04/08/2014
Le Château des Dames
On l’appelle le « château des Dames », car ce sont des femmes qui lui ont donné sa beauté. La première, Katherine Briçonnet, épouse de Thomas Bohier, fit raser l’ancienne forteresse médiévale. Elle en garda le plan pour l’avant-cour, cernée des douves, le donjon dans lequel elle perça des fenêtres à meneaux Renaissance, et les piles de l’ancien moulin sur le Cher, sur lesquelles elle construisit le château actuel : Chenonceau.
Puis ce fut Diane de Poitiers, (1499-1566) favorite de Henri II, qui le prolongea par une galerie enjambant la rivière, et sur les terrasses surélevées par des digues les protégeant des crues, un jardin à parterres fleuris et allées bien tracées.
Quand le roi mourut, la reine, Catherine de Médicis, (1519-1589) reprit la propriété. Elle poursuivit les travaux d’architecture et l’embellissement des jardins. Jets d’eau, labyrinthe de verdure, rosiers-tige, gazons, tout concourt au charme de l’endroit.
Louise de Lorraine, (1553-1601) veuve de Henri III s’y retira loin de la cour pour y entretenir son deuil.
Une autre Louis, Louise Dupin, bourgeoise éclairée, lui redonna son faste en y invitant les poètes, les philosophes des Lumières, En 1791 elle le sauva de la vente des biens nationaux.
Marguerite Pelouze issue de la bourgeoisie industrielle le restaura. Et Simone Menier (des chocolats Menier) le transforma en hôpital militaire pendant la Grande Guerre, pour contribuer, à ses frais, à l'effort de guerre.
Aujourd’hui, il est ouvert tous les jours, toute l’année et les ombres de ces dames règnent encore sur ces lieux apaisés.
Pendant l’été, les maîtres jardiniers veillent sur 130 000 plants de fleurs, et les enfants peuvent se perdre dans le labyrinthe pendant les nocturnes.
Laissons donc la parole au poète, Rémi Belleau pour nous parler de Chenonceau… ou d’un de ces jardins enchantés qui cernent un royal château :
(…)
Là, les lys et les roses
De leurs robes décloses
Font renaître en tout temps
Un beau printemps,
L’œillet et l’amarante,
Le narcisse et l’acanthe,
Cent mille et mille fleurs
Y naissent, dont l’haleine,
L’air, les bois et la plaine
Là, sur la rive herbeuse,
Une troupe amoureuse
Rechante le discours
De ses amours :
Une autre, sous l’ombrage
De quelque antre sauvage,
Lamente ses beaux ans,
Mais las ! en ce lieu sombre,
Ce n’est plus rien qu’une ombre
Des images vivants.
Je sais bien qu’à l’entrée
Une troupe sacrée
Clinera devant nous
Et, devant tous,
Nous fera cette grâce
De choisir notre place
Dessus de verts gazons,
Tapissés de verveine,
De thym, de marjolaine
Et d’herbeuses toisons.
Je sais qu’il n’y a dame,
Non celle dont la flamme
Vint la flamme tenter
De Jupiter,
Qui s’offensât, cruelle,
De nous voir devant elle
Nous mettre au plus haut lieu,
Ni celle qui la guerre
Alluma dans sa terre,
Fille de ce grand dieu.
12:01 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, poésie | Facebook | | Imprimer
05/07/2014
Un assassin si doué…
Pierre-François Lacenaire ? Nous le connaissions grâce aux Enfants du paradis, de Marcel Carné, film dans lequel Jacques Prévert, lui prête ces propos :
- Lacenaire : Oui, j’ai réussi quelques méfaits assez retentissants, et le nom de Lacenaire a défrayé plus d’une fois la chronique judiciaire.
- Garance (ironique) : Mais c’est la gloire, Pierre-François !
- Lacenaire : Oui, ça commence. Mais à la réflexion j’aurais tout de même préféré une éclatante réussite littéraire.
À défaut de connaître le succès par ses œuvres dramatiques ou littéraires, Pierre-François fit « de sa vie une œuvre ». Dans Lacenaire, Yvon Bregeon et Franck Desmedt ressuscitent le personnage qui se disait « assassin par vocation », en s’inspirant de ses Mémoires, révélations et poésies, écrits par lui-même à la Conciergerie » et publiés dès 1836.
On sait qu’il eut de longues conversations avec François-Vincent Raspail à la Force et que le jeune républicain se passionna pour Lacenaire qui « avait déclaré la guerre à la société ». Lacenaire était poète, dramaturge, voleur et criminel.
Un assassin si doué pour le verbe, dérange et séduit. Il réclame la peine de mort, blasphème, méprise le bourgeois, vante la délinquance, ne respecte ni curé, ni père, ni mère, ni philosophe illustre, et récuse toute autorité.
