15/11/2013
Les liens du sang
Ils arrivent endeuillés, accablés et cérémonieux, les cousins de feu Mata Todorovic.
Trifun (Jean Tom) chante les louanges du défunt. Agaton Jean Hache) en dresse le panégyrique avec sa femme, Simka (Annick Cisaruk). Mica (Pascal Ivancic) dit son affliction, Sarka (Antonia Malinova) sa consternation, Proka (Philippe Ivancic) gémit de douleur et sa femme Gina (Rosalie Symon en alternance avec Charlotte Rondelez) sanglote pour toute la famille.
Mais leur désolation n’est qu’affectation, car ce qu’ils attendent, c’est l’ouverture du testament. Chacun espère hériter et tous se partagent déjà les biens meubles et immeubles du domaine. Ils se font des politesses, mais s’épient et surveillent qu’aucun ne s’empare de l’argenterie, ni des bibelots. Méchants entre eux et méprisants envers celle qu’ils prennent pour la servante, une jeune fille en noir, Danica (Caroline Pascal) fragile et sérieuse.
Quand ils apprendront qu’elle est l’héritière, fille naturelle de leur cousin, elle sera d’abord « la bâtarde ». Puis Agaton change de tactique, devient paternel et mielleux. Il tente de circonvenir, la jeune fille, puis l’avocat, Maître Petrovic (Sacha Petronijevic) et sans scrupules, s’installe dans la maison…
La comédie est féroce. L'auteur, Branislav Nusic est impitoyable envers ses semblables. Ses personnages sont vicieux, le meneur de la bande est pervers, les innocents sont abusés, et le public rit de cet humour cinglant. Dans le décor sobre et efficace de Danièle Rozier, le pouf circulaire centralise les concupiscences. Les portes s’ouvrent sur leurs convoitises et se ferment sur leurs larcins. Ils sont cupides, laids, âpres, et ridicules. On plaint les victimes de ces parasites-là, et on étranglerait volontiers le triste sire qu’est Agaton. La mise en scène est épatante, rythmée (musique des Yeux noirs), pleine d’esprit, servie par des comédiens délurés, que les lumières d'Antoine De Carvalho, les maquillages de Solange Beauvineau transfigurent.
La farce ne propose pas de morale, mais sa réflexion sur la famille vous fera douter de la légitimité des liens du sang.
Photo : © Kasia Kozinski
Les (Des)héritiers de Branislav Nusic
Traduction de Sacha Petronijevic
Théâtre 13
01 45 88 62 22
Mardi, jeudi et samedi : 19 h 30
Mercredi et vendredi : 20 h 30, dimanche : 15 h 30
Jusqu’au 22 décembre
17:04 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, humour, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 13, humor, nusic, grijic | Facebook | | Imprimer
09/11/2013
Cet effronté de Maupassant
Il n’était pas un écrivain « convenable ». Quand parut, en feuilleton, Une vie (1883), La Jeune France, l’appela « cet effronté de Maupassant ». Mais, lors de la sortie du livre d’Armand Lanoux Maupassant le Bel-Ami, en 1979, le président Giscard d’Estaing, déclara, dans l’émission Apostrophes, qu’il était « un des plus grands écrivains français ». Depuis longtemps déjà le cinéma adaptait ses nouvelles[1] et ses romans[2].
Aujourd’hui, Philippe Honoré choisit d’éclairer « Maupassant et les femmes » sous le joli titre de Maupassant(es). Il montre, à travers les nouvelles, la correspondance, les chroniques (car l’auteur fut aussi journaliste) comment Maupassant, jugea son époque. Car, naturellement en peignant les femmes, Maupassant n’épargne ni les hommes, ni la société bourgeoise et hypocrite. Il est lucide, sans complaisance, sans remords, mais pas sans crainte. En effet, atteint de syphilis, le jeune écrivain va rapidement connaître la souffrance et l’angoisse. Les derniers textes choisis, la manière dont Philippe Honoré les articulent, plongent le spectateur dans « l’interminable agonie asilaire[3]» de l’auteur qui mourut à quarante-trois ans dans la clinique du Docteur Blanche.
Dans la mise en scène subtile de Philippe Person, une seule comédienne incarne toutes les femmes. Anne Priol tour à tour petite bourgeoise, ou femme du monde, coquette, perverse ou naïve, en jupon fleuri, robe rouge échancrée et brodée (Costumes Emmanuel Barrouyer et Anne Priol), affole, en souriant, l’air coquin, deux représentants de la gent masculine : Emmanuel Barrouyer qui porte beau en militaire, et Pascal Thoreau en bourgeois égrillard. Elle est fine, ils sont dominateurs, elle se vend, ils sont sans scrupules. Et on rit de la mascarade qu’ils se donnent. Puis un extrait de l’émission où Armand Lanoux affirme la grandeur de l’écrivain, et l’analyse se fait plus profonde. Les volets des paravents érotiques qui servent de décors (Vincent Blot) et de limites à l’espace scénique se tournent, et le séducteur devient inquiet.
