16/09/2013
De vrais amis du Monomotapa
Le Grand Siècle avait ses têtes d’affiche. D’un côté les artistes, et de l’autre le Pouvoir, qui les subventionnait, pardon, les pensionnait.
Le Pouvoir s’appelait Louis XIV, mais également Monsieur, frère du roi, et Fouquet, surintendant des Finances. Nous savons tous que la disgrâce de Fouquet entraîna celle de La Fontaine que sa fidélité à son protecteur rendait suspect aux yeux de Colbert, son accusateur. Nous savons aussi que Molière, La Fontaine et Boileau étaient amis et que ce dernier amena un soir le jeune Racine à qui Molière prodigua des conseils. Ils devinrent alors de « vrais amis du Monomotapa ».
Avec Le Corbeau et le Pouvoir Jacques Forgeas imagine une fin de souper entre Racine (Pierre-Marie Poirier), Molière (Baptiste Caillaud) et La Fontaine (Clovis Fouin) auquel s’invite aussi Colbert (Bartholomew Boutellis). Et Boileau ? On ne saura pas pour quelle raison il n’est pas de la partie. Mais qu’importe ! Le but de l’auteur est de démontrer que la liberté de l’artiste dépend du pouvoir, que certains, tout en la gardant, surent ruser et créer, et que l’intransigeance des autres les conduisit à l'indigence. La Fontaine tient tête à Colbert. Molière, dont on connaît la bonté, essaie de calmer les rancunes, d’atténuer les ambitions, de faciliter le dialogue dirait-on aujourd’hui. Le corbeau ? C’est le masque que porte Colbert, représentant du Pouvoir qui veut que La Fontaine cesse ses « impertinences. »
Ces échanges sont assez réussis et l’essentiel des rivalités est brossé.
Le texte est riche et de bonne tenue. Il peut constituer un beau prologue à l'étude du XVIIe siècle. L’idée de le faire jouer dans des costumes contemporains des Beatles (costumes Laurence Struz) crée un décalage astucieux. Le décor symbolique de Valérie Grall suffit à installer le thème. Mais ne cherchez pas la vraisemblance historique, ne regardez pas les dates de parution des œuvres, oubliez la brouille de Racine avec Molière, n’écoutez que les échos du moraliste à qui la postérité a rendu justice.
Le Corbeau et le Pouvoir de Jacques Forgeas
Mise en scène de Sébastien Grall
Théâtre du Lucernaire
du mardi au samedi à 18 h 30
01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr
12:37 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du lucernaire, forgeas | Facebook | | Imprimer
13/09/2013
La vie d’artiste
La troupe de Gennaro (Jean-Jacques Blanc) s’est installée dans une ville balnéaire : Bagnoli. Leur impresario, Alberto de Stefano (Thibaut Lacour) escomptait que les gens en villégiature se presseraient à leur spectacle. Mais « les gens viennent pour prendre le frais », et la représentation a été un échec. D’autant que la jeune première, Viola (Gwénaël Ravaux) enceinte jusqu’au yeux a été sifflée, et Vincenzo (Philippe Vermeulen) a été rossé par un spectateur. Avec l’aide du souffleur Attilio (Jean-Marc Bihour), Gennaro fait répéter un autre spectacle pour le soir, et Florence (Yvette poirier) prépare les spaghettis. Car ils n’ont pas les moyens d’aller au restaurant. Or, on n’a pas le droit de faire la cuisine dans les chambres, ni la lessive. La vie d’artiste n’est pas rose du tout. Et les ennuis commencent !
Pour Alberto aussi. Sa maîtresse, Bice (Raphaëlle Lenglare) lui apprend qu’elle est enceinte. Et comme c’est un galant homme, il décide d’aller demander sa main. Mais Bice lui cachait qu’elle était mariée au Comte Carlo Tolentano (Pierre Gondard), et ce dernier le prend très mal. Pour sauver sa bien aimée du déshonneur, Alberto simule la folie et c’est au commissariat que l’affaire de dénouera.
