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15/03/2013

Le Capital selon Dario Fo

 

 

 

théâtre,dario fo,théâtre 14La pièce s‘ouvre avec le bruit lugubre du klaxon d’une ambulance, et la première partie se déroule à l’intérieur du « complexe de réanimation » au milieu duquel se dresse le buste du généreux donateur, Agnelli, patron des usines Fiat.

Au service des urgences, on accueille, avec beaucoup de ménagements, Rosa (Céline Dupuis) une petite bonne femme qui doit identifier un homme dont l’état est critique. Brûlé, cassé, défiguré, le malheureux, déposé anonymement à l’hôpital, était roulé dans la veste d’un certain Antonio (Gilles Ostrowsky) son mari, ouvrier chez Fiat. Il est méconnaissable, enveloppé de bandelettes comme une momie vivante ! Et il faudra que Rosa apporte des photos au médecin (Anne Dupuis) pour que la chirurgie réparatrice lui reconstruise le visage.

théâtre,dario fo,théâtre 14Vous croyez assister à une tragédie ? Pas du tout ! Vous êtes dans la farce. Antonio n’est pas celui qui gît, pantin disloqué, dans le lit d’hôpital. Il est celui qui a arraché l’inconnu aux flammes, l’a amené aux urgences, avec sa propre veste où il a laissé… ses papiers, avant d'aller rejoindre la camarade Lucia (Milena Esturgie) sa maîtresse. Celle-ci, bien informée, lui apprend que le blessé est en réalité l’héritier Agnelli, qu’un commando venait d’enlever. La tentative de séquestration a mal tourné, et le véritable Antonio ayant sauvé son patron, devient un clandestin.

Un commissaire (Gérald Cesbron) borné et une juge (Milena Esturgie) obstinée aggravent la situation rocambolesque, quand, après des mois d’hospitalisation, de rééducation, Agnelli se retrouve avec « une tête de guignol », et Rosa avec deux Antonio.

Dario Fo fait courir allègrement Antonio et son sosie, et tourner en bourrique flics et médecins. Il réécrit, sur le mode grotesque l’enlèvement d’Aldo Moro, stigmatisant les négligences coupables de l’État, et la responsabilité du gouvernement.

théâtre,dario fo,théâtre 14Agnelli demande : "Vous n'avez jamais lu Karl Marx ?" et tonne "Je suis le Pouvoir !"  et Le Capital selon Dario Fo, se révèle beaucoup moins ennuyeux que celui de Karl Marx.

Nous avions, à la création, (novembre 2010) rendu compte de la mise en scène de Marc Prin et dit tout le bien que nous pensions de l’œuvre*. Elle semble un peu à l’étroit au Théâtre 14. Mais si tu n’as pas pu aller à Dario Fo, à Nanterre, Dario Fo est venu à toi et tu en sortiras ragaillardi.

 

 

 

Photos :© Franck Treboit.jpg

 


Klaxon, Trompettes… et pétarades  de Dario Fo

Théâtre 14

Jusqu’au 27 avril

01 45 45 49 77

ma, ve, samedi à 20 h

me et je à 19 h

samedi à 16 h

  

* Archives du blog 22/11/2010 -  Trompettes d'alarme


La troisième tête

 

 

théâtre,comédie-française,marcel aymé,lilo baurLa justice humaine est faillible. Après la Libération, les mêmes flics qui avaient arrêté les résistants, les mêmes juges qui les avaient condamnés, arrêtèrent et jugèrent ceux que la vindicte qualifiait de « collabos ». Il y avait des gens odieux qui, habilement avaient servi les uns et les autres et qui furent blanchi. La Justice ne fut pas toujours intègre et les compromissions, les vengeances, l’esprit de corps et la force de « la chose jugée » entraînèrent bien des erreurs judiciaires.

Marcel Aymé, dans La Tête des autres, s’en souvient.  Comment ne pas penser à Joanovici, dit M. Joseph, sous les traits d’Alessandrovici (Serge Bagdassarian), qui a « vendu de tout aux Allemands », et achète maintenant les consciences ? Comment ne pas imaginer, sous l’imperméable de Gorin (Félicien Juttner) et de Lambourde (Clément Hervieu-Léger), les tristement célèbres Bonny et Lafont, prêts à tout pour s’enrichir et même à trouver « un » coupable et non « le » coupable. Et la condamnation de l’innocent, Valorin (Laurent Lafitte), n’évoque-t-elle pas un peu celle de Mis et Thiennot ?

Mais au-delà des circonstances  exceptionnelles de l’époque, l’auteur met en cause les hommes qui régissent le système judiciaire, leur vénalité, leur soif d’honneurs et leur servilité.

Le procureur Maillard (Nicolas Lormeau) vient d’obtenir sa « troisième tête », celle de Valorin, un jeune musicien de jazz accusé d’un crime crapuleux. Il clame son innocence mais ne connaît pas le nom de la femme avec laquelle il a passé la nuit. Maillard est éloquent. Sans preuve, rien qu’avec des présomptions, Valorin est condamné à mort. Maillard triomphe. Ses amis, le procureur Bertolier (Alain Lenglet) et sa femme Roberte Bertolier (Florence Viala) le félicitent, son épouse, Juliette Maillard (Véronique Vella), est heureuse et, « toute la soirée », ses enfants « ont joué à se condamner à mort ». Maillard est un grand homme.


