Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/11/2010

Sans frein ni loi

 

 Le roi François (Florent Nicoud) est jeune et beau, et autour de lui, les jeunes hommes de  sa cour (Sébastien Coulombel, Vincent Dedienne ; Baptiste Relat, Pierre-Benoist Varoclier) comme lui, avec lui, ne pensent qu’à jouir. Roi décor.jpgPar complaisance, ils vont au devant des désirs du roi. Même le poète Clément Marot (Robert Parize) est devenu un plat thuriféraire. Pour  eux, une femme « n’est rien ». Ils vendraient leur femme, ou leur sœur, ou même leur mère comme un « champ qui rapporte » des places et des rentes. Et M. de Cossé (Alain Carbonnel) n’a plus qu’à accepter d’être cocu.

 « Courtisans, race damnée », dit Triboulet (Denis Lavant), qui les méprise. Leur vengeance sera terrible. Triboulet, le difforme, sanglé dans un corset orthopédique, (costumes de Sabine Siegwalt) n’avait au monde que l’amour de sa fille Blanche (Linda Chaïb), ils la livreront au roi libertin. Triboulet voudra se venger, mais Blanche, par amour, se sacrifiera.

François Rancillac donne à ce drame hugolien des résonances actuelles. Ce roi, qui s’identifie à la France dans le seul but de posséder, qui clame « tout est à moi », « tout est pour moi », et entend gouverner « sans frein ni loi », ne vous rappelle-t-il pas quelque puissant ? Ces courtisans flagorneurs, « grandes maisons, cœurs bas », prêts à toutes les compromissions pour s’enrichir, n’ont-ils pas traversé les siècles pour s’emparer de la brebis du pauvre ? Et Saltabatil (Baptiste Relat) ce sicaire qui profite des ripoux de l’époque : « nous redevons un droit à la police », n’est-il pas plus vrai que n’importe quel indic contemporain ?

Tous des lâches ! Triboulet qui joue les justiciers, lui aussi « fait semblant » d’aimer le roi. Et les femmes ? Madame de Cossé et Dame Bérarde (interprétées par la même comédienne Agnès Caudan), Madame de Coislin (Charlotte Ligneau) n’ont aucun scrupule moral. Et Maguelonne ne diffère d’elles que par un peu de compassion. Blanche.jpgNon, il n’y a que Blanche, la pure enfant de seize ans pour aimer naïvement. Et M. de Saint-Vallier (Yann de Graval) pour rester un père noble et vitupérer « la luxure royale en clémence habillée ».

On comprend que la pièce, Le Roi s’amuse, ait été interdite jusqu’à la troisième république !

Un seul décor transformable figure ici les différents lieux du drame. Un haut et large paravent constellé de miroirs ferme l’espace qu’il restreint ou élargit  à vue. Des boules de cristal projettent des éclats de lumière sur un sol marqueté. Des costumes atemporels rayés noir et blanc comme des livrées aux couleurs royales arborent des éléments Renaissance rouge vif. Une musique "rock métal", souligne les rapports exacerbés des personnages. François Rancillac et son scénographe Raymond Sarti sont entrés dans l’univers hugolien sans archéologie, avec une intelligence rare. Triboulet©andyparant photo 1.jpg

 

 

Mais évidemment celui qui magnifie le rôle de Triboulet, c’est Denis Lavant, voix rugueuse, corps tourmenté, âme crucifiée : un génie ! Jamais encore Le roi s’amuse n’avait été aussi intelligemment représenté.

 

 

 

 

Photos : Andy Parant

 

Le Roi s’amuse de Victor Hugo

Théâtre de l’Aquarium

01 43 74 99 61

Jusqu’au 12 décembre

 

18:15 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, hugo, rancillac |  Facebook | |  Imprimer

05/11/2010

Jours pas tranquilles à Hambourg

 

 C’est une « famille ordinaire ». Véra (Bérangère Allaux) les adore. Elle a toujours trouvé son grand-père (Oskar Abraham (Roland Bertin) « épatant ». En 1939, comme vingt ans plus tard… Oskar est un bon Allemand, d’une vieille famille hanséatique, luthérienne, et patriote. Son fils Julius (Matthias Bensa) qu’il considérait comme « bon à rien », vient de s’engager dans la police nazie. Il va aller nettoyer les ghettos et pourchasser les partisans. Un bon Allemand, aussi… Sa femme Elga (Christiane Cohendy) s’occupe de la maison, de la cuisine, et ne délègue rien à sa bru, Dörra (Laure Wolf), qui ne comprend pas pourquoi son mari ne la touche plus, ne la regarde même plus et passe ses rares permissions à soliloquer. Comment cet homme aimant a-t-il pu devenir le « finisseur de gosses » des exterminations en Pologne ? Il se rêvait héros, il s’éveille « bourreau ».

