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18/09/2011

Dîner avec le diable

 

 

Il croyait que son génie lui donnerait des privilèges, et que, le Führer aimant sa musique, il pourrait résister à l’idéologie dominante. Mais il ne faut jamais dîner avec le diable et  Richard Strauss (Michel Aumont) en fit l’amère expérience.

En 1931, il est déjà un compositeur illustre, mondialement reconnu, et après la mort d’Hofmannsthal, il demande à Stefan Zweig (Didier Sandre) de lui trouver un sujet d’opéra, puis de lui en écrire le livret. Il croit pouvoir passer outre les lois raciales quand Hitler les promulgue, et pense que « le petit Goebbels » s’inclinera devant  son art. Persuadé que les nazis veulent « soutenir la culture », il  jure qu’il « ne collaborera jamais » avec eux et qu’il imposera « le juif » Zweig. Mais ce dernier sait bien que  la partie est perdue, et il choisit l’exil, puis la mort.

Sur cette trame connue, et grâce à leur correspondance, Ronald Harwood, avec Collaboration, imagine les rencontres du musicien et de l’artiste. Il brosse en contrepoint le portrait d’une épouse naïvement réaliste, Pauline Strauss (Christiane Cohendy), et auprès de Zweig une secrétaire dévouée et effacée, Lotte Altmann (Stéphanie Pasquet) qui deviendra sa maîtresse et le suivra jusqu’à la dernière nuit. La  terreur nazie est personnifiée par Hans Hinkel (Éric Verdin) qui menace Strauss à travers sa bru qui est juive, et ses petits-enfants.

Effroyable chantage qui oblige Strauss à collaborer. Marché infâme qui conduira le compositeur  devant la commission de dénazification en 1948.

Dans les décors sobres d’Agostino Pace, Georges Werler dirige ses acteurs avec rigueur. Les deux protagonistes, Michel Aumont en puissance, Didier Sandre en sensibilité, sont bouleversants. Christiane Cohendy enrichit son rôle ingrat de maîtresse de maison mesquine d’une tendre maladresse. Le nazi est raide sanglé dans son personnage et Sébastien Rognoni en Paul Adolph, directeur d'opéra affolé est excellent dans sa courte scène.

Chaque  séquence  est ponctuée d’extraits  d’opéras et Jacques Puisais a réglé les lumières avec précision. Les costumes de Pascale Bordet recréent l’époque sans ostentation. C'est une pièce sombre, mais qui suscite la réflexion et qui, par ses interprètes admirables, donne toute leur force à ces vers prémonitoires de Gottfried Keller (publiés en 1846) :

« Quand enfin les criminels

Seront chassés du pays

On en parlera longtemps

Ainsi que de la mort noire.

[…] Joie s’élève des souffrances,

Le jour a vaincu la nuit. »*

 

 

* Vers cités dans La Rose blanche, six Allemands contre le nazisme de Inge Scholl, éditions de Minuit. 

 

 

 Collaboration de Ronald Harwood, traduction de Dominique Hollier

Théâtre des Variétés

Depuis le 6 septembre

01 42 33 09 92

 

 

16/09/2011

Les agités du pouvoir

 

 

Critiquer les puissants du jour est un exercice difficile. On pardonne aux chansonniers leurs satires quand elles restent dans les petits théâtres spécialisés, mais s’ils tentent leurs critiques à la radio, à la télé, on a vite fait de les écarter du micro, ou de couper leur numéro au montage de l’émission.

Alors, créer une œuvre pour attaquer les mœurs politiques de nos contemporains semblait impossible. Il y eut bien, du temps de Napoléon le Petit, un trio célèbre, (Offenbach, Meilhac et Halévy) qui s’en donnait à cœur joie, sous couvert de mythologie (La Belle Hélène) ou d’affaires étrangères (La Périchole), mais depuis, beaucoup se contentent de « dépoussiérer » Shakespeare, Corneille, Hugo ou Jarry. La pièce de Jean-Louis Bauer, La Vie de château  a bien été éditée, mais aucun metteur en scène ne s’est pour l’instant, risqué à la monter.

