Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/05/2013

La faute à Voltaire !

 

 

 

 

Théâtre, comédie-française, Saadallah Wallous, SyrieLa pièce de Saadallah Wallous, Rituel pour une métamorphose, qui entre au répertoire de la Comédie-Française tient des Mille et une nuits par son univers, de la parabole politique par la situation dramatique, du drame shakespearien par le foisonnement des intrigues secondaires, du roman de mœurs par l’analyse du comportement des hommes et du conte voltairien par l’ironie. L’œuvre frappe par sa richesse. Il n’est donc pas étrange que les avis divergent sur le spectacle. Car, vous savez bien qu’« il y a tant de gens qui aimeraient mieux être aveugles que de voir tout ce qu'ils voient. »[1] Et si ce Rituel ne métamorphose pas les spectateurs, il suscite discussion et réflexion.

Comment se débarrasser d’un homme qui vous déplaît car son pouvoir empiète sur le vôtre ? Certains n’hésiteraient pas à utiliser le poignard contre le prévôt, Abdallah (Denis Podalydès). Mais pas le Mufti (Thierry Hancisse) ! Il suffit de connaître les faiblesses de son adversaire, de lui tendre un piège et de laisser agir quelque complaisant comme le chef de la police Izzat (Laurent Natrella), un subalterne qu’on peut ensuite récuser.

Hypocrisie ? Non ! Stratégie normale pour un responsable religieux traditionnaliste face à un laïc. Entre des adversaires politiques, nous avons vu le traquenard fonctionner, mais ici, nous sommes à Damas, au XIXe siècle, et le religieux fait la loi.

Abdallah est facile à coincer, puisque marié à Mou’mina (Julie Sicard), il se livre « à la débauche » avec Warda la prostituée (Sylvia Bergé) dont il est amoureux. Il se soumet à tous ses caprices, allant même jusqu’à la coiffer de son turban vert, « insigne de sa dignité ». Crime abominable qui lui vaut une arrestation en flagrant délit, une exposition publique et un emprisonnement avec sa complice.

Comment le sortir de là, le scandale étant consommé ? Il suffit au bon apôtre, - j’ai nommé le mufti -, d’écouter les plaintes des notables qui se jugent déshonorés par « les mercenaires de la police ». Il propose alors de remplacer en catimini, Warda, par Mou’mina, la légitime, de faire passer le chef de la police pour un abruti, et de l’incarcérer.

Injustice ? Non, solidarité de classe ! On louera même votre « grandeur d’âme ». Et l’immunité des puissants sera respectée.

Le gouverneur (Bakary Sangaré) est crédule et surtout très lâche. Il « n’aime pas les problèmes », les geôliers corrompus ferment les yeux. Mais un grain de sable s’est introduit dans la friponnerie bien agencée. Mou’mina a accepté d’entrer dans les manigances du mufti à condition d’obtenir sa répudiation. Une fois libre, la voilà qui rejoint Warda et, sous le nom de Almâssa, devient la prostituée que tous les mâles désirent. Le mufti lui-même, brûle d’amour pour la pécheresse ! Ils en sont « ensorcelés ». Quant à Abdallah, dont le nom signifie «serviteur de Dieu », convaincu de son péché, il fait pénitence et, pour expier sa « honte », prend la robe de bure et va, en mendiant, prêcher la parole divine dans Damas.

L’espace scénique s’inscrit dans un arc de cercle, et la scénographie Sam Collins dessine un vaste salon aux parois opaques d’un rouge brun que les lumières fulgurantes de Marcus Doshi rendent translucides par instants. Des praticables appuyés à ces murs installent de larges divans ou jettent des passerelles de la rue à la prison, de la geôle au bordel, des lieux de pouvoir aux lieux plus intimes. Les murs sont hauts, les portes sont closes. Les personnages se débattent dans une société fermée. Les costumes de Virginie Gervaise sont sobres et suggèrent l’Orient où les codes sociaux sont exigeants. Dans la mise en scène de Sulayman Al-Bassan, les comédiens tiennent formidablement plusieurs rôles, Denis Podalydès passe du tendre Abdallah au méchant Cheikh Muhammad, Laurent Nutella est mercenaire puis notable, comme Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Marion Malenfant, Louis Arene, tous les personnages sont essentiels et doubles dans cette fresque.

Comment rétablir l'ordre et la crainte de Dieu dans Damas quand la prostitution atteint les hommes ? Quand l'amour est revendiqué par ceux qui devraient l'étouffer ? Il ne reste plus qu’à déchaîner les fanatiques pour châtier LA coupable qui a transgressé les interdits, celle qui revendique la liberté et qui clame qu’elle ne veut « posséder personne. » Qui est responsable  ? Le mufti qui lance sa fatwa ou la femme qui refuse de plier ? « La faute à Voltaire »  aurait dit Gavroche ! Elle y laisse la vie. Abdallah aussi qui veut « ne rien vouloir ». Malheur aux faibles ! Et  « Gloire à moi ! », conclut Dieu.

Est-ce que l’auteur, Saadallah Wallous, ne serait pas un peu blasphémateur ?

Pourtant on n’arrête pas la sédition et Almâssa après avoir bravé son père, défie le mufti, pour « sortir de la puanteur de cette mare » et devenir « une mer cristalline ». Elle affronte son frère et les autres exaltés : « Désormais je suis un conte, je suis une obsession, un désir, une tentation ».

