03/05/2009
Une fille soumise.
Dieu a toujours aimé les bergères naïves et confiantes. Allah aussi. Et Jbara (Alice Belaïdi) lui parle, sans attendre de lui qu’un peu de compréhension. Née femme, elle lui est soumise, ainsi qu'à son père, ses frères, l’imam, et aux mâles de toute condition qui peuvent user et abuser d’elle, en toute impunité, protégés qu'ils sont par la Sainte Loi d'hypocrisie.
Elle va son chemin semé d’interdits, dans un univers sans tendresse,. Elle pourrait désespérer, mais sa foi est telle qu’elle transforme le péché en incident de parcours, et sans regret, sans remords, en fille respectueuse, elle pardonne même à ceux qui la battent, la violent et l’humilient. Fatalisme ? Résignation ? Non, volonté de vivre...
Alice Belaïdi est cette servante du Seigneur. Silhouette sombre sur fond noir, un pinceau de lumière tombe des cintres et éclaire son visage levé vers Allah, elle apparaît comme ces mystiques passionnées qui brûlent dans leurs prières et leur corps. Mais c’est juste une image de commencement.
Entourée de ténèbres, la jeune fille quitte les lourds rideaux qui l’ensevelissaient. Elle est jolie dans son pull déchiré, et sa tenue modeste. Elle deviendra belle. Elle était innocente, elle deviendra prostituée. Elle s’appelait Jbara, elle deviendra Shéhérazade, puis Khadidja… Le timbre de sa voix jamais ne se brise dans un geignement. Les filles du Maghreb ne connaissent pas les jérémiades. Elles serrent les dents, luttent et, comme Jbara, quelquefois, elles gagnent.
Du roman de Saphia Azzedine, Confidences à Allah, Gérad Gelas a fait un spectacle poignant, pudique, sans concession. Alice Belaïdi est superbe. Quand elle en aura fini avec Allah, souhaitons que les dieux du théâtre lui trouvent un Olympe à sa mesure !
Confidences à Allah
Petit-Montparnasse
01 43 22 77 74
Du mardi au samedi, 19 h, dimanche 17 h 30
11:50 Écrit par Dadumas dans culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, azzedine, gelas | Facebook | | Imprimer
22/03/2009
Fête à Munich
Oktoberfest bat son plein. Les vieux, Rauch (Alain Libolt), Speer (Charles-Roger Bour) sont venus pour boire et lutiner les filles jeunes et fraîches. Les jeunes hommes, Franz Le Merkl (Gérard Maillet), Erna (Sarah Karbaniskoff), imitent les vieux. Ils s’enivrent de bière, de sensations fortes et se lancent des défis.
Casimir (Thomas Durand) et Caroline (Sylvie Testud), s’aimaient d’amour tendre, mais Casimir a perdu son emploi, et l’angoisse du lendemain le tenaille tant qu’il veut prendre ses distances avec elle. Elle voulait se distraire, admirer le zeppelin, s’étourdir sur les montagnes russes, manger des glaces, rêver au cinéma, rire un peu après le travail, Casimir cherche tous les prétextes pour se quereller. Et de scènes de dépit, en disputes, il la "plaque", la jette dans les bras du premier venu, Schurzinger (Hugues Quester). Elle le trahit, et le malheur s’installe.
Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth, peint le Munich des années trente, un monde qui se décompose, où la crise pervertit les comportements. La peur du lendemain ruine tout espoir. Les meilleurs abandonnent tout idéal, les pires exacerbent leur violence primitive. Le peuple badaud et joyeux, devient populace, car tout est fait pour l’avilir. Les jeunes gens désœuvrés se transforment en gangsters ou en nervis, les jeunes filles innocentes en prostituées. En une nuit semblable à celle de Walpurgis, tout est perdu, même l’honneur.
Pour rendre compte de ce désastre, Emmanuel Demarcy-Mota ne lésine pas. Il dirige sa troupe dans un ballet terrifiant où tous les accessoires de Clémentine Aguettant ont une fonction dramatique. Sur le vaste plateau, dans l’imposante scénographie et les lumières tout en contrastes expressionnistes, signées Yves Collet, un comédien joue souvent plusieurs rôles. Olivier Le Borgne (Oscar, Juanita, un automate), Walter N’Guyen (Walter, un automate), Cyril Anrep (un soldat, le directeur des phénomènes, le Médecin), Laurent Charpentier (le bonimenteur, Lorenz), Muriel Ines Amat (Maria), Ana das Chagas (Ella, une siamoise), Gaëlle Guillou (Emma, une siamoise), Céline Carrère (Eva ), Sandra Faure (Ida, la femme du cinéma), Pascal Vuillemot (Rudolph, le monsieur du cinéma, l’homme bouledogue), Stéphane Krähenbühl (un soldat, un infirmier), Constance Luzzati (une jeune fille, la pianiste), donnent l’illusion d’une foule grégaire qui va de stand en stand quêter rires et ivresse. Tout est authentique dans ces chansons à boire (travail vocal : Maryse Martines), les figures qu’elles imposent scandées par un rythme menaçant, les cris de joie, les peurs mimées ou réelles, les insultes, les coups, la vulgarité. Compositions et environnement sonore de Jefferson Lembeye conduisent au paroxysme de la haine. Les images vidéo de Mathieu Mullot transportent le spectateur au cœur de ce vertige, au bord de l’abîme, vers la chute d'uneRépublique dont les citoyens ne savent plus "pour qui voter".