 Aussi, il a fallu bien de l’audace et tout son génie comique à Jean-Michel Ribes pour oser un « opéra bouffe » : René l’énervé. « Puisque les politiques font du spectacle, il est bien normal que les hommes de spectacle fassent de la politique… » a-t-il annoncé. Et le résultat est ce spectacle « tumultueux », qui ne va pas plaire à tout le monde !

Un Chœur antique, Théâtre, Ribes, René l'énervé« venu spécialement de Grèce », ouvre l’action de cet « opéra chaotique, Sophie Angebault, Caroline Arrouas, Claudine Charreyre, Guillaume Severac-Schmitz, perruques bouclées, et robes de toiles peintes (façon sculpture antique), chantent devant le rideau fermé. Lorsqu’il s’ouvre, on découvre quatre structures métalliques garnies d’échelles, sorte de grands « mansions », du théâtre médiéval, éléments mobiles et transformables à l’aide de simples stores : une heureuse création de Patrick Dutertre. Un autre chœur anime la totalité du plateau avec cette question : « voter pour qui, voter pour quoi ? ». Puis vont apparaître, le Vieux Pacha (Gilles Bugeaud), un peu gaga dans son fauteuil roulant, le président sortant qui « a bien rigolé » à les « gouverner », et le grand méphitique Hurtzfuller (Till Fechner), à la recherche d’un candidat à la candidature. Tandis qu’il sélectionne un certain René (Thomas Morris), en survêtement bleu de France, dont la devise est « courir et laisser dire », dans les étages, les chœurs de l’opposition, habits roses et édredons, sont « en pleine réflexion », autant dire qu’ils somnolent. Pourtant, une certaine Ginette (Emmanuelle Goizé) se dresse, véhémente : « debout les lâches !  Suivez-moi ! ». Elle réveille Gaufrette (Sophie Angebault), et quelques autres mais elle n’obtient qu’un « surtout pas ! ». Et les « philosophes «  (Sinan Bertrand, Gilles Bugeaud, Antoine Philippot) à la pensée « paradoxale", ne s’engageant pas, les amis roses Judasso (Sébastien Lemoine) et Foculot (Gilles Bugeaud), trahissent, et plutôt que de retourner leur veste la troquent contre un survêtement.

Il est vulgaire, le petit René, mais « il a du bon sens ! » et l’appui des journaux. Il conquiert tous les opportunistes, du parti des Cons de la Nation (Sophie Angebault, Camille Blouet, Claudine Charreyre, Benjamin Colin, Antoine Philippot, Guillaume Severac-Schmitz) à celui des écolos, (Sinan Bertrand, Emmanuelle Goizé, Sophie Haudebourg, Alejandra Radano, Benjamin Wangermée). Tous font allégeance : « ce serait sympa, qu’il dirige l’État), car le grand Jessantout (Gilles Vajou), sait « tout vendre à la pelle ». Évidemment, l’homme providentiel est élu, ses amis le félicitent : le chanteur idole des jeunes, le comique obscène (Fabrice Schillaci), et même le Pape ! Théâtre, René l'énervé, Ribes

Pourtant dans un coin, un personnage ronge son frein, c’est René2, le double du René qui s’agite. Celui-là n’approuve pas les excès du premier. Il finira par… mais allez voir la fin, car l’action foisonnante ne peut se résumer.

Les noms des ministres sont à eux seuls des trouvailles. Tenez, rien que pour mettre en appétit : « le Ministre des Hautes Frontières et des Pays Autour, »

« le Ministre de la tête droite et du menton en l’air », ou « le Ministre pour-la-modestie-on-ne-craint-personne » ça vous rappelle quelqu’un ? Et Mamaman (Jeanne-Marie Lévy), Ah ! J’oubliais les plus belles : Caramela (Caroline Arrouas) qui le quitte et Bella Donna (Alejandra Radano) séduite et promue au rang de première dame. théâtre,ribes,rené l'énervé,opéra bouffe Les chanteurs, merveilleux comédiens, assument quelquefois quatre à  rôles et des emplois dans les choeurs. Nous en retrouvons plusieurs de la compagnie des Brigands, qui sont rompus à ces emplois multiples. Les costumes de Juliette Chanaud sont extraordinaires de justesse dans les couleurs et les formes. La musique de Reinhardt Wagner est jouée par six musiciens, dirigés par Delphine Dussaux. Les ballets sont réglés par Lionel Hoche. Une joie permanente !

