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11/05/2013

Les grandes manœuvres

 

 

Le monde des affaires est sans pitié. Depuis des mois, Stratton (Robert Plagnol) et Cole (Swann Arlaud) déploient toute leur intelligence pour, de réunion en réunion, venir à bout de négociations délicates avec Jack et lui faire signer un contrat juteux pour leur firme. Or, le matin de la signature, Jack  est « en arrêt de maladie » et c’est Karine David (Anne Bouvier), celle qui a rédigé le pré-rapport qui vient au rendez-vous. Panique ! Que cache cette défection ? Des rumeurs folles courent d’étages en bureaux, et Frank (Patrice Kerbrat), de l’équipe directoriale vient, en personne les corroborer. Les grandes manœuvres, minutieusement préparées, risquent d’être inutiles.

La pièce d’Andrew Payne, En réunion, dont Robert Plagnol signe l’adaptation, présente les arcanes de ces sociétés où chacun s’efforce de gagner la confiance de ses chefs en écrasant l’autre. Car ce n’est pas seulement l’appât du gain qui motive ces êtres, mais la volonté d’anéantir celui qui risquerait de vous voler, un jour, la place. À ce mépris de l’individu, cet univers ajoute la misogynie viscérale de ces mâles soumis à des jugements constants de leurs pairs comme de leur chef et pour lesquels toute femme est "une salope".

Colle bout de colère, de suspicion et de haine. La raison de Stratton vacille à force de se maîtriser. Patrice Kerbrat met en scène cette comédie amère dans un décor gris de jean Haas, les lumières de Laurent Béal cernent les protagonistes jusqu’à l’aliénation. Les comédiens se délectent de jouer les cyniques. Pas de sentiments ! Que des ambitions !

Pourtant, c’est l ‘amour blessé qui fait souffrir Stratton et l’absence d’amour qui rend Colle si fragile et Frank si fielleux. Pourtant, si le stylo de Stratton s’est retrouvé dans les mains d’une certaine Diane qui l’a offert à Cole en guise de cadeau de rupture, ne serait-ce pas que Diane a eu avec Stratton une « relation inappropriée » ?

 

 

En réunion d’Andrew Payne

Adaptation de Robert Plagnol

Petit-Montparnasse

01 43 22 77 74

Du mardi au samedi à 21 h, dimanche 16 h

01 43 22 77 74

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

 

L’oblomovisme expliqué par la scène

  

Le baron Ilia Illitch Oblomov (Guillaume Gallienne) vit reclus dans son appartement de Petersburg avec son vieux domestique Zakhar (Yves Gasc), médisant, négligent, maladroit, mais d’une fidélité sans limite. Son intendant le vole, son domestique le filoute. Mais Oblomov passe le plus clair de son temps en robe de chambre à rêvasser sur sa méridienne.

Son ami Ivan Alexeïevitch (Nicolas Lormeau), petit fonctionnaire, essaie de le sortir de sa léthargie et de l’entraîner à Ekatérinhof pour fêter le printemps. En vain ! Un seul homme arrive à secouer cette nonchalance : Andreï Stolz (Sébastien Pouderoux). Andreï a le même âge qu’Oblomov. Il est vif, tout en muscles et en nerfs, pragmatique, travailleur. Oblomov est pâle, flasque, sans volonté. L’un est un homme d’action, l’autre un doux rêveur. Ils ne se ressemblent en rien mais ils sont unis par leur enfance et leurs études. Il en est ainsi de certaines affinités rares.

On comprend que deux caractères si opposés tentent un dramaturge. Le roman de Gontcharov, paru en 1859, fut traduit en France un siècle plus tard*. En 1963, Marcel Cuvelier en avait proposé une adaptation, reprise à la télévision en 1966 par Roger Kahane, et Mikhalkov en avait tiré un film subtil en 1979. Volodia Serre présente une nouvelle adaptation à la Comédie-Française dans une savoureuse traduction de d’André Markowicz. Le décor de la chambre d’Oblomov s’ouvre sur la nature, puis se resserre sur une chambre plus étroite dans la scénographie de Marc Lainé. Des vidéos (Thomas Ratier) projetées illustrent le passage du temps, les rêves intérieurs d’Oblomov.

Guillaume Gallienne donne au personnage d’Oblomov son admirable complexité que beaucoup appellent « l’âme slave », passant de l’indolence à la fébrilité, de la passion à l’apathie, de l’allégresse à la résignation. Il donne toutes les nuances de ce rôle d’oisif foncier, incapable de vivre dans la réalité, et qui conduit sa classe, la noblesse, à disparaître. Il a, comme Lioubov (La Cerisaie), conscience qu’il faudrait agir, mais par impéritie ne s’y décide pas. Cette procrastination a donné naissance à un néologisme : « l’oblomovisme », créé par Andreï, et inscrit dans la culture russe.

