Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/06/2014

Mirtus s’en va-t’en croisade

 

 

Mirtus (Mathias Maréchal) s’en va-t’en croisade.

Est-ce pour échapper à sa condition de paysan, ou pour obéir à son seigneur ? À moins que ce ne soit pour  fuir le mariage avec Madelonne (Céline MartinSisteron), car ce « grand amateur de donzelles » n’entend guère se fixer à une seule personne et, dans ses conquêtes, Nérébis, Fatima, interprétées par la même comédienne, ne parviendront pas non plus à lui passer la corde au cou.

théâtre,théâtre 14,audibertiMarcel Maréchal, grand maître d’Audiberti, a bien compris que, dans Le Cavalier seul,  tout au long de ses pérégrinations, le jeune homme va retrouver ce qu’il fuyait. Aussi les comédiens deviennent-ils les représentant des ordres de la société féodale. Qu’elle soit sa Mère (Marina Vlady), l’Impératrice Zoé, ou la Femme âgée, cette figure maternante, possessive et protectrice, suscite à la fois la sympathie et l’agacement

Les figures du Pouvoir,  qu’elles soient le Père, l’Autocrate, ou le Calife, provoquant la même ambivalence sont brillamment incarnées par Marcel Maréchal. Tandis que Nassim Haddouche, devenant l’Adjudant, ou le Paléographe, cristallise la figure du soldat, Michel Demiautte (Le Prêtre, le Médecin, l’Ouléma) soulève, comme lui, les mêmes sentiments. Il en va de même pour Antony Cochin (Grappasoul, le médecin).théâtre,théâtre 14,audiberti

La fascination de Mirtus pour l’Orient se double aussi d’une répugnance qui le trouble et nous dérange car il semble bien que nous sommes tous, aujourd’hui les héritiers de ce Mirtus. Amour et haine s’affrontent et se confondent vis-à-vis des personnages et des situations.

Dans cette quête initiatique avec pour seul décor une toile peinte de Jacques Angéniol qui imagine aussi les costumes, la musique de François Fayt accompagne le voyage. Mirtus nous entraîne du Languedoc à Jérusalem.

Cependant quand il s’agit de délivrer le tombeau du Christ, dont personne ne connaît l’emplacement, la conquête s’arrête devant la souffrance d’un condamné anonyme, l’Homme (Emmanuel Dechartre). Le supplice du fils de Dieu se rejoue-t-il éternellement dans notre croyance au péché, et au châtiment ?  Et devons-nous sacrifier l’Homme au nom d’une religion qui change de nom mais pas de tyrans ?

La pièce avait été créée en 1963, mais son message reste actuel.

 

Photos :© LOT

 

La Cavalier seul de Jacques Audiberti

Théâtre 14

Jusqu’au 5 juillet

Mardi, vendredi, samedi à 20 h 30

Mercredi, jeudi à 19 h

Samedi matinée à 16 h

01 45 45 49 77

 

 

 

 

 

 

Pour Jacques Herlin

 

Théâtre, télévision, cinéma, Jacques HerlinIl avait presque 87 ans, et la saison dernière, il jouait encore dans Des souris et des hommes de Steinbeck au Théâtre 14. Il venait de tourner pour France 2 dans La Rue des ravissantes, d'après une nouvelle de Boris Vian. Nous le verrons donc encore à la rentrée.

Mais, Le comédien Jacques Herlin (né au Vésinet le 17 août 1927)est décédé le samedi 7 juin.

Acteur de théâtre, de cinéma et de télévision, il a joué pour le théâtre, avec de grands noms (Pierre Fresnay, Laurent Terzieff, Pierre Brasseur, Jacques Mauclair, Jean-Louis Barrault, Hermantin...), des textes de grands auteurs (Molière, Montherlant, Shakespeare, Tchekhov, Ionesco, Goethe, Romains, Wilde, Steinbeck...).

