08/12/2009
De triomphantes commères
Depuis que la Cour a quitté Windsor, la vie s’est concentrée à la taverne, tenue par un Français, un certain de la Jarretière (Bakary Sangaré). Pour tromper leur ennui, les bourgeois, Monsieur Duflot (Christian Hecq) et Monsieur Lepage (Serge Bagdassarian) y ripaillent avec un pasteur gallois Messire Hughes Evans (Thierry Hancisse) et ses compères : Bardolph ( Pierre Vial), Falot (Christian Cloarec), Docteur Caius ( Andrzej Seweryn), Robin (Benjamin Jungers). De la splendeur d’antan, il ne reste que Falstaff et ses compagnons, Filou (Christian Blanc) et Pistolet (Pierre-Louis Calixte) des soldats de fortune qui vivent de rapines.
Falstaff (Bruno Raffaelli) qui fut compagnon de débauche du jeune prince, est en disgrâce, maintenant que celui-ci est devenu le roi Henry IV. Falstaff, lui, est resté ivrogne, lâche, menteur, cupide, et plus fornicateur que jamais. Mais le jour où il décide de séduire Madame Duflot (Catherine Sauval) et Madame Lepage (Cécile Brune), il signe sa condamnation sociale. Elles n’ont pas froid aux yeux, ces bourgeoises, outrées de recevoir des propositions malhonnêtes dans deux lettres semblables ! Leurs farces mettront fin à ses turpitudes. Les commères s’en sortent triomphantes.
Andrés Lima, le metteur en scène, donne à voir, dans Les Joyeuse Commères de Windsor, une sorte de Kermesse héroïque. Il nourrit le rire, il peint aussi la mélancolie. Il a beaucoup travaillé avec les traducteurs, Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard afin de rendre le multilinguisme des personnages. Dame Pétule (Catherine Hiegel) ne comprend rien au latin. Le médecin français et le pasteur gallois, massacrent l’anglais. Et la langue française menace l’anglais (Oui, ça a existé !). Le peuple dérape souvent, et, de barbarismes en belgicismes, anglicismes, hispanismes, néologismes, cette Babel parle une langue truculente, farcie de jeux de mots et d’inventions heureuses avec des protagonistes qui tâchent de se « compréhensionner ».
Le travail des lumières de Dominique Borrini crée l’atmosphère de la première séquence, éclairée à la chandelle. Réaliste d’abord, il évolue vers le fantastique dans la sublime séquence nocturne où la magie le dispute à la poésie. La scénographie de Béatriz San Juan alterne l’intime et le social : la demeure et la taverne, et, réalise, à la fin, une nuit de fantasmagorie où l’espace des songes rencontre les mythes anciens. Le Jeu d’Adam invitait ainsi les fées chez les bourgeois d’Arras, dans un délire nocturne où triomphe l’Amour, le vrai. Ici, celui d’Anne Lepage (Georgia Scalliet) et Fenton (Loïc Corbery), leur union laissant bien marris, les deux autres sots de prétendants : Caius, et Maigreux (Alexandre Pavloff).
Chaque rôle est distribué avec bonheur. Que Bruno Raffaelli puisse être Falstaff est une évidence, Christian Hecq tragiquement grotesque colle au personnage de Duflot. Chez tous, et jusqu’aux petits rôles comme celui de Simplette (Céline Samie), la congruence fait merveille. Les splendides costumes de Renato Bianchi participent à cette consécration.
Et, pour que le plaisir soit parfait, Vincent Leterme a composé une musique originale sur laquelle les comédiens forment des chœurs. Voix célestes qui procurent un enchantement rare…
Photo : © Cosimo Mirco Magliocca.
Les Joyeuses Commères de Windsor de William Shakespeare
Traduction de Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard
Comédie-Française
Salle Richelieu
0825 10 16 80
www.comedie-francaise.fr
18:31 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, shakespeare, comédie-française, déprats, raffaelli, hecq | Facebook | | Imprimer
05/12/2009
Si Montparnasse m’était conté…
Ils étaient nombreux les artistes qui fréquentaient Montparnasse en ce temps-là. On sortait de la grande boucherie de 14-18, et les héros voulaient croire à la Vie.
« Entre Le Dôme et La Rotonde », il s’en est élaboré des projets, des œuvres, il s’en est passé des rencontres, il en est né des amitiés ! Zadkine y trouvait « une bonne odeur fermière ». Colette y dansait « sans dessous ». Les « dadas » y jouaient au « cadavre exquis ».
Construit avec des textes de Léon-Paul Fargue, Kiki de Montparnasse,
Picabia, Desnos, Tzara, Vaillant, Benjamin Péret, Antonin Artaud, Colette,
Cocteau, Duchamp, Breton (et j’en oublie !),
le spectacle que propose Vincent Colin
dit la nostalgie d’une communauté d’artistes dont les talents ont éclairé le monde.