Volodia Serre construit son adaptation autour de la relation entre Oblomov, Olga (Marie-Sophie Ferdane) et Andreï. La voix de la jeune femme chantant Casta Diva** émeut Oblomov au point qu’enfin, en l’écoutant, il « aspire à vivre. » L’amour d’Olga pourrait le sauver, mais pense-t-il « elle ne peut pas m’aimer » car « des hommes comme (lui), on ne les aime pas. » Comme il craint de souffrir d’amour, il refuse de céder à sa passion pour elle, il préfère rompre et s'enterrer vivant. Notre Princesse de Clèves renonçait ainsi à l’amour… et en mourait de langueur. Andreï aime la même jeune fille, Olga Sergueïevna, mais ils ne seront jamais rivaux. Le trio lié par une amitié immarcescible, est ici bouleversant.

Oblomov va s’enliser dans une vie médiocre, entouré des soins attentifs d’’une veuve soumise, Agafia Matveïevitch, femme maternante de qui il aura un fils. Des deux parasites responsables de cette mésalliance et de la déchéance d’Oblomov, Volodia Serre ne conserve que le plus mesquin, Ivan Alexeïevitch qui profite de la situation, mais ne cause pas la ruine.  Il manque ici, le vrai gredin, Tarantiev, cupide, vulgaire, violent.

Aussi, après avoir vu ce très beau spectacle, je vous conseille de vous plonger dans le roman.

 

 

·       Les éditeurs français réunis, (Cercle du bibliophile) ,1969.

·       ** Extrait de l’opéra, Norma  de Bellini (1831)

 

 

 

Oblomov d'après le roman d'Ivan Alexandrovitch Gontcharov

Traduction d'André Markowicz

adaptation et mise en scène de Volodia Serre

Théâtre du Vieux-Colombier

Mardi à 19 h, du mecredi au samedi à 20 h

www.comedie-francaise.fr

20/04/2013

« Amer et merveilleux comme la fin du monde »

 

 

 

Théâtre, humour, françois morel, culture, cinéma, poésie, pépinière-opéraVous vous souvenez sans doute d’Anna Karina traînant son ennui dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard : « J’sais pas quoi faire ? Qu’est-ce que j’peux faire ? » Eh bien ! François Morel lui répond dans La fin du monde est pour dimanche. Sans doute, les débats Bory/Charensol ont-ils réveillé en lui des souvenirs, et aujourd’hui qu’il a « carte blanche » à la Pépinière-Opéra, il peut lui répondre.

Il n’arrête pas de « faire », François Morel, car « tout le monde fait quelque chose », et chacun « fait de son mieux », pour « profiter » du temps qui passe, et garder le bonheur qui ne cesse de s’échapper. Cocteau, comme Prévert  l'avaient remarqué : « on le reconnaît au bruit qu’il fait en partant ». François Morel l’avait interpellé dans  une chronique sur France Inter : « Salaud de bonheur ! », et l’accusateur,  sur scène, recommence. 

François Morel métaphorise l’existence pour philosopher : « la vie, c'est comme une semaine » : lundi serait l’enfance et naturellement, dimanche, la fin... de vie, et ce terme, comme disait Aragon  « amer et merveilleux comme la fin du monde » autant s'y préparer,  mais, « avant de se dire adieu », rions ensemble.

A-t-il été cet « enfant triste qui n’aimait pas le cirque » ? Ce « gamin » que le grand-père faisait lever avant l’aube pour « profiter » d’un ciel et d’un paysage qui n’appartiennent qu’à celui qui les contemple ? François Morel est de ceux qui grandissent sans oublier leur enfance, qui vieillissent sans pourrir et s’il a gardé intactes ses émotions, c’est pour nous les faire partager.

Il est le gamin et le grand-père, la vieille dame qui soliloque devant le portrait d’une idole des jeunes : Sheila. Il est le reporter qui attend la naissance de Jésus à Bethléem, dans une famille « Théâtre, humor, culture, poésie, chanson, françois morel, pépinière-opérarecomposée » et qui annonce « « C’est une fille, elle est l’espoir de l’Humanité ». Il est aussi l’homme mûr qui fantasme sur le sourire d’une jeune fille dans le métro alors, qu’elle veut simplement lui céder sa place. Il est encore celui qui tombe amoureux d’un être différent, « une huître » qui « savait écouter ». Il est Augustin de Beaupré qui rêvait d’interpréter Perdican, Ruy Blas, Cyrano, et ne joue que les acteurs de complément. Tous sont sans amertume, sans regret, ils espèrent encore malgré les vicissitudes. Ils nous ressemblent.

Il est seul en scène, mais un piano magique rythme les séquences, et des vidéos discrètes et bien choisies les illustrent, Benjamin Guillard, le metteur en scène, est fidèle à l’auteur…

Il y a chez l’auteur-comédien tant d’humour, de tendresse, d’acuité qu’il nous semble revoir Philippe Avron auquel, à la fin, il rend hommage, tandis que l’ombre tutélaire de Dario Fo sourit en coulisses.



Photo © Manuelle Toussaint 

La fin du monde est pour dimanche de et par François Morel

Théâtre de la Pépinière-Opéra

À 21 h du 18 avril au 22 juin

Matinée le samedi à 18 h