Son procès fut un véritable spectacle. Après son exécution, en janvier 1836, Sa redingote bleue fut achetée comme une relique. Il a exercé une fascination étrange sur ses contemporains. Il a inspiré Gautier, Lautréamont, Stendhal, Dostoïevski, Baudelaire et plus près de nous, André Breton, René Char, Michel Foucault et Guy Debord.
Yvon Bregeon et Franck Desmedt lui redonnent la parole. Franck Desmedt, qui met aussi en scène, incarne un Lacenaire brillant et incisif. Il a le charme ambigu, le maintien élégant de la « criminelle aristocratie ». En face de lui, Frédéric Kneipp, avec un brio superbe, sera Avril, l’acolyte, qui lui, semait des constellations de fautes d’orthographe. Puis, on le retrouve en avocat, puis en procureur, et comme les auteurs ont enfin décrypté le M*** énigmatique des Mémoires, il sera …Mérimée qui promet : « Mes amis et moi ferons (tout) pour vous relever à vos propres yeux et vous faire rentrer dans la société »[1] mais se contente d’un Discours sur le vertu à l’Académie-Française. Ce discours encadre habilement les scènes à deux qui relatent les méfaits de Pierre-François et soutiennent sa dialectique.
Sur l’étroite scène, on déplace, on entasse des éléments de décor, des fûts de colonnes, blanches et noires comme chez Buren. Tout se joue en duo serré, dans une langue riche, raffinée, celle d’une France romantique et révolutionnaire, glorifiant ce « beau langage » qui était celui que Jouvet préconisait pour le Théâtre.
Lacenaire peut servir d’exemple. Et la pièce se joue tout l’été avec deux comédiens magnifiques[2].
Lacenaire, faire de sa vie une œuvre, de Yvon Bregeon et Franck Desmedt
Théâtre de la Huchette
Du mardi au samedi à 21 h
Jusqu’au 31 août
01 43 26 38 99
Photos : © Lot
Lacenaire, faire de sa vie une œuvre, de Yvon Bregeon et Franck Desmedt
Théâtre de la Huchette
01 43 26 38 99
Du mardi au samedi à 21 h
Jusqu’au 31 août
17:42 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, Histoire, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la huchette, histoire | Facebook | | Imprimer
27/06/2014
Amour et guerre
Ils se sont aimés, mais dix-sept ans de vie commune ont usé leur passion. Ils ne se supportent plus. Les reproches pleuvent. Elle (Rachel André) veut avoir raison et elle soutient des inepties avec une mauvaise foi péremptoire. Lui (Benjamin Tholozan), exaspéré, l’étranglerait volontiers. Ils s’insultent, et même si leur corps à corps dégénère en étreinte, on craint qu’il ne la tue. Car entre eux, c’est la guerre. Eugène Ionesco peint les mesquineries et les outrances d'un couple en conflit.
Benjamin Tholozan a l’œil hagard du guerrier prêt à toutes les exactions et Rachel André, chemise rouge (costumes : Manuela André), chevelure ébouriffée ressemble à la panthère qui va bondir sur sa proie. Et soudain, dehors, une autre guerre commence. On entend des détonations, des crépitements, des déflagrations (création sonore : Julien Cousset). « Ils attaquent à la grenade », « Ils sont sur le palier ».
Qui, "ils" ? Nous ne le saurons jamais. Le conflit extérieur fait écho au conflit intime. Il l’amplifie, et s’en nourrit. Au « délire à deux » répond l’émeute, peut-être la guerre civile et pourquoi pas la guerre mondiale !
Le décor se disloque (scénographie de Xavier Lescat), les vitres volent en éclat, les portes battent, les murs s’effondrent. Des objets tombent du plafond. Toute leur intimité est violée. La peur va-t-elle les réconcilier ?
À peine !
« Profites-en pour t’inventer une autre existence » lui conseille-t-elle. Et aussitôt que la « paix est déclarée », ils recommencent à s’insulter.
La haine les cimente, et les rancoeurs leur tiennent lieu de pitance. Certains couples naviguent ainsi sur fond d’orage.
Rachel André qui met aussi en scène, est d’une fidélité exemplaire à Ionesco. Mouvement et bruit vont crescendo, decrescendo dans des querelles hallucinées. La cruauté s’égare, la raison divague.
Ce Délire à deux, c’est le monde tel qu’il va.
Photos : © Laura Todié.
Délire à deux d’Eugène Ionesco
Théâtre du Lucernaire
Du 23 juin au 27 septembre à 18 h 30
Du mardi au samedi à 18h30
Relâche exceptionnelle le samedi 23 août 2014
01 45 44 57 34 - www.lucernaire.fr
17:38 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, langue, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, lucernaire, ionesco, rachel andré | Facebook | | Imprimer