13/04/2017
Petit gangster deviendra grand…
Lorsque le pouvoir nazi brûle ses œuvres et interdit son théâtre, Bertolt Brecht fuit l’Allemagne. Déchu de sa nationalité, il sillonne l’Europe, de Prague à Vienne, Paris, Zurich, Copenhague. La guerre le rattrape en Suède, puis en Finlande, et en 1941, il part pour les États-Unis.
Pour expliquer le nazisme aux Américains qui ne veulent pas en voir le danger, il écrit La Résistible Ascension d’Arturo Ui, « farce historique », où les personnages politiques seront ravalés aux rangs de gangsters.
L’analogie se joue d’abord sur les noms. Le vieux maréchal Hindenburg devient le Vieil Hindsborough (Bruno Raffaelli), Hermann Göring sera Gori (Serge Bagdassarian), Goebbels sera Gobbola (Jérémy Lopez), Ernst Röhm sera Ernesto Roma (Thierry Hancisse), et Adolf Hitler, un petit gangster nommé Arturo Ui (Laurent Stocker). Et, puisque nous sommes au pays des trusts, la prise de pouvoir se fera au sein du trust des choux-fleurs, avant d’étendre sa domination sur celui des légumes et des fleurs, à Chicago d’abord, à Cicero ensuite. Pour ce, il faudra assassiner les témoins, les comparses, trahir les amis, neutraliser la police et la justice, par le mensonge et la violence. Mais, petit gangster deviendra grand pourvu que les hommes soient lâches.
Le Bonimenteur (Bakary Sangaré) nous présente ces hommes comme des « clowns », les jeux du cirque peuvent commencer... Ils ne s'arrêteront qu'avec la mort des protagonistes !
Enzo Toffolutti a conçu la scénographie (et les costumes) pour Katharina Thalbach, la metteure en scène. Des trappes s’ouvrent dans un plan très incliné où figure celui de Chicago. De ces trous sombres jaillissent quelquefois des podiums, ou bien des escaliers y creusent d’obscures profondeurs. Une demi-toile d’araignée gigantesque les surplombe. Au niveau du proscenium, on est toujours au centre de ce tissage démesuré. Derrière lui, les comédiens doivent, pour se déplacer, enjamber les câbles, les agripper ou les éviter. L’image est forte de les considérer comme des mouches engluées dans le piège de l’araignée. Des maquillages expressionnistes évoquent la peinture de Grosz et de Nolde. L'inquiétude gagne.
Toujours à la recherche d’un équilibre précaire, les acteurs miment les humains en danger. Les lumières de François Thouret accusent les périls. Le spectre de Roma hante le plateau comme celui du Banquo de Macbeth. Une seule figure féminine dans ce monde de brutes : Florence Viala qui sera d’abord Dockdaisy, à la fois complice et victime de la pègre, puis Betty Dollfoot, la veuve d’Ignace Dollfoot (Nicolas Lormeau) assassiné par les bandits. Vient alors l'effroi. On pense à la princesse Anne de Richard III de Shakespeare
Bruno Raffaelli, Serge Bagdassarian, Jérémy Lopez, Thierry Hancisse, incarnent avec talent les hommes omnipotents. Laurent Stocker, interprète un führer grotesque, grinçant, emporté, très proche du rôle-titre du Dictateur de Chaplin. Michel Vuillermoz, Nicolas Lormeau, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison, qu’ils soient manipulateurs ou manipulés, sicaires ou martyrs sont magnifiques d’invention. On voudrait en rire, mais le rire grince. La peur s'installe...
En choisissant de monter, maintenant La Résistible Ascension d’Arturo Ui, la Comédie-Française nous invite à ne pas nous voiler la face devant la montée des extrêmes et à agir contre « la vermine ». Et, peut-être aussi à ne pas oublier, au-delà de la fable politique, que le capitalisme et le grand banditisme sont dirigés par des hommes sans principes, animés d'une cupidité sans morale, ni limites.
« Apprenez donc à voir ! » conseille le Bonimenteur.
Je vous le conseille aussi en allant découvrir cette Résistible Ascension d’Arturo Ui.