Au cinéma il a tourné avec   René Clément, Edouard Molinaro, Jean-Jacques Beineix, Philippe Labro, Claude Miller, Philippe de Broca, James Ivory, Didier Bourdon, Albert Dupontel, Luc Besson, Jean Veber, Pierre Boutron, Ridley Scott, Graham Guit ...

Pendant une vingtaine d’années, installé en Italie, il a travaillé sous la direction de Federico Fellini, Lucchino Visconti, Franco Rossi, Dino Risi, Luigi Comencini...

Pour la télévision, il a tourné avec Peter Kassovitz, Laurent Heynemann, Serge Moatti, Josée Dayan, Claude Grinberg, Didier Lepecheur...

Jacques Herlin a joué en particulier dans Beckett ou l’honneur de Dieude Jean Anouilh, au Théâtre de Paris avec B. Giraudeau. Il était à l’affiche de Léonce et Lenade Büchner à l’Odéon, mise en scène André Engel, Le Jugement Dernierà l’Odéon, mise en scène André Engel, Objet Perdu mise en scène Didier Bezace, et Rutabaga Swingmise en scène Philippe Ogouz, au Théâtre 13.

Depuis 2002, Jacques Herlin était Candy (en alternance) dans Des souris et des hommes de Steinbeck, mise en scène par  Jean-Philippe Evariste et Philippe Ivancic (Théâtre 13, Théâtre 14, tournées).

En 2010, il a interprété le rôle de frère Amédée sous la direction de Xavier Beauvois dans Des Hommes et des Dieux, grand prix du jury au Festival de Cannes 2010. En 2012, dans Les Adieux à la Reinede Benoît  Jacquot, il incarnait le Marquis de Vaucouleurs.

Pour lui, tous les personnages étaient importants, et il n'y avait pas de "petits rôles". 

 

08/06/2014

Lucrèce Borgia travestie.

 Ils sortaient de la représentation de Lucrèce. Et ils discutaient ferme. J'en restitue ici le dialogue...

 

 - Quelles merveilles ces décors nocturnes ! La scénographie d’Éric Ruf plante trois décors splendides ! Tout à fait hugoliens. Et les costumes de Christian Lacroix sont superbes.

- J’en conviens. Mais Je comprends mal que le rôle-titre de Lucrèce Borgia ait été confié à Guillaume Galienne. Il était exceptionnel dans Oblomov,  dans Saint François le divin jongleur.

- Vous l’aviez adoré en travesti dans Feydeau et dans Les Garçons et Guillaume à table !  Denis Podalydès pour sa mise en scène, voit, dans ce travestissement « moins une femme jouée par un homme qu’une femme enfermée dans une apparence qui n’est pas la sienne, qui la contredit, la défigure ». Vous savez que Hugo lui fait dire qu’elle  « n’était pas née pour faire le mal », que c’est l’Italie qui est « fatale et criminelle », qu’elle est entourée de « parents sans pitié », et qu’elle voudrait « racheter son passé ». Cette femme est l’incarnation de l’ambivalence.

- Oui, mais pas de l’ambiguïté. Quand Gennaro lui dit « Vous êtes ma tante ! », la salle ricane. Et elle se retient de rire quand, à l’acte II, Lucrèce joue « le grand jeu » de la scène d’amour à son mari, parce que la situation comique devient équivoque. Lucrèce travestie, c'est, j'en ai peur, Lucrèce trahie.

- Mais sous savez bien que les rôles de femmes, du temps de Shakespeare étaient tenus par des hommes. Et au Japon…

- Nous ne sommes ni chez Shakespeare, ni dans le théâtre Nô. Les grands rôles dramatiques féminins romantiques furent écrits pour des comédiennes, monstres sacré(e)s du XIXe siècle, qui s’appelaient Mlle Georges, Mlle Mars, Marie Dorval, Rachel. Pour Lucrèce il faut une « prima donna ».

- Pour contrebalancer, le metteur en scène confie le rôle de Gennaro à Suliane Brahim qui est très émouvante et on comprend que sa mère ait envie de la… le protéger.