Maillard est un Tartuffe. Il trompe sa femme avec Roberte, la femme de Bertholier. Et Valorin, qui s’est échappé, affirme « que cette femme est une garce », puisque c’est avec elle qu’il a passé la nuit du crime. Elle le reconnaît, elle avoue. Mais quel est plus important ? Rendre justice et « compromettre la femme d’un magistrat »  ou se débarrasser de l’innocent devenu encombrant ? Si Bertholier est un « cocu », Maillard est un « vendu », et si Roberte est une « criminelle », il ne manque à Juliette qu’un peu de « sex-appeal », pour passer du statut de mère à celle de « putain ».

Dans la scénographie de Oria Puppo, la mise en scène de Lilo Baur, commence dans un salon bourgeois cossu, se resserre dans l’office fonctionnel et dépouillé, puis plonge dans l’antre du gangster, qui « vit grassement sur le fumier des scandales », avec ses sbires, l’assassin Dujardin (Mich Ochowiak), la secrétaire pin-up Renée (Laure-Lucile Simon). Enfin, le fond s’ouvre dans des fumées infernales, et Alessandrovici disparaît mais pas pour longtemps, puisque Maillard et Bertholier vont courir  se mettre à ses ordres.théâtre,comédie-française,marcel aymé,lilo baur

La metteuse en scène a choisi la première version du dénouement, celle de 1952, où l’intervention d’Alessandrovici permettait à la pièce de finir en comédie. Lilo Baur montre comment craque le vernis des bonnes manières. Un mot de trop, les insultes pleuvent, et ils en viennent aux mains. Les gifles claquent, et c’est le condamné à mort qui sépare les combattants ! Les comédiens ont adopté les attitudes de personnages ambigus, des gestes de fauves prêts à bondir. Les lumières de Gwendal Malard soulignent ces effets cinématographiques. La représentation ne peut laisser insensible. Le spectateur assiste là à un fameux réquisitoire contre la peine de mort, l'inéquité des institutions et la méchanceté des hommes.

« L’injustice est en nous », et le désir aussi puisque Valorin qu’on aurait cru plus probe, se roule sur le canapé avec Roberte, abandonnant Juliette à l’amertume. « Est-ce que je parle d’amour ? » demande-t-il.

L’univers de Marcel Aymé parle de désillusion et de personnages en quête de vérité et d’amour.

 

Photos © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française


La Tête des autres  de Marcel Aymé

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 17 avril

01 44 39 87 00/01

 

 

14/03/2013

Voici l'heure...

 

 

Robinson a fait ouvrir les portes du temple et une neige serrée tombe sur le Père Lachaise. Le metteur en scène l’aurait voulu ainsi, à la fin du spectacle, son dernier.Jêrome Savary

Sauf qu’il ne viendra pas saluer. Et que ces mots de Platon, inscrits au fronton intérieur : 

Voici l’heure de nous en aller

Moi pour mourir, vous pour vivre

Qui de nous a le meilleur partage ? »

il ne les dira pas, lui, Jérôme Savary, qui aimait tant la vie.

Et la fanfare du Magic Circus  - dont l’étendard de velours pourpre brodé d’or n’appelle plus à aucune provocation, -  joue comme introït le Saint James infirmary. Puis, il y aura ses musiques préférées : Duke Ellington, Gregg Martin, John Coltrane, Count Basie. Mais pas de discours !

Nous sommes là, immobiles, et Billie Holiday chante :

The snow is snowing, the wind is blowing

But I can weather the storm !

What do I care how much it may storm?

I've got my love to keep me warm.

Et nous pensons à lui qui nous a donné tant d’émotion.

Et soudain sa voix nous parle, railleur, de la solitude et de la mort. C’était, il me semble, Les Derniers jours de solitude de Robinson Crusoé*. Il disait « le théâtre ce n’est pas la vie », et encore « le problème de la mort ne nous est pas étranger », et les spectateurs riaient.

On l’a souvent pris pour un bouffon, il était un philosophe. Et un roi international de la scène que ce fût au Théâtre ou à l'Opéra.

Sur When the saints go marching in, la fanfare jouait la sortie vers le Paradis sous les applaudissements.

Alors, Michel Dussarat, qui l’accompagne depuis toujours, donna à Nicolle Rochelle** un micro afin qu’elle puisse chanter une dernière fois pour celui qui révéla son talent dans le rôle titre de sa dernière création à l’Opéra-Comique : Looking for Joséphine.  

Et nous n’avions plus envie de le quitter.

Il est donc resté parmi nous, Jérôme Savaryet il suffit de dire « La Périchole », ou « Cyrano de Bergerac »,  « Chantecler », « Arturo Ui », "La Femme du boulanger", ou « Utte Lemperer », « Barbara Schulz », « Mistinguett »,  « Zazou », pour que, de nos mémoires, l’écheveau des souvenirs nous le ramène, éternel saltimbanque, riant des inanités humaines afin de continuer à vivre…

 

 

 

 

Photo : Nina et Manon avec leur père Jérôme, et Michel Dussarat devant l'affiche de La Fille à marins, spectacle donné au Théâtre Rive gauche en 2012. © D.R.

On pourra consulter, pour plus d'images, sur cet hommage à  Jérôme Savary :

http://www.boursorama.com/

http://www.purepeople.com/article/obseques-de-jerome-savary-sous-la-neige-et-les-applaudissements-au-son-du-jazz_

 

·       * Texte publié dans L’Avant-Scène Théâtre N° 496 (épuisé), en 1972.

·       ** qui fut une Joséphine Baker étonnante