Nous savons comment, partout, et pas seulement en Syrie, des séides tentent d’étrangler la liberté. Le combat contre « l'infâme »n’est jamais fini. Il nous concerne tous.

 

 

 

 Photo : © Cosimo Mirco Magliocca

Rituel pour une métamorphose de Saadallah Wallous

Traduction et collaboration Scénique Rania Samara

Entrée au répertoire de la Comédie-Française

salle Richelieu

0825 10 1680

www.comedie-francaise.fr

 



[1]- Voltaire, Le Crocheteur borgne, in Contes.

16/05/2013

Ils ont rouvert le Tabou !

 

 

 

théâtre 13,théâtre,poésie,musique,cabaret,danseOn imaginait que le Tabou, cette cave installée rue Dauphine, lieu mythique des jeunes gens d’après-guerre, avait définitivement disparu, que cette époque était totalement révolue, et même, méconnue des jeunes gens d’aujourd’hui. Eh bien non ! Figurez-vous que ces années-là ont passionné une douzaine de jeunes artistes. Tous issus du Studio  d’Asnières, sous l’impulsion d’Yveline Hamon et Jean-Pierre Gesbert, ils ont créé un cabaret de toutes ces chansons qui avaient enchanté Saint-Germain des Prés.

Ils ont rouvert le Tabou, ce centre de joyeuse folie créative ! Chacun s’est composé une personnalité. Il y a naturellement Simone de Beauvoir (Lorraine de Sagazan) et Jean-Paul Sartrethéâtre 13,théâtre,poésie,musique,cabaret,danse (Antonin Meyer-Esquerré), Juliette Gréco (Sol Espèche) et Marcel Mouloudji (Guillaume Tarbouriech), Jacques Prévert (Jonathan Salmon), Françoise Sagan (Claire Barrabès), Boris Vian (Pascal Neyron), Serge Gainsbourg (Yoann Parize) et même un personnage de Queneau, Zazie (Fiona Chauvin). Pour les accompagner, théâtre 13,théâtre,poésie,musique,cabaret,danseune excellente pianiste (Delphine Dussaux), qui ressemble à Barbara, un saxophoniste charmeur (Lucas Gaudin) qui joue aussi de la trompinette et de la clarinette, et un joyeux batteur (Cédric Barbier).

Et pendant le temps d’un spectacle les voici tous à donner du bonheur aux spectateurs, les vieux (comme moi), les jeunes et les moins jeunes.

Chacun retrouve les grands succès comme Le Déserteur, J’suis snob,  et ceux qu’on avait oubliés comme Chambre 33, Adrienne, et c’est un plaisir partagé de voir comment cette troupe s’en empare, s’investit, tourbillonne.

Les spectateurs sont invités à chanter avec elle, à danser, à partager. 

On voudrait rester toute la nuit avec eux et plus, peut-être…

 

 

Photos © Sabine Bouffelle 

La Bande du Tabou

Cabaret, création collective

Théâtre 13

jusqu’au 23 juin

01 45 88 62 22

www.theatre13.com

 

 

15/05/2013

« Des traces minuscules »

 

 

Madeleine (Marianne Basler), vit dans le désordre dans un appartement québécois où elle vient  d’emménager. théâtre,politique,histoire,artistic athévainsElle devrait s’atteler à l'ennuyeuse traduction d’un rapport économico-écologique.
Mais un entrefilet du journal retient son attention. On y parle d’un certain Yu Dongyue, qui vient d’être libéré après une incarcération de dix-sept années. Qu’avait-il fait ? En 1989, il avait, place Tienanmen, avec deux amis étudiants, lancé des œufs pleins de peinture sur le portrait géant du camarade Mao. Juste de quoi laisser « des traces minuscules », mais assez pour que sa vie bascule à jamais, puisque, par suite des mauvais traitements, il a perdu la raison. Et Madeleine, qui, fit partie de ces étudiants qui, dans les années 70 voyait dans la Chine communiste l’espoir d’un monde meilleur, essaie de comprendre ce geste infime et cette condamnation démesurée.

Cette révélation tourne à l’obsession. Elle en néglige son travail,diffère les cours de français qu’elle donne à une petite chinoise expatriée, Lin (Yilin Yang) qui ne connaît rien des dissidences de son pays. Grâce l’intervention d’un voisin, Jérémie (Antoine Caubet) qui vit un tragique exil intérieur avec un enfant handicapé, Madeleine et Lin s’ouvriront à la réalité.

Menée comme une enquête journalistique Je pense à Yu  la pièce de Carole Fréchette, se construit à partir de documents photographiques, d’articles et de témoignages. La quête de Madeleine devient celle d’une génération, celle des artistes qui se demandent comment intervenir dans des conflits qui oppriment les peuples, dans une Histoire qui les dépasse.

La mise en scène de Jean-Claude Berutti, est servie par une scénographie efficace de Rudy Sabounghi (qui signe aussi les costumes). Marianne Basler, femme fragile tient le rôle avec force. La jeune Yilin Yang émeut, et Antoine Caubet prend des allures de gros ours apprivoisable. 

On ne peut pas rester insensible à leurs drames.

 

 

 

Photo  © Jean-Louis Fernandez 

 

Je pense à Yu de Carole Fréchette

Théâtre des Artistic-Athévains

Mardi 20 h, mercredi et jeudi 19 h, vendredi et samedi, 20 h 30

Jusqu’au 30 juin

01 43 56 38 32