21/04/2016
2016, l’Odyssée du portable
Le portable rend bien des services, mais il a envahi nos vies, et modifié nos comportements.
En 2016, rares sont ceux qui ne jouent pas avec leur téléphone dans le métro, leur voiture, et même, en douce, pendant les conférences et les spectacles. « Éteignez vos portables ! » a été l’injonction des directeurs de salle, avant de devenir l’intitulé de la rubrique théâtrale[1] d’un célèbre confrère.
Jean-Louis Bauer, avec sa nouvelle pièce La Chair et l’Algorithme élargit le domaine de La Voix humaine de Cocteau. Il montre comment l’accélération des techniques capables de reproduire la voix humaine, de diriger des activités, isole l’humain dans un univers de cauchemar et détruit la conscience. Plus de chair, que des algorithmes !
Jeanne (Elisabeth Bouchaud) en fait la triste expérience. Elle est journaliste et le portable est l’instrument privilégié de sa vie sociale et sentimentale. Elle gagne en rapidité, mais, peu à peu l’invention de nouvelles applications, grignote la réalité, dévore tous rapports, saccage les destinées.
Dans 2001, l’Odyssée de l’espace, (1968, Stanley Kubrick) Hal, l’ordinateur fou est désactivé, dans La Chair et l’Algorithme, l’odyssée du portable est terrorisante. Plus rien ne le contrôle, et la pauvre Jeanne perd ses amours et sa vie. Son double (Marie Chaufour) imprimé en 3 D pense et vit à sa place.
Antoine Campo qui signe ici la mise en scène, la scénographie et les costumes, réalise, avec les lumières de Paul Hourlier, l’équipe vidéo d’Aline Romat et Matthieu Desport un spectacle inquiétant où la vision d’un futur proche sonne comme une alarme. C’est beau et effrayant à la fois.
De quoi vous donner à voir, entendre et réfléchir, humains de peu de raison…
La Chair et l’Algorithme de Jean-Louis Bauer
Mise en scène, scénographie et costumes d’Antoine Campo
Théâtre de la Reine Blanche
19 avril -16 juin à 21 h les mardi, jeudi, samedi.
01 40 05 06 96
[1] - Jean-Pierre Leonardini dans L’Humanité.
08:02 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Science, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, science, théâtre de la reine blanche, j. -l. bauer, antoine campo, elisabeth bouchaud | Facebook | | Imprimer
14/04/2016
L’irrésistible ascension
Svetlana (Nathalie Mann), la procureure, est seule, face au Président Vladimir Poutine (Hugues Leforestier). Il l’a convoquée dans son bureau. Elle est venue de Sibérie où elle a été mutée. Dehors, la foule conspue le maître du Kremlin. Mais Poutine a un projet.
Il l’accuse d’être responsable de ces manifestations. Elle lui reproche d’être un dictateur. Elle a monté un dossier accablant contre lui. Élections truquées, corruption à tous les niveaux, crimes organisés, génocide des Tchétchènes, violation des droits, prévarication, concussion, elle ne passe rien ! Elle démonte, avec une précision mécanique, l’irrésistible ascension, à quarante-quatre ans, du petit fonctionnaire falot du KGB, devenu FSB, sur lequel il appuie son pouvoir pour perpétrer ses coups les plus tordus et dicter sa volonté au monde. Elle l’avait connu quand il voulait « changer le monde » et tout laisse entendre qu’ils ont eu, ensemble, une brève liaison. Il voudrait aujourd’hui briser la militante.
Hugues Leforestier, l’auteur, assume le rôle du méchant. Gestes sobres, masque impassible. Il est odieux et glaçant. Nathalie Mann, l’opposante est obstinée, fragile et passionnée, elle lui fait front avec courage, révoltée par son autoritarisme, son cynisme. Elle dénonce sans faillir l’arbitraire érigé en système de gouvernement. Elle est superbe.
Comment la réduire au silence ?
La recette est connue. Bien des gouvernants la mitonnent, et même en démocratie.
En lui proposant un poste dans son gouvernement. C’est Le Projet Poutine. Mais elle reste intransigeante. Lui, qui a choisi entre « rester pur ou gouverner », se vante d’un bilan globalement positif puisqu’il a « rendu sa fierté à la Russie. » Peut-être se vengera-t-il d'elle sur ses enfants, ses parents, ceux qui lui sont chers. Ou la fera-t-il éliminer ? L’auteur ne tranche pas.
On dit souvent, que les Français ne savent pas faire un théâtre ancré dans l’actualité. Hugues Leforestier dans Le Projet Poutine démontre le contraire. Le conflit entre l’autocrate et la résistante, est intense, dramatiquement nourri. La mise en scène de Jacques Décombe entrecoupe chaque séquence de montages vidéo d’actualité d’un réalisme terrifiant.
On ne demande pas au spectateur de choisir, mais on lui apporte toutes les preuves pour qu’il puisse juger. Est-ce cette liberté qui déplaît à certains ?
Le Projet Poutine de Hugues Leforestier
Mise en scène : Jacques Décombe
Théâtre des Béliers parisiens
14 bis rue Sainte Isaure - 75018 Paris
du mercredi au samedi à 19h15 – Les dimanches à 17h30
01 42 62 35 00
Texte paru aux éditions Art et Comédie, 10 €
18:09 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre des béliers parisiens, hugus leforestier, nathalie mann | Facebook | | Imprimer
07/04/2016
Quitter l’île de la cancrerie
« Quand il n’était pas le dernier de sa classe, il était l’avant-dernier ». On le croyait un cancre. Et il regardait avec résignation son « enlisement. »
D’où lui venait sa « cancrerie » ? Car sa famille, de bonne situation sociale, l’aimait tendrement. Il n’avait ni tare, ni maladie, et ses frères réussissaient brillamment. Il a suffi d’un professeur de français psychologue, puis d’un prof de maths génial, d’un prof d’histoire passionnant, et d’un prof de philosophie qui savait éveiller les consciences, pour que le cancre, qui faisait des blagues et ne comprenait rien avec la tête, dise « oui avec le cœur. »[1]
Et c’est ainsi que Daniel Pennac devint maître ès lettres, puis professeur, et enfin l’écrivain que nous aimons et que tous les cancres connaissent puisque dans la plupart des collèges, on étudie maintenant son livre : Chagrin d'école.
Belle revanche pour l’élève que « l’île de la cancrerie » isola si longtemps de ses camarades !
Bernard Crombey adapte le roman, construit et interprète un spectacle sensible et souriant qui devrait ravir non seulement les enseignants à bout de méthodes, mais également les élèves désemparés qui se sentent devenir des « décrocheurs ».
Dans un espace en demi-cercle limité par des chaises et centré sur un énorme pupitre scolaire, Bernard Crombey, d’abord mauvais élève, puis professeur inquiet, leur donne une belle leçon d'amour.
Rencontre avec l’équipe, vendredi 8 avril après la représentation.
Le Cancre d’après Chagrin d'école de Daniel Pennac
Adaptation de Bernard Crombey
Théâtre du Lucernaire
Du mardi au samedi à 21 h
01 45 44 57 34
[1] - Prévert Jacques, Le Cancre, Paroles.
12:21 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, langue, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, livre, théâtre du lucernaire, daniel pennac, bernard crombey | Facebook | | Imprimer