08/09/2017
Honnis soient qui mâles y pensent !
Vous pensiez qu’après Les Travailleurs de la mer et les pages sur l’île de Serq, Victor Hugo vous avait tout appris sur les îles anglo-normandes. Mais vous ne connaissiez pas encore Les Deux Frères et les Lions de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre qui s’inspire d’une histoire vraie. Il vous raconte, comment des frères jumeaux anglais, devenus milliardaires, ont remis en cause presque cinq cents ans de droit féodal régissant l’île de Brecqhou (qui dépend de l’île de Serq et de son seigneur) jusqu’en 2008. Une législation qui considérait la femme comme imbecilitas sexus et la privait de tous ses droits. Seuls les mâles héritaient, seuls ils pouvaient ester, bannir, tuer, les femmes n’avaient qu’à obéir. Honnis soient-ils…
Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre en répondant à une commande de la scène nationale de Cherbourg a découvert la rocambolesque histoire des deux frères issus d’un milieu populaire, et qui débutèrent comme vendeurs de journaux. Nous ne nommerons pas ici les frères dont il est question. Mais vous pouvez vérifier sur la Toile. Tout y est presque vrai, et rien n’est totalement véridique. Jouvet vous l’avait déjà affirmé: « Rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, de plus nécessaire que le théâtre. » Les Deux Frères et les Lions en sont la preuve.
Et les lions me direz-vous ? Vous les trouverez sur les armoiries et le drapeau de l’île de Serq, lions d’or sur fond de gueules. Puisque je vous dis que tout est vrai !
Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, l’auteur joue le frère aîné. Son jumeau, le soir où nous l’avons vu, était interprété par Lisa Pajon (en alternance avec Romain Berger). Les jumeaux ne se ressemblent pas. Mais ils sont vêtus de survêtements identiques, d’un bleu qu’ils nomment « étrusque », rayé de bandes sombres, modèle des années 1980. Ils s’accordent, vibrionnent, parlent en chœur, ou bien l’un complète les phrases que l’autre commence, et inversement. C’est un duo d’opéra qu’interrompent le rituel du thé, la danse, les déplacements. C’est un régal.
La mise en scène de Vincent Debost et de l’auteur – il sait tout faire cet arlequin ! – donne à l’ensemble un charme de ballet enjoué. Des projections vidéo, en découverte, ajoutent à la fascination qu’on éprouve pour ces deux autodidactes qui « ne lâchent rien ! », obstinés, rageurs, rancuniers et intelligents.
Ils parviennent à nous faire rire du capitalisme et à nous le rendre sympathique.
Les occasions d’en rire sont si rares que vous devriez vous y ruer.
photo © D. R.
Les Deux Frères et les Lions de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre
Théâtre de Poche-Montparnasse
www.theatredepoche-montparnasse.com
01 45 44 50 21
Depuis le 1er septembre jusqu’au 26 novembre
Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 17 h 30
21:23 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, humour, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre de poche-montparnsse, hédi tillette de clermont-tonnerre, histoire, îles anglo-normandes | Facebook | | Imprimer
02/05/2017
Stabat Filius
C’est un bon fils (Bruno Putzulu). Sa mère (Catherine Hiegel) perd la tête, mais il vient souvent la voir dans cette maison spécialisée où il a dû la placer. Elle ne le reconnaît pas toujours, mais elle en dit du bien. Elle le confond parfois avec le Directeur de l’établissement (Philippe Fretun), lequel essaie de gérer au mieux les conflits entre ses pensionnaires qui sont pour lui « une énigme ».
En six temps, qui commencent tous par : « Votre Maman », Jean-Claude Grumberg raconte le cheminement de la vieille dame vers la sénilité et la mort. C’est tragique, mais l’auteur excelle dans la dérision et l’humour se glisse dans les situations les plus pathétiques.
Ceux qui ont vécu les obstinations absurdes des vieillards, leurs reniements cocasses, leurs colères puériles, leurs attitudes belliqueuses savent combien toute explication est inutile. Catherine Hiegel en vieillarde vindicative, passe de la mine renfrognée au sourire enfantin et nous déchire le cœur. Elle est bouleversante de naturel, engoncée dans son manteau beige suranné (costumes de Cidalia Da Costa). Face à elle, Bruno Putzulu, en fils crucifié de chagrin et de doutes est sublime. Et Philippe Fretun compose un directeur plus stupide que méchant, dépassé sans doute par des problèmes que personne ne sait encore résoudre. Charles Tordjman les met en scène avec une grande pudeur, dans une scénographie simple, rythmée par les lumières de Christian Pinaud.
