18/01/2008
Courteline au cabaret
Le cabaret décidément s’invite au Théâtre. La chanson grivoise fait recette. Hier classée « vulgaire » avec ses allusions gaillardes, ses mots scabreux et ses phrases à double sens, elle se contentait de réjouir les corps de garde, les carabins et les messieurs à la libido buissonnière. Les dames étaient écartées de ces bouges et les demoiselle, chastes oreilles s’il en fut, ignoraient ces débordements.
Notre époque a changé de méthode. Et, de la Comédie-Française au Théâtre de Paris, on se dessale. L’Athénée-Louis Jouvet s’encanaille aussi, avec la dynamique compagnie acte6 : des jeunes qui n’ont pas froid aux yeux ! Acteurs, chanteurs et musiciens, comme au bon temps du caf’conc’. Frédéric Ozier, le chauve longiligne, faussement timide et joliment grossier joue aussi de la contrebasse. Aurélien Osinski, souple et costaud fait aussi vibrer ukulélé, guitare et contrebasse. Marjorie de Larquier, piquante et gracieusement racoleuse sait aussi manier l’archet du violon. Frédéric Jessua intelligemment ahuri est aussi à la batterie. Antoine Cholet, aux faux airs de Claude Rich, distingué et malin, Jonathan Frajenberg, épanoui et roublard, Maline Cresson, pulpeuse et enjouée, Stéphanie Papanian, ingénue libertine, se contentent de jouer et de chanter, et l’on en est fort aise…
Sébastien Rajon, le metteur en scène(s) coupe les immortelles pièces courtes de Courteline (Monsieur Badin, La paix chez soi, Gros chagrins, etc.) par des chansons guillerettes, de la même époque, accordées à la trivialité des situations. Gregory Veux a écrit les arrangements musicaux et accompagne la troupe au piano. Les changements se font à vue, avec les décors astucieusement mobiles de Joréloine de Cresnier-Coujonjeszier (Mazette ! Une cousine des Brossabourg ?) et les costumes pimpants de Victoria Vignaux.
Et tout ça, ça fait un excellent spectacle de divertissement… On en a bien besoin quand on nage dans la désillusion.
Les Courtes Lignes de monsieur Courteline
Cabaret de pièces courtes
Par la troupe acte6
Athénée-Louis-Jouvet
Jusqu’au 2 février
01 53 05 19 19
14:44 Écrit par Dadumas dans cabaret, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cabaret, Théâtre | Facebook | | Imprimer
Magic Savary
Il n’avait pas mis en scène L’Ange bleu, mais il avait monté Cabaret. Il n’avait pas adapté Don Quichotte, il lui avait préféré un autre frondeur : Cyrano. Savary s’en souvient dans ce Don Quichotte contre l’Ange bleu qu’il a mijoté à Béziers, et qu’il sert à Paris.
Est-ce une revue ? Sans aucun doute. Maître des cérémonies: Savary en personne, comme au Magic Circus avec ses animaux tristes, (post coïtum et sine coïtum), avec ses sarcasmes contre la cupidité et la bêtise qui transforment la création vivante en marchandise prédigérée.
Don Quichotte (Joan Crosas), le vieil hidalgo pourfendeur de moulins, dérangé dans ses lectures romanesques par la construction de l’aéroport international auquel l’Europe veut donner son nom, quitte sa Mancha, pour combattre, à Paris, la vulgarité de notre époque. Vaste programme ! Tâche insensée !
« Qui ose lui voler (son) paysage ? » Daisy Belle (Arielle Dombasle), chanteuse au Moulin rose, est l’objet de son ressentiment. Comme le professeur Rath, dans L’Ange bleu, le naïf succombe à son charme. Mais s’il accepte de figurer en coq dans les numéros du Moulin rose dirigé par Gaëtan (Jérôme Savary), ce Quiqui–là ressemble plus au Chantecler de Rostand-Savary qu’au volatile imité par Rath. Daisy n’est pas Lola-Lola. Elle a du cœur. Et Gaétan rencontre plus escroc que lui ! Les actions du Moulin rose passent dans le portefeuille d’un certain Berlucesi, un burlador italien, inventeur du « parfum universel », qui des aisselles à la cuisine, brouille les sens, enfume les idées et vous fait prendre les remugles pour des fragrances. Le financier licencie les artistes, lesquels reconduisent Quichotte et Sancho (Frédéric Longbois) dans la vieille campagne espagnole qu’ils n’auraient jamais dû abandonner.
