11/05/2013
L’oblomovisme expliqué par la scène
Le baron Ilia Illitch Oblomov (Guillaume Gallienne) vit reclus dans son appartement de Petersburg avec son vieux domestique Zakhar (Yves Gasc), médisant, négligent, maladroit, mais d’une fidélité sans limite. Son intendant le vole, son domestique le filoute. Mais Oblomov passe le plus clair de son temps en robe de chambre à rêvasser sur sa méridienne.
Son ami Ivan Alexeïevitch (Nicolas Lormeau), petit fonctionnaire, essaie de le sortir de sa léthargie et de l’entraîner à Ekatérinhof pour fêter le printemps. En vain ! Un seul homme arrive à secouer cette nonchalance : Andreï Stolz (Sébastien Pouderoux). Andreï a le même âge qu’Oblomov. Il est vif, tout en muscles et en nerfs, pragmatique, travailleur. Oblomov est pâle, flasque, sans volonté. L’un est un homme d’action, l’autre un doux rêveur. Ils ne se ressemblent en rien mais ils sont unis par leur enfance et leurs études. Il en est ainsi de certaines affinités rares.
On comprend que deux caractères si opposés tentent un dramaturge. Le roman de Gontcharov, paru en 1859, fut traduit en France un siècle plus tard*. En 1963, Marcel Cuvelier en avait proposé une adaptation, reprise à la télévision en 1966 par Roger Kahane, et Mikhalkov en avait tiré un film subtil en 1979. Volodia Serre présente une nouvelle adaptation à la Comédie-Française dans une savoureuse traduction de d’André Markowicz. Le décor de la chambre d’Oblomov s’ouvre sur la nature, puis se resserre sur une chambre plus étroite dans la scénographie de Marc Lainé. Des vidéos (Thomas Ratier) projetées illustrent le passage du temps, les rêves intérieurs d’Oblomov.
Guillaume Gallienne donne au personnage d’Oblomov son admirable complexité que beaucoup appellent « l’âme slave », passant de l’indolence à la fébrilité, de la passion à l’apathie, de l’allégresse à la résignation. Il donne toutes les nuances de ce rôle d’oisif foncier, incapable de vivre dans la réalité, et qui conduit sa classe, la noblesse, à disparaître. Il a, comme Lioubov (La Cerisaie), conscience qu’il faudrait agir, mais par impéritie ne s’y décide pas. Cette procrastination a donné naissance à un néologisme : « l’oblomovisme », créé par Andreï, et inscrit dans la culture russe.
Volodia Serre construit son adaptation autour de la relation entre Oblomov, Olga (Marie-Sophie Ferdane) et Andreï. La voix de la jeune femme chantant Casta Diva** émeut Oblomov au point qu’enfin, en l’écoutant, il « aspire à vivre. » L’amour d’Olga pourrait le sauver, mais pense-t-il « elle ne peut pas m’aimer » car « des hommes comme (lui), on ne les aime pas. » Comme il craint de souffrir d’amour, il refuse de céder à sa passion pour elle, il préfère rompre et s'enterrer vivant. Notre Princesse de Clèves renonçait ainsi à l’amour… et en mourait de langueur. Andreï aime la même jeune fille, Olga Sergueïevna, mais ils ne seront jamais rivaux. Le trio lié par une amitié immarcescible, est ici bouleversant.
Oblomov va s’enliser dans une vie médiocre, entouré des soins attentifs d’’une veuve soumise, Agafia Matveïevitch, femme maternante de qui il aura un fils. Des deux parasites responsables de cette mésalliance et de la déchéance d’Oblomov, Volodia Serre ne conserve que le plus mesquin, Ivan Alexeïevitch qui profite de la situation, mais ne cause pas la ruine. Il manque ici, le vrai gredin, Tarantiev, cupide, vulgaire, violent.
Aussi, après avoir vu ce très beau spectacle, je vous conseille de vous plonger dans le roman.
· Les éditeurs français réunis, (Cercle du bibliophile) ,1969.
· ** Extrait de l’opéra, Norma de Bellini (1831)
Oblomov d'après le roman d'Ivan Alexandrovitch Gontcharov
Traduction d'André Markowicz
adaptation et mise en scène de Volodia Serre
Théâtre du Vieux-Colombier
Mardi à 19 h, du mecredi au samedi à 20 h
www.comedie-francaise.fr
11:10 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, littérature russe, guillaume gallienne | Facebook | | Imprimer
30/04/2013
Hommage à Talma
Journée organisée par Joël Huthwohl, directeur du département des Arts du spectacle de la BnF et Agathe Sanjuan, conservatrice-archiviste à la Comédie-Française.
Le 18 mai 2013, la Bibliothèque nationale de France et la Comédie-Française s’associent pour célébrer le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Talma, anniversaire inscrit aux Commémorations nationales de l’année 2013. Conférences et lectures programmées sur le site Richelieu de la BnF et au Théâtre du Vieux-Colombier évoqueront cette grande figure artistique et politique.
Premier acteur de son temps, François-Joseph Talma le fut sur scène autant que dans sa vie personnelle et publique, dans la manière dont il se fit l'écho des bouleversements politiques et historiques qui marquèrent son époque.