Photo © Christophe Raynaud de Lage
La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht
Traduction d’Hélène Mauler et René Zahnd
Mise en scène de Katharina Thalbach
Comédie-Française, salle Richelieu
En alternance jusqu’au 30 juin
08:36 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, culture, éducation, Histoire, humour, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, littérature, brecht, thalbach | Facebook | | Imprimer
12/04/2017
La Huchette en expo
17:46 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, exposition, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, ionesco, littérature, expo | Facebook | | Imprimer
05/04/2017
Le retour du Grand-Guignol
Il s’en passe de belles à Paris, dans le dix-huitième arrondissement, enfin, pas partout, mais dans la petite rue Ste Isaure, d’habitude si calme, et, pour être précis au Théâtre des Béliers: les zombies ont envahi la scène.
Quelle histoire ! Imaginez un couple tranquille et leur fillette, la petite Lucie, dînant tranquillement avec juste le minimum d’hostilités habituelles : la gosse qu’ « aime pas la viande », le rôti trop cuit, Karen (Ariane Brousse), la mère qui reprend le sport et le père qui va être accusé de piocher dans la caisse de sa boîte…
Maintenant que la situation vous paraît tout à fait normale, le fantastique peut surgir, disait notre maître Todorov…
Didier Baronnet et Ronan Yvon ont dû se souvenir de la leçon pour écrire Alimentation générale. Car le matin suivant, l’épidémie commence. La petite Lucie revient ensanglantée de l’école où les élèves et les maîtres se sont entredévorés ! Les zombies envahissent la ville… Quiconque est mordu par l’un d’entre eux devient un mort vivant ogre à son tour et propageant « ce mal qui répand la terreur ». Impossible d’y échapper, sauf à rester cloîtré dans des murs inexpugnables.
Karen a fui à temps, armée de son fleuret d’escrime. Elle rencontre un dénommé La Smoule (Martin Darondeau), qui faisait de la figuration dans un film et que son déguisement morbide a sans doute protégé. Ils vont trouver refuge dans le sous-sol de Driss alimentation avec une gamine qui a déjà paré à plusieurs intrusions. Dehors, c’est la mort par morsure ou parce qu’il n’y a plus rien à bouffer… La cave offre l’alimentation et la protection. Que demander de plus ?
La guérison.
Justement, Ingrid (Nathalie Mann), docteur-chercheur à Bichat veut endiguer la contagion, et envisage même de guérir ceux qui sont atteints. Tel le Docteur Faust et son assistant Wagner, elle se livre avec Jacques son aide, à de sordides expériences. Ingrid est « sur le bon chemin », il ne s’agit que de doser l’injection. Mais…
Le Malin veille !
Ailleurs, c’est le cauchemar et les vers de Racine semblent écrits pour ces sinistres événements :
« Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
Et moi, je lui tendais les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os et de chair meurtris, et traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
Que des chiens dévorants se disputaient entre eux. »[1]
Le metteur en scène Frédéric Thibault ne lésine ni sur les changements de lieux, ni sur l’hémoglobine, ni sur les masques et maquillages en tous genres. Philippe Bérodot, Ariane Mourier, Ghita Serraj, surgissent dans les lumières et les ombres de Denis Koransky. Des projections vidéo (Fabien Deborde), des effets spéciaux (Valérie Lesort et Laurent Huet), renforcent encore l’atmosphère fantastique et… parodique.
Eh oui ! On rit beaucoup de ce spectacle surréaliste... et mordant !
Les situations et les dialogues sont pleins d’humour, souvent absurdes, souvent réalistes, toujours décalés. Les comédiens vous entraînent dans une sarabande diabolique et libératrice. On venait de voir Nathalie Mann
en dissidente russe persécutée, on la retrouve Dr Jekyll et Mr Hyde. Preuve que les grandes comédiennes peuvent tout faire !
Le Grand-Guignol était un genre très apprécié, le voici de retour avec Alimentation générale, pour vous faire hurler…de rire.
Alimentation générale de Didier Baronnet et Ronan Yvon
Théâtre des Béliers
01 42 62 35 00
du mardi au samedi, 21 h
dimanche 17 h
[1] - Athalie, acte II, scène 5.
19:52 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre des béliers, grand-guignol, nathalie mann | Facebook | | Imprimer