Savary privé d’institution, ne se prive pas d’étriller ministres et président. Ça tombe bien. Ceux qui sont là ne portent pas de Rolex, n’ont pas vu leurs émoluments doubler, et ne touchent ni dividendes, ni stock options. Ils adorent les jeux de mots, les chansons populaires, le côté clinquant, désordonné et bon enfant de l’auteur. Ils partagent avec l’ami bateleur les mêmes restrictions budgétaires, la même inquiétude sur le devenir du spectacle vivant. Et ils trouvent que Savary a du ressort ! Quant à Arielle Dombasle, physique de rêve et voix charmeuse, ils en redemandent…
L’orchestre ? Dirigé par un pianiste (Roland Romanelli qui joue aussi de l'accordéon) avec Sabine Jeangeorges aux claviers, une contrebasse, une batterie, une trompette (celle de Savary), et parfois un accordéon, un bandonéon, une guitare (Paco El Lobo). La troupe ? Clémence Bollet, Antonin Maurel, Marc Oranje (nouveau Valentin le désossé), Nina Savary, Sabine Leroc, Nina Morato, ont un métier sûr et un charme fou. Arielle Dombasle qui est déjà une belle carrosserie est habillée (comme toute la troupe) par Michel Dussarrat qui multiplie les extravagances avec Ezio Toffolutti dont les trouvailles pullulent pour animer les décors.
« All you need is love ! », chantent-ils au tableau final, ils nous en donnent en effet, de l’amour, et nous leur rendons bien.
Grâce à eux, ce n’est pas « la fin du music-hall » annoncée. Pas encore !
Don Quichotte contre l’Ange bleu
Théâtre de Paris
depuis le 11 janvier
01 48 74 25 37
11:40 Écrit par Dadumas dans cabaret, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cabaret, Théâtre | Facebook | | Imprimer
12/01/2008
Romantique à jamais
Qu’est-il arrivé à la jeune Catherine Friedeborn (Julie-Marie Parmentier) ? Jeune et jolie jeune fille, dévouée à son gentil vieux père Théobald Friedeborn (Fred Ulysse), un bourgeois débonnaire de Heilbronn, la voici devenue l’esclave docile qui, sans mot dire, suit Frédéric, comte Wetter von Strahl (Jérôme Kircher). Théobald (Fred Ulysse) porte plainte. Frédéric n’y comprend rien. Comme une grande mystique, frôlant le martyre, elle essuie toutes les rebuffades sans broncher, accepte de recevoir le fouet, d’entrer au couvent, s’il ne veut plus la voir, et même de traverser les flammes pour lui complaire.
On rêve souvent sa vie chez Kleist. Hombourg ou Wetter von Strahl ont le rêve prémonitoire. On cherche l’amour absolu, qui transcende la vie et un être qui puisse « prendre tous les noms du monde » comme le dira Éluard. Et des visions oniriques désignent l’élu ou l’élue. Des signes mystérieux l’annoncent, des révélations merveilleuses permettent « la cueillaison d’un Rêve au cœur qui l’a cueilli » comme l’écrira Mallarmé. Car le désir d’amour est éternel et infini. D’autres poètes avant Kleist, d’autres après lui, chanteront cette énigme du sentiment qui transforme les Hommes. Mais n’est-ce pas depuis les romantiques qu’on affirme qu’une « vie sans amour, c’est la mort » ?
La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist est un conte, avec ses méchants : Fribourg (Gilles Kneuzé), Georges (Arnaud Lechien), sa semi sorcière Cunégonde, baronne von Thurneck (Anna Mouglalis) et son âme damnée Rosalie (Bérangère Bonvoisin). Naturellement, il y a les gentils, la servante au grand cœur, Brigitte (Evelyne Didi), l’ami fidèle Gottschalk (Tom Novembre), et le père noble, l’empereur (Jean-Claude Jay). Il y a la vierge farouche, Catherine, et le Chevalier, Frédéric. Et surtout, la Providence qui assemble si bien les faits et les choses et résout l’ordalie avant que le sang de l’innocent ne soit versé…
La scénographie de Nicky Rieti, se compose d’éléments mobiles, constructions gothiques, qui s’assemblent, se rompent, se détruisent, s’agglomèrent dans une pénombre savamment éclairée par André Diot. Ces blocs en ruine évoquent les burgs d’Outre-Rhin magnifiés par les dessins de Victor Hugo. La Nature pénètre dans cet espace fantastique orchestrée par une bande son et musique de Pipo Gomes.
De la mise en scène d’André Engel naît un superbe envoûtement. Chaque comédien donne à son rôle la tonalité Sturm und Drang qui fait de la représentation un modèle du Romantisme. Aucune petite insolence anachronique ne peut détruire le sortilège, La Petite Catherine de Heilbronn reste romantique à jamais…
La Petite Catherine de Heilbronn d’Heinrich von Kleist
Jusqu’au 23 février
Odéon-Berthier à 20 h
01 44 85 40 40
17:41 Écrit par Dadumas dans Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, poésie, théâtre | Facebook | | Imprimer