Après avoir interprété les rôles sombres de rois cruels pendant cette période, il collabora avec des auteurs (Ducis, Lemercier, Arnault) qui écrivirent souvent à sa demande des rôles de fous, de visionnaires et de mélancoliques shakespeariens, flattant son goût préromantique.
Bibliothèque nationale de France (site Richelieu, salle des commissions)
10h – 12h30
Talma, acteur néo-classique ou romantique ?
Mara FAZIO, professeur d’Histoire du Théâtre et du Spectacle. Université de Rome « La Sapienza »
La réforme du costume selon Talma
Pierre FRANTZ, professeur des universités en littérature française. Sorbonne Paris IV
« Talma, un succès en héritage », génie spontané ou fils spirituel d’un passé déjà glorieux
Damien CHARDONNET-DARMAILLACQ, théoricien et praticien du théâtre, docteur et enseignant en histoire, littérature et esthétique du théâtre
L’acteur selon Talma, homme de savoir et de pouvoir,
Madeleine AMBRIÈRE, professeur émérite. Sorbonne Paris IV
Théâtre du Vieux-Colombier
14h30 – 17h
Jeux de voix : Larive et Talma dans le rôle d’Oreste (Andromaque de Racine)
Jacqueline RAZGONNIKOFF, historienne du théâtre. Ancienne bibliothécaire à la Comédie-Française
Talma, Ducis et Shakespeare
John GOLDER, professeur. Université de New South Wales, Sydney
Anamorphoses littéraires de François-Joseph Talma
Florence FILIPPI, maître de conférence en Arts du spectacle. Université de Poitiers
16h
Portraits littéraires de Talma, lectures des textes de Lamartine, Mme de Staël, Stendhal, Chateaubriand, Dumas, Berlioz... Nelly PULICANI et Laurent COGEZ, élèves-comédiens de la Comédie-Française.
<http://www.comedie-francaise.fr/images/telechargement...
15:30 Écrit par Dadumas dans cabaret, culture, Histoire, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire du théâtre, talma, lectures, conférences | Facebook | | Imprimer
20/04/2013
« Amer et merveilleux comme la fin du monde »
Vous vous souvenez sans doute d’Anna Karina traînant son ennui dans Pierrot le fou de Jean-Luc Godard : « J’sais pas quoi faire ? Qu’est-ce que j’peux faire ? » Eh bien ! François Morel lui répond dans La fin du monde est pour dimanche. Sans doute, les débats Bory/Charensol ont-ils réveillé en lui des souvenirs, et aujourd’hui qu’il a « carte blanche » à la Pépinière-Opéra, il peut lui répondre.
Il n’arrête pas de « faire », François Morel, car « tout le monde fait quelque chose », et chacun « fait de son mieux », pour « profiter » du temps qui passe, et garder le bonheur qui ne cesse de s’échapper. Cocteau, comme Prévert l'avaient remarqué : « on le reconnaît au bruit qu’il fait en partant ». François Morel l’avait interpellé dans une chronique sur France Inter : « Salaud de bonheur ! », et l’accusateur, sur scène, recommence.
François Morel métaphorise l’existence pour philosopher : « la vie, c'est comme une semaine » : lundi serait l’enfance et naturellement, dimanche, la fin... de vie, et ce terme, comme disait Aragon « amer et merveilleux comme la fin du monde » autant s'y préparer, mais, « avant de se dire adieu », rions ensemble.
A-t-il été cet « enfant triste qui n’aimait pas le cirque » ? Ce « gamin » que le grand-père faisait lever avant l’aube pour « profiter » d’un ciel et d’un paysage qui n’appartiennent qu’à celui qui les contemple ? François Morel est de ceux qui grandissent sans oublier leur enfance, qui vieillissent sans pourrir et s’il a gardé intactes ses émotions, c’est pour nous les faire partager.
Il est le gamin et le grand-père, la vieille dame qui soliloque devant le portrait d’une idole des jeunes : Sheila. Il est le reporter qui attend la naissance de Jésus à Bethléem, dans une famille « recomposée » et qui annonce « « C’est une fille, elle est l’espoir de l’Humanité ». Il est aussi l’homme mûr qui fantasme sur le sourire d’une jeune fille dans le métro alors, qu’elle veut simplement lui céder sa place. Il est encore celui qui tombe amoureux d’un être différent, « une huître » qui « savait écouter ». Il est Augustin de Beaupré qui rêvait d’interpréter Perdican, Ruy Blas, Cyrano, et ne joue que les acteurs de complément. Tous sont sans amertume, sans regret, ils espèrent encore malgré les vicissitudes. Ils nous ressemblent.
Il est seul en scène, mais un piano magique rythme les séquences, et des vidéos discrètes et bien choisies les illustrent, Benjamin Guillard, le metteur en scène, est fidèle à l’auteur…
Il y a chez l’auteur-comédien tant d’humour, de tendresse, d’acuité qu’il nous semble revoir Philippe Avron auquel, à la fin, il rend hommage, tandis que l’ombre tutélaire de Dario Fo sourit en coulisses.
Photo © Manuelle Toussaint
La fin du monde est pour dimanche de et par François Morel
Théâtre de la Pépinière-Opéra
À 21 h du 18 avril au 22 juin
Matinée le samedi à 18 h
12:32 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Film, humour, Littérature, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, humour, poésie, chanson, culture, cinéma, françois morel, pépinière-opéra | Facebook | | Imprimer