie-Française en alternance

Salle Richelieu

08 25 10 16 80

10/02/2011

Désir d’orient

 

 

 

 

En France, ce fut le film d’Elia Kazan, Un tramway nommé Désir qui révéla Tennessee Williams au grand public, au début des années 50. Depuis, bien des mises en scène de la pièce se sont succédé, mais aucune ne peut faire oublier le regard halluciné de Vivian Leigh et les muscles de Marlon Brando, saillants sous le maillot humide de sueur. Aussi, le spectateur est-il dérouté, quand Lee Breuer, pour l’entrée de la pièce au répertoire de la Comédie-Française, cède à un désir d’Orient et en donne une lecture japonisante.

Blanche Dubois (Anne Kessler), fille de propriétaire ruiné, demande asile à Stella sa sœur (Françoise Gillard), mariée à un prolo, Stanley Kowalski (Éric Ruf). Le logement de la Nouvelle-Orléans est petit, peu confortable, les potes de Stanley, Pablo (Christian Gonon), Steve (Bakary Sangaré), Mitch (Grégory Gadebois) envahissants, la voisine Eunice (Léonie Simaga) pas très discrète, et Stella est enceinte. Des querelles éclatent continuellement. Des désirs taraudent les uns et les autres. Stanley ne va pas tarder à découvrir la vérité sur Blanche et il précipite la déchéance de sa belle-soeur.

Alors que piano, trombone, saxo, guitare, lient les scènes par un jazz-band, très couleur locale, le metteur en scène, refusant le réalisme et la touffeur de la Louisiane, dirige une scénographie tout en tréteaux, cloisons, écrans peints, panneaux mobiles. Comme Blanche Dubois, Il veut "de la magie". Il utilise les avant-scène et les sorties vers la salle, les trappes comme au kabuki et les servants masqués du bunraku, qui au lieu de manipuler les marionnettes, apportent les accessoires aux protagonistes. Le mouvement du décor place les situations dramatiques dans une instabilité perpétuelle.

Le désordre inscrit dans l’espace figurerait-il celui, psychologique, de Blanche ? Mais où est la promiscuité qui génère les tensions dans le deux-pièces minable des Kowalski. Trop de beauté dans les tableaux, les costumes (Renato Bianchi), les lumières (Arnaud Jung) contredisent le texte. La traduction de Jean-Michel Déprats n’est pas en cause. Le parti pris du metteur en scène contraint les comédiens à des afféteries inutiles. L'utilisation de micros aggrave cette impression.

Grégory Gadebois et Françoise Gillard gardent leur naturel et c’est alors un vrai plaisir de retrouver l’atmosphère sensuelle et colorée de ce Sud troublant.

 

 

 

 

Un Tramway nomme Désir de Tenessee Williams

Traduction de Jean-Michel Déprats

Comédie-Française

Du 5 février au 2 juin

www.comedie-francaise.fr

 

 

31/01/2011

La bataille de l'École des femmes

 

 

 Entre le goût du public et celui des critiques, il y a souvent un hiatus, et quelquefois un fossé !

Et ce n’est pas nouveau… Déjà, le succès de L’École des femmes suscita  contre Molière des critiques haineuses et injustes.

L’auteur y répondit en écrivant La Critique de L’École des femmes, un acte qui mettait en scène, Climène (Elsa Lepoivre) une Précieuse scandalisée, un Marquis (Serge Bagdassarian) indigné, un auteur venimeux, Lysidas (Christian Hecq),  aux prises avec les défenseurs de la pièce, Uranie (Clotilde de Bayser), Dorante (Loïc Corbery), et Élise (Georgia Scalliet) qui feint délicieusement l’indécise. Mais c’est pour mieux piéger les imbéciles, mon enfant ! Et aussi attirer les regards et le cœur de Dorante, après la bataille...

Le jeu dure une heure, et il est rondement mené par Clément Hervieu-Léger, mettant en scène des comédiens rompus aux facéties de l'impromptu, dans un décor de coulisses, sans doute du Théâtre Italien si on en juge par la découverte du fond, qui laisse entrevoir les peintures des personnages de la Commedia.

Molière n’ayant plus rien à craindre la cabale, le metteur en scène cite d’autres auteurs qui s’amusèrent  à se gausser du « suivisme » des snobs, car ces sortes de gens ne jugent jamais par eux-mêmes, mais par ce qu'On leur a dit. Surtout quand ce On jouit de quelque notoriété. Les sorties de théâtre sont quelquefois très réjouissantes. Et c’est un réel plaisir de confondre ces gens-là !

 

 

 

La Critique de L’École des femmes de Molière

Studio-Théâtre de la Comédie-Française

Du mercredi au samedi à 18 h 30

Jusqu’au 6 mars

01 44 58 98 58