Cette farce mêle le rire et la tendresse comme Eduardo de Filippo sait si bien le faire et la mise en scène enjouée de Patrice Pelloquet donne au spectacle une dimension de fête populaire. Yvette Poirier, Hervé Gouraud, Patricia Varnay pétillent de verve dans les rôles secondaires.
Bref, on s’amuse et cette soirée efface, pour un temps, les tristes réalités de la rentrée.
Photos : © E. Lizambard
Homme et galant homme d’Eduardo de Filippo
Traduction de Huguette Hatem
Théâtre 14
01 45 45 49 77
14:16 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 14, de filippo, pelloquet, hatem | Facebook | | Imprimer
12/09/2013
Zelda, celle qui avait du talent*
Ils étaient jeunes, beaux, riches, célèbres et ils s’aimaient. Mais ils n’eurent pas beaucoup d’enfants et ne vécurent ni longtemps, ni heureux. Scott Fitzgerald (Julien Boisselier) avait-il épousé en Zelda (Sara Giraudeau) l’héroïne de ses romans ? Ou s’inspirait-il de Zelda pour composer ses personnages en puisant dans le journal intime de sa femme ? Et eut-il une liaison homosexuelle avec Ernest Hemingway (Jean-Paul Bordes) ?
Renaud Meyer à la fois auteur et metteur en scène peint le trio mythique avec habileté et ne nous cache rien des faiblesses de chacun. Sara Giraudeau est bouleversante dans cette incarnation de femme fragile, incomprise, souvent allumeuse, quelquefois naïve, toujours trouble-fête. Elle se veut rebelle mais cède aux injonctions de l’homme qu’elle adore. Il lui vole des nouvelles et lui impose de couper des chapitres entiers de son roman Save the waltz (1932) pour les verser dans le sien Tender is the night (1934). Jean-Paul Bordes s’est fait une belle tête de faux-jeton à moustache, et Julien Boisselier joue les charmeurs. Du grand hôtel de New York au bord de la Riviéra, le couple s’aime et se déchire, et Hemingway sème son venin. Costumes de Dominique Borg et scénographie de Jean-Marc Stehlé donnent à l’histoire la vraisemblance des années folles.
En 1924, Scott boucle Zelda à la maison quand elle a une aventure avec Edouard Jozan. Puis, quand lui, s’amourache de Sheilah Graham, il la fait admettre en clinique psychiatrique. Pourquoi s’étonner qu’elle sombre dans la schizophrénie ? « Trouble bipolaire » dira le Docteur Irving Pine. « Harcèlement moral » diront d’autres, dont Gilles Leroy dans Alabama Song. Où était le scandale ? Du côté de Zelda qu’on jugea « folle » ou de Scott à qui on pardonnait son alcoolisme ? Qui a détruit l’autre ? Qui avait du talent ?
Scott meurt en 1940, à Hollywood, complètement décavé, Zelda en 1948 dans l’incendie de l’hôpital où elle est internée.
Le dernier acte de Zelda et Scott transfigure cette sombre période, en représentant Zelda seule, prisonnière d’une malle capitonnée, le corps torturé d’un corse. On sait sa passion pour la danse et à quels excès elle soumettait son corps pour devenir une danseuse exceptionnelle. La démesure était son ordinaire. La scénographie de Jean-Marc Stehlé (sans doute sa dernière) métaphorise à la fois les efforts de Zelda, sa souffrance et son inextinguible amour.
Trois musiciens : Xavier Bornens à la trompette, François Fuchs à la contrebasse et Aidje Tafial aux percussions (Manhattan Jazz Band) accompagnent magnifiquement ce drame, et quand Sara Giraudeau chante : Everybody loves my baby un ravissement saisit les spectateurs.
* Celle qui avait du talent, titre d'une nouvelle de Zelda Fitzgerald (1930)
Photos : © Lot
Zelda et Scott de Renaud Meyer
Du mardi au samedi à 21 h
Samedi : 15 h
Théâtre La Bruyère
01 48 74 76 99
18:15 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Littérature, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre la bruyère, fitzgerald | Facebook | | Imprimer