Pas comme Elga. Femme soumise, timorée, effacée, mère nourricière sans éclat, soucieuse de la bonne entente familiale, elle accomplit instinctivement le seul geste d’amour qui sauve les siens de la complète faillite morale. Elle protège Sarah, l’enfant des voisins que la police vient arrêter. Les jours ne sont pas tranquilles à Hambourg...

« C’est une pièce sur l’amour, ses absences, ses défaillances », dit l’auteur, José Pliya. Une famille ordinaire @Hervé Bellamy.jpgEt dans la famille Abraham, Oskar n’a jamais aimé Julius, il n’aime plus Elga. Julius déteste son père et reste indifférent au corps de Dörra. Les hommes à« la virilité en berne », s’investissent dans la guerre. Dörra n’aime plus sa fille, les Allemands de Hambourg se méfient de ceux de Francfort, et les voisins sont suspects. Tout concourt à la dégradation des sentiments, tous permettent l’abomination.

Mais à travers l’histoire allemande, José Pliya parle aussi du Rwanda, des haines ethniques, des massacres d’innocents, et au-delà, de l’Afrique qui lui est chère, de la Serbie, de la Croatie, de toutes les haines primitives et irrationnelles, attisées par des hommes en mal de pouvoir.

Hans Peter Cloos signe une mise en scène diabolique. La vidéo de Camille Pawlotsky, sur fond d’images de vampire et de ruines, en noir et blanc, est projetée dans un intérieur déconstruit où une dizaine de postes de TSF laissent à imaginer les ramifications de la « propagande ».

Laure Wolf paraît d’autant plus fragile, Matthias Bensa brisé, que Roland Bertin installe une présence puissante. Christiane Cohendy, voix fêlée, insidieuse et tourmentée, montre avec justesse, une femme pliée par le vent mauvais. Quant à Bérangère Allaux délicate et forte, qui semble invisible aux yeux des autres, c’est une révélation.

Cette  mise en scène d'Une famille ordinaire consacre une oeuvre dérangeante, de celles qui donnent un sens à la littérature dramatique.

 

 

 

 

 photo : Hervé Bellamy

 

Une famille ordinaire de José Pliya

Théâtre de l’Est Parisien

Jusqu’au 27 novembre

01 43 64 80 80

07/10/2010

La fascination du pire

Les femmes aiment qu’on ait besoin d’elle. Cette nécessité leur donne un but dans l’existence. Anne (Catherine Hiegel) se sent inutile. Les deux enfants qu’elle a élevés sont grands. Pierre, son mari (Jean-Yves Chatelais) est très occupé par sa carrière, Nicolas, son fils (Clément Sibony) vit une histoire d’amour avec Élodie, sa fille Sarah ne vient plus la voir. Quelle femme résisterait à cet abandon ? Quelle mère accepte d’être ainsi rejetée ?

Entre paroles dites et non-dits supposés, elle fantasme, imagine, ratiocine.

L’auteur, Florian Zeller sait parfaitement raconter la dualité des êtres et des situations, l’inanité de l’amour maternel dévorant, « la fascination du pire ». Marcial Di Fonzo Bo a imaginé un espace double, métaphore la dualité de la Mère. Le décor clair, d’Yves Bernard, cache une chambre secrète, où, derrière un rideau de tulle, les protagonistes rejouent une réalité distordue, repeinte aux couleurs d’une imagination malade.

Catherine Hiégel est cette femme qui souffre, et ses cris de douleur et d’amour, cette voix qui se brise, ce corps qui ne se soutient plus, c’est celui de la Mère que quittent l’amour, les enfants, la jeunesse. Elle tend à toutes celles qui la regardent, dans la salle obscure, le miroir de leur déchéance. Quelle est celle qui n’a pas eu, dans cette descente solitaire, la tentation de noyer son chagrin dans l’éternel sommeil ?

Enfant cruel ? Mère victime ? Personne n’est coupable. Nous sommes tous condamnés à vivre, et les mères à vieillir « tristes et seules », à se débattre entre peurs et regrets, comme Anne.

Les comédiens sont admirables, la mise en scène éclaire un texte d’une grande puissance. On aimerait voir plus souvent des œuvres aussi profondes…

 

 

 

La Mère de Florian Zeller

Petit Théâtre de Paris

01 48 74 25 37

21h