12/01/2015
Une cuisante leçon
Ascanio Celestini est un auteur engagé, une sorte de fils spirituel de Dario Fo.
David Murgia est un acteur-auteur de la même génération qu’Ascanio. Il s’est emparé de Discours à la Nation pour en faire un spectacle d’une actualité stupéfiante.
Qui parle ? Un jeune loup souriant, aimable, décomplexé comme on dit aujourd’hui. Il est calme, pas méchant pour deux sous, et il assène de terrifiantes vérités au « troupeau de cibles », les spectateurs qui sont devant lui, et qui ont « abandonné la lutte ».
Il prétend être des nôtres « Quelle déception, camarades ! », et nous traite de « bâtards »…
Il parle comme Gramsci en opposant le « pessimisme de la raison » à « l’optimisme de la volonté ». Il ironise comme Jonathan Swift en proposant de manger les immigrés et les chômeurs. Mais en l’entendant affirmer qu’il n’a « aucun préjugé politique », la « distanciation brechtienne » se réveille…
Dans une scénographie de Chloé Kegelart et des lumières de Danilo Facco, il empile des cageots, édifie des tribunes, impose sa parole d’aspirant dictateur qui « choisit » son peuple et le manipule. David Mugia compose à merveille un personnage cynique et charmant,
Il n’est pas seul sur la scène, un guitariste, Carmelo Prestigiacomo l’accompagne. Quelques notes, un couplet en contrepoint, et la machine à recerveler entre en action. Cuisante est la leçon !
Nous avons vu le spectacle le 7 janvier. Il a débuté par des mots fraternels envers les victimes de l’obscurantisme, nos amis de Charlie Hebdo. Ensuite, tout ce que David Murgia nous balance fait mouche. C’est notre mollesse, notre résignation qui nous rendent responsables des renoncements et des trahisons.
On sort de là glacés, mais fouettés, résolus. Camarades ! Ne nous laissons pas berner par les apparences ! et comme on disait il y a encore peu : « Continuons le combat ! »
Discours à la nation d’Ascanio Celestini
Jusqu’au 1er février
Ensuite tournée en France et en Belgique de février à avril 2015
Théâtre du Rond-Point
01 44 95 98 21
18:01 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, théâtre du rond-point, david murgia, politique. | Facebook | | Imprimer
10/01/2015
Justes et injustes noces
Les contemporains de Beaumarchais ont vu dans Le Mariage de Figaro une pièce qui annonçait la Révolution : « Figaro a tué la noblesse » disait Danton. Anne Ubersfeld affirmait que c’était la première pièce romantique. Jean-Paul Tribout en propose une nouvelle mise en scène aujourd’hui et montre combien les combats contre l’obscurantisme et l’arbitraire sont toujours nécessaires.
Nous ne redirons pas ici l’intrigue du Mariage, on devrait dire des mariages, puisqu’à celui de Figaro avec Suzanne, apparaissent, imbriqués, le mariage du Comte et celui, différé, de Marceline.
Beaumarchais, dans sa Préface au Mariage de Figaro disait combattre « l’hypocrisie de la décence » pour revenir à « la franche et vraie gaieté » qui distingue « de tout autre le vrai comique de notre nation ». Il voulait Suzanne « spirituelle, adroite et rieuse », Agnès Ramy qui l’incarne est, comme aurait dit l’ami Wolinski, tout simplement, « bandante ». Figaro la choisit comme épouse, le Comte (Xavier Simonin) la désire, Bazile (Xavier Simonin) la caresse, et ce petit garnement de Page (Thomas Sagols), y tenterait bien un coup d’essai. Affriolante en jupon et corset (costumes : Aurore Popineau), effrontée et lucide, elle comprend plus vite que Figaro (Éric Herson-Macarel), les intentions faussement généreuses du Comte : « Il y a, mon ami, que, las de courtiser les beautés des environs, monsieur le comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme; c'est sur la tienne, entends-tu, qu'il a jeté ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas. » C’est elle qui démasque les hypocrites : « Et c'est ce que le loyal Bazile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maître à chanter, me répète chaque jour, en me donnant leçon. » Justes noces pour Suzanne, mais combien d'injustes noces dans ce monde tartuffié ?
Le Mariage de Figaro est une pièce à la gloire des femmes. Elles y sont solidaires. La mélancolique et timide Comtesse (Marie-Christine Letort) décide de prendre l’habit de Suzanne pour confondre son infidèle de mari. L’amère Marceline (Claire Mirande), une fois libérée de son secret, s’affranchit de la tutelle des mâles : « Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoires ; leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ! Ah sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié ! ». Elle aide alors ses sœurs à s’émanciper. Et même la petite Fanchette (Alice Sarfati), dénonce le grand seigneur.
