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10/05/2015

Pareils à des crapauds

 

 

 

théâtre,théâtre du rond-point,dnse,musiqueQuatre musiciens s’installent à cour. Puis un couple entre. Lui, (Mathurin Bolze) costume noir et chemise blanche offre son bras à une jeune femme (Laida Aldaz Arrieta)en longue robe blanche. Ils avancent fièrement. Un tour, deux tours, cinq tours. Imperceptiblement, à de petits gestes, des mains repoussées, un tiraillement, un pas de retard, un écart dans la marche, on devine une mésentente. Puis entre l’unijambiste (Hèdi Thabet) avec ses deux cannes anglaises. Il les suit, il les empêche d’avancer en posant ses cannes sur la traîne de la femme. Il pousse la mariée à terre, elle s’accroche à lui, grimpe sur son dos, se traîne après lui, le devance. Les cannes s’envolent, et on ne sait plus qui est infirme.

Étrange et superbe trio où la rivalité amoureuse se déchaîne, se projette, et s’apaise comme un vent qui tombe, tant le désir de réconciliation est plus fort que la pitoyable haine.théâtre,théâtre du rond-point,dnse,musique

Ali Thabet et Hèdi Thabet, qui ont conçu ce spectacle de danse et d’acrobatie, accompagné d’une musique de rébètiko, disent s’inspirer de René Char : « Nous sommes pareils à ces crapauds qui dans l’austère nuit des marais s’appellent et ne se voient pas, ployant à leur cri d’amour toute la fatalité de l’univers. »

Les trois danseurs, les trois crapauds, marchent ensemble, dansent ensemble, pareils à des oiseaux. Ils réinventent la fraternité malgré les différences, malgré les détestations.

Et ils sont magnifiques.

 Photos : ©  Manon Valentin

 

Nous sommes pareils à ces crapauds qui... / Ali d’Ali Thabet et Hèdi Thabet

Théâtre du Rond-Point

Jusqu’au 23 mai, à 18 h 30

01 44 95 98 21

www.theatredurondpoint.fr

 

 

29/04/2015

Partager l’amour

 

Elle était née pour « partager l’amour, non la haine ». Théâtre, théâtre de la Ville, Antigone de Sophocle

Antigone (Juliette Binoche) se révolte contre le décret de son oncle Créon. Elle refuse que, de ses deux frères, Etéocle et Polynice qui se sont entretués, l’un soit privé de sépulture et abandonné aux chiens et aux oiseaux. «  Qui sait, si chez les morts, de telles lois sont justes ? » Et elle accomplit donc les rites funéraires. Elle est arrêtée et condamnée à mort.

Ivo Van Hove met en scène Antigone de Sophocle, en anglais pour une tournée internationale. Il a choisi un lieu imprécis et atemporel (décor & lumières : Jan Versweyseld). La scène comporte plusieurs plateaux. Le premier, proche du public est une sorte de salon-agora-bureau où Créon reçoit ses conseillers (le chœur), puis Tirésias. Un large passage, quelques marches plus haut, domine  ce premier espace. En son centre, se cache une trappe d’où surgira le corps de Polynice, et par laquelle descendra celui d’Antigone. Et, dans son axe se dresse un étroit passage surmonté d’un cercle qui s’ouvre comme un disque solaire, découvrant le ciel clair, puis se ferme comme une pierre obscurcissant le tombeau. On dirait qu’une immense « hache-ostensoir », pareille à celles des cérémonies kanaques préside à la tragédie ?

Où sommes-nous ? Et quand ? Les hommes du chœur (Finbar Lynch qui joue aussi Tirésias), Hémon (Samuel Edward-Cook) sont en costumes sombres modernes (An d‘Huys), Antigone vêtue de noir, fragile silhouette, affronte le tyran (Patrick O’Kane) massif et impitoyable. Ismène (Kirsty Bushell) est en jupe rouge, Eurydice (Kathryn Pogson) porte du brun et le garde (Obi Abili) du gris.

Créon s’obstine. Antigone résiste.

Ivo Van Hove essaie « d’appréhender l’âme noire d’Antigone »*.  Or, il m’a toujours semblé qu’elle était un cœur pur, une de ces âmes virginales respectueuses du sacré, et dont l’amour pour sa famille reste intact malgré toutes les vicissitudes. Ce n’est pas son « impulsion » qui la fait « prendre soin de la dépouille de son frère », mais un sentiment profond de pitié et de tendresse, accompagné du sens du « devoir ». L’ordre de son cœur, de sa foi, s’oppose à l’ordre de la cité. Et pour l’accomplir, au lieu du lit nuptial promis, elle choisit le tombeau.

Alors pourquoi la faire ressusciter pour le finale ? Surgie par la grâce de la trappe, elle se mêle au chœur pour blâmer l’orgueilleux Créon anéanti par la mort de ses fils et de sa femme.

Étrange, non ?

 

 

* - extrait du programme.

 

 Photo © Jan Versweyveld

Antigone de Sophocle

Théâtre de la Ville

01 42 74 22 77

Adaptation en anglais de Anne Corson

Version surtitrée

Jusqu’au 14 mai

26/04/2015

À lire et à jouer

 

 

Théâtre, Japon, Histoire, Jean-Paul Alègre, livreMoi, Ota, rivière d’Hiroshima de Jean-Paul Alègre

 

C’est une belle idée, une idée de poète, de donner la parole à une rivière. Ota est celle qui traverse Hiroshima, celle qui est entrée en ébullition quand, il y a soixante-dix ans, le 6 août 1945, Little Boy frappa sa cible, libérant une chaleur de six mille degrés.

Jean-Paul Alègre restitue l’Histoire avec une grande maîtrise de dramaturge. Les scènes réalistes et proprement historiques où les présidents Roosevelt, puis Truman, et leur conseiller, Vannevar Bush (oui un Bush, déjà !) jaugent tranquillement les avantages de la bombe, alternent avec les scènes lyriques où la rivière chante la nature éternelle, et les scènes élégiaques où deux adolescents, le frère et la sœur, séparés par la guerre tentent de garder le lien familial.

Nous retrouvons ici l’auteur de Vol 2037C’est Jean Moulin qui a gagnéLettres croiséesBlanche Maupas  ou L’Amour fusillé, qui explore le monde en humaniste. Il décrit la course insensée des hommes de pouvoir, le déchirement des humbles et leur combat pour la justice. Compositions chorales, ces œuvres s’inscrivent dans la belle lignée du théâtre épique, rarement parcourue par nos auteurs. Avec Moi, Ota, rivière d’Hiroshimales morts innocents en appellent auprès des vivants responsables. 

Le texte est magnifique.

La pièce vient d’être créée au Japon au théâtre Kaï de Tokyo. Une tournée est prévue là-bas. L'accueil y est triomphal. Moi, Ota, rivière d’Hiroshiman’est pas encore jouée ici, en France, mais elle le sera grâce à l’édition.

 

Moi, Ota, rivière d’Hiroshima de Jean-Paul Alègre, éditions de L’Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-Vents, prix : 10 €