Les comédiens sont poignants dans les grands rôles comme dans les plus petits. On pensera longtemps à Pascal Vuillemot, à Olivier Le Borgne à l’épouvante et la pitié qu’ils suscitent dans la scène des monstres, au trouble qu’ils font naître dans les luttes viriles des jeunes hommes, à Gérard Maillet ange du mal, orgueilleux et déchu. On n’est pas prêts d’oublier la silhouette nerveuse de Sylvie Testud, juchée sur ses talons pointus, et promenant son air désemparé. On se souviendra des gestes retenus de Thomas Durand, partagé entre le désarroi et la colère, d’Hugues Quester qui se voûte, écrasé par la veulerie de son personnages, de l’envolée des jupes des midinettes inconscientes, ou qui feignent de l’être, glissant et gloussant, aguichant les hommes. On retiendra Charles-Roger Bour et Alain Libolt, engoncés dans des manteaux qui dissimulent l'hypocrisie (Costumes : Corinne Baudelot) des maîtres, patron et juge, et ces tableaux de fête qui maquillent la crise.
La pièce d’Ödön von Horváth, appartient aux grandes œuvres de l’esprit, François Regnault en donne une nouvelle traduction vigoureuse, la mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota éclaire l’œuvre et les événements qui vont anéantir l’Homme.
On ne s’abandonne pas à un tel spectacle, on souffre d’y découvrir une éternelle vérité, celle qui nous attend peut-être, si on ne connaît pas celle-ci.
Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth
jusqu’au 17 mars au Théâtre de la Ville
01 42 74 22 77
puis en tournée
Coursive de La Rochelle 1er, 2 avril
Comédie de Reims 7 au 11 avril
Quartz de Brest, 22-24 avril
Grand T de Nantes, 11- 20 mai
TNB de Rennes, 27 mai-6 juin
10:24 Écrit par Dadumas dans culture, Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, littérature, histoire, horvath, demarcy-mota, testud | Facebook | | Imprimer
20/02/2009
Discrimination pondérale
La DRH a décidé de dégraisser le personnel. Au propre comme au figuré. Et voilà, Sheila (Karina Marimon), Lily (Isabelle Hétier), Patrick (Xavier Letourneur, qui met aussi en scène) et Claude (Nicolas Thinot) qui décident de devenir minces afin de ne pas se retrouver « dé-crutés ». Néologisme signifiant « virés », puisqu’il est l’antonyme de « recrutés ».
Leur semaine de congé, ils vont la passer ensemble, en jeûnant. Car « le jeûne est une pratique ancienne et répandue ». Toutes les religions inscrivent des périodes de carême à leurs rites. Les règles d’abstinence alimentaire sont draconiennes. Ils n’ont droit qu’aux bouillons (sans graisse), au jus de fruits (sans sucre), et aux tisanes. Ils doivent se peser tous les matins, ne pas sortir du périmètre afin de ne céder à aucune tentation, se purger pour « tout vidanger », et brûler des calories en pratiquant la marche ou quelque exercice physique et spirituel.
Un tableau journalier exhibe la courbe de leur poids. Claude plaisante au début : « le jeûne, ça ne mange pas de pain », mais la faim venant, le découragement le gagne. Patrick devient agressif, Lily de plus en plus déprimée, et Sheila a bien du mal à apaiser les tensions.
Dans cette intelligente comédie de Frédéric Sabrou, ce ne sont plus les canons de la mode qui dictent cette opération morbide, mais l’angoisse de perdre son emploi. En période de crise, le temps est venu de la « discrimination pondérale ». Terrible époque...
Heureusement l’humour éclaire la situation conflictuelle, et adoucit les mœurs cruelles d’une société sans autre repère que l’apparence. C’est mené tambour battant, et les nutritionnistes soutiennent la lutte finale.
On rit, et souvent de soi, car ces quatre cobayes qui regardent la salle comme eux-mêmes nous renvoient le reflet de nos travers…
On n’a plus aucun remords d’aller dîner ensuite, et copieusement ! Rien de tel que le théâtre pour vous ouvrir l’appétit.
Diète Party de Frédéric Sabrou
Mélo d’Amélie à 20 h
01 40 26 11 11
18:56 Écrit par Dadumas dans culture, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, société, régime | Facebook | | Imprimer