Une des grandes difficultés de la mise en scène du Mariage est la multiplicité des lieux. Cinq actes, cinq lieux différents, sans compter, comme le souligne Jean-Pierre de Beaumarchais, les lieux « d’invisibilté », à savoir au premier acte, le fauteuil de malade où peuvent se cacher Chérubin puis le Comte, et aux actes suivant l’alcôve, le cabinet, le jardin, le bois, le pavillon où se réfugient les pas encore amants, les pas encore fautifs, qui se comportent comme des coupables, menacés qu’ils sont par la colère du Comte. Amélie Tribout résout tous ces problèmes par un décor unique, plus rêvé que réel, un mur d’un bleu céleste où courent de jolis nuages duveteux, et qui dissimule trois portes. Les comédiens apportent et emportent quelques accessoires sur un plateau nu, les lumières de Philippe Lacombe fabriquent le reste.
Jean-Paul Tribout ne se contente pas de diriger avec ingéniosité tous les comédiens – outre ceux qu’on a déjà nommés, n’oublions pas Jean-Marie Sirgue qui est tour à tour Gusman bégayeur et Brid’oison mauvais juge, Marc Samuel, en Bazile cauteleux puis en cumulard Double-Main, et Pierre Trapet un Antonio madré – il est aussi le Dr Bartholo, pétri de rancune, suborneur confondu. Et le metteur en scène restitue au Mariage toute la dimension sensuelle que certains cachent sous des intentions socialisantes.
Il impose à la pièce un rythme de cavalcade. N’est-ce pas « la folle journée » ? Et de scène en scène, le public conquis par ce Mariage en savoure l’insolence, la justesse, et le bonheur.
Photos © Emmanuelle Ales
Le Mariage de Figaro de Beaumarchais
jusqu’au 21 février
Théâtre 14
01 45 45 49 77
Jean-Pierre de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro collection études littéraires, PUF.
18:26 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, humour, Littérature, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mariage de figaro, théâtre 14, beaumarchais, tribout | Facebook | | Imprimer
09/12/2014
Les vieilles dames indignes
Vous n’avez jamais vu ça ! Ils sont plus de cinquante sur le plateau. Une trentaine issus du Saitama Gold Theater, les anciens qui ont entre 61 et 88 ans, et vingt-six jeunes du Saitama Next Theater. Et les plus ramollis ne sont pas les vieillards. Pardon, les vieillardes…
Elles sont terribles ! La Vieille Bombe, la Vieille Chauve, et toutes les grands-mères qu’on représente toujours gentilles, indulgentes, protectrices, sont ici des furies, mues par la haine et le désir de vengeance.
Alors ils vont déguster. Ils ? Les hommes d’abord, maîtres incontestés de leur destin depuis des siècles, voire des millénaires, engeance hypocrite et injuste, coupables de tous les maux de la société : « saleté de code civil ! » Ensuite, ce sera le tour des enfants et les petits-enfants n’y survivront pas.
Tout commence avec l’arrestation de deux étudiants et leur présentation au tribunal N°8. L’une des Grands-mères est convoquée. Le Procureur est partial, le juge brutal, l’avocat commis d’office incapable de trouver le bon dossier. La grand-mère ratiocine. Le juge l’expulse. Grave erreur ! Car une armée de vieilles envahit le tribunal et s’y installe. « Elles sont folles ! » clament les fonctionnaires. Elles prennent le pouvoir, bousculent les procédures, humilient les magistrats, et provoquent un séisme, alimentent une émeute. Tout finira très mal. Pour tous. Les vieilles dames indignes seront massacrées avec leurs otages. N'était-ce pas ce qu'elles souhaitaient ?
On pensait qu’Aristophane avec L’Assemblée des femmes avait égratigné la société athénienne. Kunio Shimizu et son metteur en scène Yukio Ninagawa, la passent au vitriol. Ceux sur qui repose le salut de la société ne gagnent pas et l’impérialisme japonais peut battre sa coulpe. « Peine de mort » pour ceux qui avaient l’habitude de prononcer des sentences capitales, pas de faiblesse pour la famille, à bas le népotisme !
Explosions, fumigènes, bruit de fusillades, vrombissement d’hélicoptères, le spectacle suggère la violence d’une société mortifère. « Il ne nous reste qu’à rajeunir »… ou ressusciter d’entre les morts. Mais les ténèbres sont profondes et les corbeaux des charognards.
On ne sort pas indemne de ce spectacle. Et mes petits-enfants feraient bien de se méfier de leur grand-mère !
Photos © Maiko Miyagawa
Corbeaux ! Nos fusils sont chargés ! de Kunio Shimizu
mise en scène de Yukio Ninagawa.
japonais surtitré en français
spectacle créé à Tokyo en 1971, reprise.
Jusqu’au 12 décembre au Théâtre de la ville
www.theatredelaville-paris.com
01 42 74 72 77
16:39 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre japonais, théâtre de la ville | Facebook | | Imprimer