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06/12/2010

Parcours du combattant

 

 

 

Il a du souffle Richard Danner, et du muscle ! Il a de l’humour et un art consommé de grappiller dans les discours convenus des gourous culturels et politiques pour composer des personnages hauts en couleurs.

Après Philippe Caubère, il est bien difficile, en solo, de faire vivre une troupe de comédiens. Il y réussit avec bonheur. Après Philippe Avron parodiant les rapports des metteurs en scène géniaux avec un comédien fragile, le genre semblait rester unique.

Caubère et Avron se référaient à des gens connus. Danner les inventent. Mais ils sont tellement vraisemblables qu'on jurerait les avoir rencontrés. Ce militant associatif, ce créateur flamand, ce maître à penser teuton, mais oui, mais c’est bien sûr… c’est... Danner ! Danner tout entier avec ses Créatures.

Vêtu d’un collant clair imprimé de dessins géométriques rappelant à la fois les muscles de l’écorché et les ornements du père Ubu, notre énergumène joue à la fois le rôle d’un acteur paumé, Stan Kokovitch, et de tous ses interlocuteurs. Rémi de Vos le metteur en scène lui alloue un minuscule podium au centre de l’espace, une lumière chiche mais mathématiquement infaillible, et « la folle épopée » transcrit le parcours d’un combattant du théâtre.

Comment dit-on ? « Génial » ? Oui, on peut le dire.

 

 

 

 

 

 

 

La Folle Épopée de Stan Kokovitch, acteur de et par Renaud Danner

Lucernaire  du mardi au samedi à 18 h 30

Jusqu’au 29 janvier

01 45 44 57 34

21:18 Écrit par Dadumas dans humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, humour, danner |  Facebook | |  Imprimer

Éloge du sublime

 

 

 

Qui peut aujourd’hui comprendre qu’une femme brûlant d’amour pour un homme qui l’aime en retour, se refuse à lui, par fidélité à un mari qu’elle estime, mais n’aime pas ? Peu de gens… En effet, le sublime est passé de mode et les mœurs se complaisent dans l’assouvissement. Les humains, faute de sentiments cèdent à leurs pulsions. Aussi était-il hasardeux de proposer une adaptation de La Princesse de Clèves pour la scène. Laurence Février a tenu le pari. Vêtue d’une robe de cour rouge, elle va nous dire les moments les plus beaux de ce premier roman de notre littérature, sous le titre évocateur de La Passion corsetée. Car il s’agit de bien se tenir. Mme de Clèves ne donne pas son soulier de satin à la Vierge, afin de ne pas boiter vers la tentation. Elle marche droit. C’est en elle-même qu’elle puise le courage de ne pas trahir, rester maîtresse de soi.

La scène est vide d’accessoires ou de mobilier. Pour tout décor, des panneaux étroits de tissus lamés tombent des cintres. Elle circule entre ces « colonnes » en racontant rencontres et coup de foudre, hésitations, jalousies, désespoir, accord des cœurs et des âmes. Sa voix aux finales chantantes fait vibrer d’émotion l’auditoire. Belle leçon de morale qu’un public jeune écoute religieusement.

Je me suis souvenue de cette classe de seconde, alors que professeur stagiaire, j’avais choisi d’expliquer la scène de l’aveu. Mon mentor avait eu un sourire narquois : « vous croyez que ça va les intéresser ? Moi, je ne m’y risque pas… ». Et j’ai commencé : « Monsieur je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à un mari… ». Le silence a gagné. On n’entendait plus chuchoter, pas un siège ne raclait le sol, aucun stylo n’est tombé, aucune question ironique n’a été posée, mais ils répondaient aux miennes avec un intérêt soutenu. Pas un ricanement n’a interrompu les explications, et à la fin du cours, ils m’ont demandé comment se procurer le livre « en entier ».

Si vous allez voir Laurence Février, vous aussi, vous aurez envie de lire La Princesse de Clèves.

 

 

 

 

La Passion corsetée d’après La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette

Théâtre du Lucernaire

du mardi au samedi à 20 h

01 45 44 57 34

28/11/2010

Marions-les !

 

 

Mariage.jpgAujourd’hui comme hier, le mariage, est la grande affaire de la vie. En Russie comme partout, marier une jeune fille comme Agafia Agafonovna, fille de commerçant, (Julie Sicard) demande une grande connaissance de la société dans laquelle elle évolue. Jadis, les familles faisaient appel à une marieuse, dans L’Avare de Molière, Frosine se chargeait de cette recherche, dans Le Mariage de Gogol deux siècles plus tard, Fiokla Ivanovna, (Clotilde de Bayser) remplit le même office.

 Un à un les prétendants paraissent. Grotesques, vaniteux, imbus de leur situation sociale, leurs patronymes annoncent la farce (traduction d’André Markowicz) : Mamimine (Jean-Baptiste Malartre), officier d’infanterie à la retraite et snobinard de province, Omelette, (Nicolas Lormeau) huissier impatient, Chikine (Alain Lenglet) ancien marin portant beau, Kusmich Kapilotadov (Nâzim Boudjenah) conseiller surnuméraire indécis, Pépev (Yves Gasc), trop vieux pour être honnête. Ils sont consternants de laideur et de stupidité. Et cupides pour achever le tableau ! Dans la mise en scène de Lilo Baur, le décor de James Humphrey impose une séparation entre les classes et les sexes. Un mur à placards clôt la chambre étroite de Kapilotadov, à l’esprit borné. Le décor tourne, ouvrant sur le salon d’Agafia, les prétendants s'attroupent de l’autre côté de la porte, s’épient entre eux, guettent la fiancée par le trou de la serrure.

De l’autre côté, les femmes, la tante Arina Panteleïmonovna (Catherine Sauval) Douniachka (Géraldine Rodriguez) la bonne, conseillent la fiancée, et la marieuse, qui a lu La Fontaine préconise : « Si la tanche te rebute, prends du goujon ! »*

Marions-la ! Marions-les ! Fiokla se démène ! Mais Agafia est timide. Et Kusmich bien timoré.

 Alors intervient Plikaplov, (Laurent Natrella) dans le but de décider son ami Kapilotadov à convoler ! Il prétend « mener à bien cette affaire », il ne fera que « déshonorer une jeune fille ».

La société que peint Gogol est monstrueuse. Le mariage n’y est qu’un contrat d’intérêts. Les féministes du XIXe siècle y voyaient une « prostitution légale », et le tableau qu’en fait Gogol, apporte de l’eau à leur moulin. Il n’y est jamais question d’amour, mais de dot, de convenances, de revenus, d’avantages.

Les comédiens français y ajoutent un aspect clownesque. Enlaidis comme Clotilde Bayser, Nicolas Lormeau, ahuris comme Alain Lenglet, Nâzim Boudjenah, ils manient le burlesque jusqu’à la caricature. Ils sont fantastiques !

On choisit d’en rire, soulagés que cette société soit définitivement abolie.

Plus besoin de marieuse, aujourd’hui, nous avons les sites de rencontres sur Internet ! Et Big Brother saura faire le tri…

 

   photo :  Cosimo Mirco Magliocca.

* « La tanche rebutée, il trouva du goujon » (Le Héron),  

fable jumelle de La Fille. 

  « Certaine fille, un peu trop fière

  Prétendait trouver un mari 

  Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière

Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.

Cette fille voulait aussi 

Qu'il eût du bien, de la naissance

De l'esprit, enfin tout ; mais qui peut tout avoir ? »

 

 

 

 

Le Mariage de Gogol

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 2 janvier

01 44 39 87 00/01