Il est ponctué de chansons du répertoire de Fréhel, Georgius, Lucienne Boyer, Marie Dubas.
Et c’est Hélène Delavault qui les incarne.
Quand elle paraît, cheveux roux en couronne, dans sa robe noire au décolleté extravagant (signée Cidalia da Costa), peau laiteuse, et que monte sa voix sensuelle, on imagine que Jane Avril ressuscitée, est descendue de Montmartre à Montparnasse, pour que revivent ces romances où les femmes n’étaient faites que « pour souffrir par les hommes ».
Un comédien, Philippe Blancher, casquette de voyou, costume rayé de marlou, lui donne la réplique.
Un pianiste (Cyrille Lehn qui signe les arrangements) l’accompagne, la soutient et s’amuse à reformer avec elle le duo de Wiener et Doucet. Marie Begel, qui avait déjà travaillé avec Vincent Colin pour Le Complexe de Thénardier et Les Mariés de la Tour Eiffel, a peint une table et un paravent de pittoresques motifs "arts déco". Et c’est épatant !
Cette soirée pleine de charme, paraît trop courte au gré des spectateurs qui resteraient bien volontiers toute la nuit à les entendre conter la légende des Montparnos.
Photos : Chantal Depagne
Un soir à Montparnasse ou Au cabaret des années folles
Spectacle musical conçu par Hélène Delavault et Vincent Colin
Mise en scène de Vincent Colin
Théâtre du Lucernaire
Du 2 décembre au 23 janvier
à 20 h
15:00 Écrit par Dadumas dans cabaret, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, cabaret, musique, hélène delavault | Facebook | | Imprimer
30/11/2009
Un loup apprivoisé
Elles sont délicieuses ces petites ! Et si l’une est plus blonde que l’autre, l’une plus sage, l’autre plus effrontée, Delphine (Florence Viala) et Marinette (Elsa Lepoivre) sont les plus jolies de monde. Le loup en est tout attendri. Il voudrait bien entrer se chauffer chez elles, et elles aimeraient bien jouer avec lui. Car à deux, les jeux sont beaucoup plus limités qu’à trois. « À trois, c’est bien mieux/ Beaucoup mieux/ Qu’à deux » chantent-elles. Bien sûr, les parents (Sylvia Bergé et Jérôme Pouly) ont interdit qu’elles sortent ou qu’elles ouvrent la porte à quiconque, et surtout pas au loup qui a la réputation de dévorer les petites filles.
Mais « le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l’humanité. »*, et Delphine et Marinette ne résistent pas à la tentation.
Il faut avouer qu’elles étouffent dans leur lit clos, dans leur maison barricadée, dans leur univers fermé. Il faut avouer qu’il est bien sympathique ce loup (Michel Vuillermoz) qui raconte des histoires, et ouvre les fenêtres et les portes. Avec lui, on respire, on bouge, on apprend le monde. Elle l’ont vite apprivoisé, et lui, les a conquises.
Le public aussi est conquis. Il exulte. Les décors rustiques d’Éric Ruf ont la beauté du merveilleux. La musique originale de Vincent Leterme est inspirée. Les couplets additionnels de Lucette-Marie Sagnières s’intègrent parfaitement à l’esprit de Marcel Aymé. Et la collaboration magique de Félicien Juttner chatouille l’imaginaire, tandis que les éclairages d’Arnaud Jung créent une atmosphère mystérieuse et captivante. La mise en scène de Véronique Vella, qui se garde bien « d’adapter » restitue tout le charme des Contes du Chat Perché.
Naturellement, les parents avaient raison. Mais en partie seulement. C’est vrai que le loup n’est pas méchant par destination. Le loup peut jouer à la ronde, à cache-cache, au cheval, mais surtout pas au loup ! Car, alors tous ses mauvais instincts se réveillent, et ses antécédents assassins se raniment. « Loup y es-tu ? » devient une provocation…
N’en est-il pas de même pour les humains ?
Heureusement, tout se termine bien. Morale et sentiments sont saufs. Et, la troupe de la Comédie-Française accomplit une éblouissante prouesse artistique…
* Bergson Henri, Les Deux Sources de la morale et de la religion
Le Loup de Marcel Aymé in Les Contes du Chat Perché, Gallimard.
Studio de la Comédie-Française
Jusqu’au 17 janvier 2010
rencontre avec le public et l'équipe artistique le 17 décembre après la représentation
01 44 58 98 58
09:53 Écrit par Dadumas dans éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, littérature, marcel aymé, comédie-française | Facebook | | Imprimer