Cependant si Votre Maman est une pièce impressionnante, c’est que Jean-Claude Grumberg ne peint pas seulement le chemin de croix d’un fils et la progression inexorable d’un mal qui détruit les neurones. Cette vieille dame, qui ne sait plus qui est son enfant, revit le moment où elle a perdu sa mère. C’était un temps cruel de haine, de clandestinité, d’arrestations et de marches forcées. Le temps de Votre maman s’inscrit dans l’Histoire. Les persécutés gardent la mémoire de leurs peurs et des êtres chers dont on les a séparés. La mémoire ancienne est la dernière à s’effacer. Elle lui sera fatale.
Et nous, que ferons-nous « quand la dernière survivante » nous aura quittés ? Qui croirons-nous quand personne ne pourra plus témoigner et que la banalisation du Mal aura conquis les esprits ?
Et, d’ailleurs pourquoi parler au futur ? N’avons-nous pas atteint déjà ce stade ?
Avant de désespérer des hommes, allez voir Votre Maman, et continuez à agir pour que demain ne soit pas un cauchemar.
Photos © Ch. Vootz
Votre Maman de Jean-Claude Grumberg
Mise en scène de Charles Tordjman
Théâtre de l’Atelier
01 46 06 49 24
Depuis le 19 avril
Du mardi au samedi à 19h
(Exceptionnellement vendredi 16 et samedi 17 juin à 18h30)
En matinée le dimanche à 16h
(Relâche exceptionnelle le 23-29 avril, 7 mai, 13-14-15-21 juin)
14:27 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, culture, éducation, Histoire, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, j. c. grumberg, histoire, charles tordjman, bruno putzulu | Facebook | | Imprimer
Défendre la France
On parle beaucoup « défendre la France » ces temps-ci. Et certains accusent « les élites » de tous les maux ?
Les élites ?
Le mot « élite » aurait-il changé de sens ?
On m’a toujours appris que « l’élite » était l’ensemble des personnes les meilleures de la société. Qui, on ? Mon institutrice qui, - n’en déplaise à un ex-président de la République, - était bien plus importante pour moi que le curé, et ma mère qui était soucieuse que je réussisse mes études pour en faire partie. Ma grand-mère qui métaphorisait sans le savoir, parlait de « crème », ou de « gratin », et elle s’y connaissait en cuisine !
Le Dictionnaire historique de la Langue Française m’apprend que le mot « élite » apparaît au XIIe siècle, sous la plume de Chrétien de Troyes, par substantivation du participe passé du verbe élire qui donne « eslit »; élire, c’est donc choisir parmi les hommes et les femmes, celui, celle, ceux qui sont les plus aptes dans un domaine donné. Dès le XIVe, « élite » s’emploie pour désigner des personnes considérées comme les meilleures dans un groupe. On parlera donc de « l’élite d’une nation » avec fierté. Au XIXe, on l’utilise en locution adjective : « tireur d’élite », « sujet d’élite », pour ceux qui sont hors du commun, distingués pour leurs qualités.
Au XXe, les élites sont ceux qui occupent par leur formation, leur culture, le premier rang dans tous les domaines. Et « les élites » peuvent se recruter dans « l’aristocratie plébéienne » (Roger Martin du Gard). Le premier rang n’a rien de péjoratif. M. Rey, M. Robert, M. Littré, et M. Larousse en attestent !
Pourquoi aujourd’hui, cracher le mot « élite » comme une insulte ? N’a-t-on pas dévoyé ce mot de son sens ? Et qui l’a détourné ?
Je ne parlerai ni du père, ni de la fille, ni de la nièce ni des esprits malins qui pérorent dans leurs réunions. Je rappellerai simplement cette phrase : « Nous ne voulons pas convaincre les gens de nos idées, nous voulons réduire leur vocabulaire de façon qu’ils ne puissent plus exprimer que nos idées. » Elle est de Goebbels, ministre de la propagande nazie.
Alors, si vous voulez défendre la France, défendez votre vocabulaire, défendez le français et ses nuances. Soyez fiers d’en désigner l’élite, et si possible, car tout est possible en démocratie, d’en faire partie.
11:17 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Histoire, langue, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langue française, histoire, littérature, politique | Facebook | | Imprimer