- J'admets. Cependant, a-t-elle la carrure de ce « capitaine aventurier », qui a sauvé Hercule d’Este, et est « au service de la république de Venise » ?

- Vous oubliez Aymerillot qui délivre Narbonne et que Hugo décrit ainsi :

         « Une espèce d’enfant au teint rose, aux mains blanches, 


         Que d’abord les soudards dont l’estoc bat les hanches


         Prirent pour une fille habillée en garçon, 


         Doux, frêle, confiant, serein, sans écusson


         Et sans panache, ayant, sous ses habits de serge, 


         L’air grave d’un gendarme et l’air froid d’une vierge. »[1]

         - Mais Charlemagne n’est pas le Doge de Venise. Et Suliam Brahim « déguisée en garçon », semble bien trop fragile pour être « capitaine » de guerre. Peut-être que la vision d’Othello, mercenaire de Venise m’influence et que, dans mon souvenir, s'est gravée l'interprétation admirable d'Éric Ruf qui jouait Gennaro en 1994, et qui est maintenant le Duc de Ferrare. Pour mémoire, Albert Lambert fils, en 1902, jouait le jeune premier des Burgraves, et en 1927, il devint Job, le vieillard. Ce  passage d’un rôle à l’autre, du jeune homme à l’homme mûr, témoigne parfaitement de la continuité, la cohésion, l’harmonie de la troupe.

     -  - Vous l’aimez bien cette troupe.

 

 

        - Et qui ne l’aimerait pas ? Elle est extraordinaire ! N’avez-vous pas apprécié le bel ensemble que forment Jeppo (Éric Génovèse), Maffio (Stéphane Verupenne), Astolfo (Eliot Jenicot), Oloferno (Benjamin Lavernhe), Apostolo (Sébastien Pouderoux), ces beaux jeunes gens fêtards promis à la mort ? Combien Gilles David, le sicaire Rustighello est cauteleux et inquiétant ? Ne trouvez-vous pas que Christian Hecq compose un diabolique Gubetta, cristallisant haine, humour noir, grotesque et sublime ? Et ne trouvez-vous pas que Georgia Scalliet avec sa robe rouge et ses longs cheveux bouclés aurait fait une magnifique Lucrèce ?

         - Maintenant que vous me le dites… Toutefois, il me semble que Hugo n’aurait pas dû retarder autant l’aveu final :  « Je suis ta mère ».  Le procédé paraît invraisemblable.

         - Vous vous souvenez du Jeu de l’amour et du hasard.

         - Évidemment. Mais je ne vois pas le rapport.

         - Combien de temps attendez-vous pour que Dorante avoue : « C’est moi qui suis Dorante » ?

         - Deux actes.

         - Et Silvia, quand se dévoile-t-elle ?

         - Au troisième et dernier acte. Et à la dernière scène.

         - De plus, connaissez-vous, au XIXe siècle, beaucoup de pièces sur l’inceste ?

         - Il y a bien Dommage qu'elle soit une putain de John Ford, mais c'est au XVIIe… Aucune au XIXe.

         - Et sur l’aveu de l’inceste ? Surtout à l'enfant qui en est le fruit ?

         - Aucune. Peut-être au cinéma…

         - Au cinéma ! Alors, Hugo serait donc moderne. Tenez, j’en veux pour preuve cette réplique de Gennaro qui se confie à Lucrèce au premier acte, scène 5 :« Cela est étrange de se livrer ainsi au premier venu ».  N’y aurait-il pas une parenté avec cette pauvre Blanche Du Bois, qui dit : « s’en remettre à la gentillesse des inconnus » dans Un tramway nommé Désir ?

 

Lucrèce Borgia de Victor Hugo

Comédie-Française, salle Richelieu

Jusqu’au 20 juillet.

0825010 1680

 

www.comedie-francaise.fr

 

 

 

 

        

        

 



[1] -  Victor HugoLa Légende des siècles,  « Aymerillot ».