Devant ce travail de précision, on voudrait admirer sans réserve. Peut-être le personnage de René 2 affadit-il la satire. Peut-être certaines séquences gagneraient à être abrégées afin de donner plus de rythme et garder l’allure de la course folle vers le pouvoir

Quoi qu’il en soit, ce premier opéra bouffe sur notre époque mérite le détour par le Rond-Point. Car, toute ressemblance avec des personnes existantes n'est pas une coincidence, c'est un acte de  « résistance », à la nouvelle devise : « sécurité, rentabilité, vulgarité ».

Et si nous voulons vivre « ensemble dans un pays qui nous ressemble », et non dans ce monde frelaté, il faut voter, mais pas pour ces agités du pouvoir, pas pour ces guignols.

 

Photos : © Giovanni Cittadini Cesi

 

René l’Énervé opéra bouffe de Jean-Michel Ribes et Reinhardt Wagner

Jusqu’au 29 octobre, 21h

Dimanche 15 h

Théâtre du Rond-Point

01 44 95 98 21

13/09/2011

Un spectacle dans le vent

 

Au théâtre du Ranelagh, sa directrice, Catherine Develay aime les auteurs dramatiques. Pour ce début de saison, elle rend hommage à un des plus grands. Non, pas Molière ! Catherine Develay aime les auteurs vivants. C’est rare, je sais, d’habitude les directeurs, les metteurs en scène, les critiques préfèrent célébrer les morts. Mais comme René de Obaldia est Immortel, elle pouvait le faire sans attendre.

rené de obaldia,thomas le douarec,théâtre du ranelaghDu vent dans les branches de sassafras inaugure ce festival. Créée en 1966, la pièce est toujours dans le vent. Pour Thomas le Douarec qui l’avait déjà mise en scène en 1999, dans ce même théâtre, elle est fétiche. Pour nous, spectateurs, c’est un régal ! Il a changé de comédiens, changé de décor (Claude Plet), fait récrire des couplets, composer de la musique (Medhi Bourayou qui sur scène joue du piano et de la guitare). Il renouvelle ses effets, et le western, devenu un classique, donne aux spectateurs ce plaisir qui manque, hélas ! souvent, dans nos théâtres.

 

Patrick Préjean est superbe en patriarche chef de clan, John Emery Rockfeller, forte tête, grande gueule, tyran domestique et grand cœur qui a toujours secouru « la veuve et l’orpheline ». Sa sainte femme, Caroline (Isabelle Tanakil) lui pardonne ses frasques et prédit l’avenir dans une boule de cristal. Attention, pas n’importe laquelle ! Celle-là est énorme, à facettes, elle illuminait les bals de son « manège d’étoiles filantes ».rené de obaldia,thomas le douarec,théâtre du ranelagh Entrent dans la danse, un vieil ivrogne à la recherche de la rédemption : Butler (Christian Mulot), la fille de la maison : Paméla (Marie Le Cam), le fils indigne : Tom (Charles Clément, qui jouera aussi aux Indiens (Œil de Lynx, Œil de Perdrix) avant qu’on découvre qu’il n’était pas le traître qu’on pensait. Il y aura aussi une pécheresse repentante : Myriam (Michèle Bourdet) qui n’est pas non plus celle qu’on croit. Et naturellement, le héros justicier, Philippe Maynat (Carlos), ne restera pas solitaire, car vous l’avez deviné, René de Obaldia ne prend rien au sérieux. Lui, qui avait trouvé le moyen de faire rire ses compagnons de misère du stalag VIII C, ne va pas se gêner avec la mythologie de la conquête de l’Ouest !

 

rené de obaldia,thomas le douarec,théâtre du ranelaghLoin du folklore américain, mais très près des Monty Python, le vent qui souffle dans les branches de sassafras décoiffe et réjouit. Fantastique et ironique, tendre, gai, poétique, il nous ferait croire que l’imagination est au pouvoir.

 

 

 

Photos © Lot

 

Du vent dans les branches de sassafras de René de Obaldia

Théâtre du Ranelagh

Du 9 septembre au 19 novembre à 21 h

01 42 88 64 44

www.theatre-ranelagh.com