Entre les séquences jouées, les figures monstrueuses de Freaks, « peut-être fabriqués au corset »**[4], surgissent et les cauchemars remplacent les poèmes érotiques. Tout devient sombre (Lumières : Alexandre Dujardin) et les « hallucinations effrayantes » cernent l’homme dont le visage seulement est éclairé. On entend des verrous qui se ferment et le jeune auteur si doué, si insolent, glisse dans les ténèbres de la démence.
Ni sa mère, ni son père ne se dérangeront pour l’enterrement.
Maupassant(es)
Texte de Philippe Honoré d’après l’œuvre de Maupassant
Théâtre du Lucernaire
Du mardi au samedi à 20 h
Dimanche à 15 h
01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr
17:11 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du lucernaire, maupassant, philippe honoré | Facebook | | Imprimer
27/10/2013
Olympe l’utopiste
Elle n’avait peur de personne, Marie Olympe Gouze, veuve Aubry, dite Olympe de Gouges. On la disait bâtarde, fille naturelle du marquis Le Franc de Pompignan disaient les uns, de Louis XV, disaient les autres. Elle avait été mariée à seize ans, et veuve à dix-huit. Une chance pour elle de s’émanciper et de quitter Montauban avec son fils. Peu d’instruction, mais une intelligence remarquable, elle écrit. Les salons s’ouvrent, et en 1774, elle est déjà une figure de L’Almanach de Paris. On l’accuse de mener une vie galante car elle a refusé de se remarier, le mariage étant pour elle : « le tombeau de la confiance et de l’amour. » Elle préfère sa troupe de théâtre itinérant et une de ses pièces, Zamore et Mirza, ou L’heureux naufrage est reçue à la Comédie-Française en juin 1785. Mais comme elle dénonce (déjà !) l’esclavage des noirs, en réclame la suppression, et vilipende « l’injuste et puissant intérêt des blancs », les comédiens tergiversent et il faudra attendre 1792, pour qu’elle soit publiée et…jouée sous le titre L’Esclavage des nègres.
Elsa Solal a choisi de montrer Olympe (Anne-Sophie Robin), dans les derniers mois de son existence, en 1793, sous la Terreur. Elle a quarante-cinq ans. Sylvie Pascaud choisit un espace vide, sorte de ring où Olympe subit comme Théroigne de Méricourt, l’humiliation de la « correction publique », administrée par celui qui joue aussi l’accusateur public, Fouquier-Tinville (Gilles Nicolas). Elle est aussi admonestée par Louis-Sébastien Mercier (Martial Jacques) qui fut un temps son amant, et qui s’inquiète pour elle, lui conseillant la prudence et le silence : « je vous supplie d’arrêter vos lettres publiques ». Et elle, se préoccupe du sort des détenus, et affirme : "ma voix ne se taira pas."
L’espace est gris et vide, (scénographie de Valérie Jung) meublé seulement de trois sièges, l’un, vaguement Louis XVI, l’autre moderne, chaise de bureau à roulettes, le troisième en forme d’escabeau de bibliothèque de bois chantourné. Des piques, surmontées de perruques complètent le décor. Tout est sobre, impressionnant. Les jeux de lumières de Patricia Godal soulignent les affrontements.
Olympe, en corset et jupon pantalonné, est presque nue devant ce pouvoir mâle. Fragilisée, elle résiste, elle tient tête. Louis-Sébastien Mercier parle comme l’Arlequin du Jeu de l’Amour et du hasard qui prétend aimer Lisette « en dépit des fautes d’orthographe ». Lui le littérateur confirmé, auteur d’une utopie Uchronie (qu’il situe en 2440) rêvait d’un monde où le mérite remplacerait les privilèges. Olympe l’utopiste, demande pour les femmes les mêmes droits que les hommes, et d’abord le droit de vote : « puisqu’elles ont le droit de monter à l’échafaud, elles doivent avoir également celui de monter à la tribune ». Elle imagine des hôpitaux-maternités pour les femmes, le droit de s’instruire, de divorcer, de faire reconnaître leurs enfants nés hors mariage, des caisses de solidarités, l’impôt sur la fortune. Elle crie son rejet des fanatiques, de la peine de mort, du sang versé, de l’esclavage.
Pour la faire taire, Fouquier-Tinville la fit condamner à mort, elle fut guillotinée le 3 novembre, dix-sept jours après Marie-Antoinette, à qui elle avait adressé le Préambule de sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.
Aujourd’hui, enfin, l’Histoire et le Théâtre la réhabilitent.
Terreur-Olympe de Gouges d’Elsa Solal
Théâtre du Lucernaire à 18 h 30
01 45 44 57 34
Jusqu’au 4 janvier 2014
23:02 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, histoire, théâtre du lucernaire | Facebook | | Imprimer