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09/02/2010

Survivre à Terezin

Terezin… Le nom évoque-t-il encore le martyre et la mort pour les jeunes générations ?

Theresienstadt fut d’abord une forteresse contre Napoléon, elle devint prison sous les Habsbourg, les nazis en firent un ghetto, un camp de transit, antichambre d'Auschwitz, mais annoncèrent au monde que « le führer donnait une ville aux juifs » : Terezin.

Photo 4.JPGOn y déporta 144 000 juifs, principalement les artistes, et on leur ordonna de continuer à créer. Dans des conditions épouvantables, mourant de froid, de faim, du typhus, de dysenterie, ils composèrent de la musique, la jouèrent, dansèrent. Ils donnèrent des spectacles, des concerts, des conférences. Ils écrivirent des poèmes, des chansons, des comédies et des numéros de cabaret. Ils dessinèrent, ils peignirent…On appelle cela le courage.

Il y avait là, Else Weber, auteur de contes et de poèmes ; Léo Straus, fils du roi de l’opérette, auteur et chef d’orchestre ; Kurt Gerron, comédien et cinéaste, comme Karel Svenk, pionnier du théâtre d’avant-garde, génial improvisateur ; Walter Lindebaum, écrivain ; Martin Roman, pianiste de jazz, Rafael Schaechter, musicien classique. Et des milliers d’autres, anonymes, et des enfants dont les dessins sont d’une précision accablante.

Peu furent sauvés. Quand Kurt Gerron, eut réalisé le film de propagande qu’on lui avait commandé, un « transport » l’envoya se faire gazer à Auschwitz, comme les autres. « Seules leurs chansons ont survécu ». Alexander Waechter, en 1992, les réunit dans un spectacle de cabaret, pour raconter l’histoire de son grand-oncle Raimund. Serguei Dreznin, pianiste et compositeur juif russe, et Gerhard Bronner le complétèrent. Il fut présenté à New York en 1993.

À Paris, Serguei Dreznin le fit connaître à Isabelle Georges, et, dans une adaptation de Boris Bergman, avec des dialogues de Josette Milgram, l’histoire d’Alexander Waechter, renaît au théâtre Marigny, et avec elle, la voix de ces artistes de cabaret, célèbres avant la guerre, ignorés depuis, parce que cyniquement et légalement assassinés.

photo 3.JPGDavid Krüger et Olivier Ruidavet forment avec Isabelle Georges, qui les met en scène, un trio extraordinaire. Vêtus de noir et blanc, éclairés par Carlo Varini, accompagnés par Serguei Dreznin lui-même, ils figurent à la fois le divertissement et la profondeur d’un tragique destin. Ce spectacle grinçant, traversé de plaisanteries déchirantes, se reçoit comme un hommage aux disparus.

Ils chantent un «Bienvenue à Terezin », annoncé comme un « paradis sur terre », où « on chasse tout souci », sauf qu’ « il en reste un pour mes frères/Comment va-t-on sortir d’ici ? »

Leur élégance, leur sourire, leur prestance expriment la légèreté, mais l’étoile de David cousue à gauche, sur leur poitrine dénonce « la mort en réclame ». Un extrait du film de Kurt Gerron témoigne de cette contradiction : sourires plaqués sur des visages tristes, foules mornes au regard errant, assises devant des tables vides. Comment la délégation de la Croix-Rouge, qui visita le camp en juin 1944, put-elle se laisser abuser ?

« Les choses pourraient être pires » disent M. Joyeux et M. Tout dans un duo de cabaret. Et pourtant ils en rient !

Germaine Tillion écrivit Le Verfügbar aux Enfers à Ravensbrück (créé à Paris en 2007). Le même esprit de dérision bouscule la désespérance. Il fallait rire pour survivre, penser pour se sentir encore un être humain dans cet anéantissement progressif que le système concentrationnaire avait organisé.

Afin de « veiller à ce que la mémoire ne cède pas à l’usure du temps » (R. Badinter), la Direction de l’action culturelle du rectorat de Paris, la Direction de la mémoire, du patrimoine, et des archives au ministère de la défense, et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, soutiennent cette création.

C’est « l’ultime fidélité que nous devons à ceux qui ont disparu ».

 

 

 

 Photos © François Vila

 

 

Cabaret Terezin, Seules leurs chansons ont survécu, chansons écrites à Theresienstadt (1942-1944),

 

 

Théâtre Marigny

Représentations exceptionnelles

Dimanche 14 février à 16 h

Lundi 8 mars, à 20 h 30

Lundi 10 mai à 20 h 30

Et pour les lycées et collèges :

jeudi 11 février,

mardi 16 février,

jeudi 18 février,

lundi 8 mars,

lundi 10 mai à 15 h

Réserv. : cabaret.terezin@gmail.com

 

21/01/2010

Une histoire qui finit mal

 

 

En mars dernier, la création de Casimir et Caroline nous avait donné une émotion immense*.

La pièce est reprise, et si vous n’aviez pas pu y assister alors, il est temps de vous précipiter au théâtre de la Ville (jusqu’au 24 janvier). Et si vous aviez comme moi, envie de la revoir, vous l’apprécierez encore plus.

Nous avions aimé, Sylvie Testud dans le rôle de Caroline, être fragile et désemparé, ballottée par le destin. Elle a cédé son rôle** à Élodie Bouchez, qui montre plus, de volonté, de désir et de souffrance. Le reste de la distribution (dix-huit comédiens) ne change pas, et tous mérite méritent nos éloges.©JEAN-LOUIS FERNANDEZ 01.JPG

Ödön von Horvath écrit Casimir et Caroline, au début des années 30, lorsque la grande crise économique a laissé l’Allemagne exsangue et que le nazisme se présente comme l’espoir d’un ordre nouveau.©JEAN-LOUIS FERNANDEZ 02.JPG

Caroline sent d’instinct qu’il faut profiter de cette fête de la bière pour jouir encore un peu. Casimir vient de perdre son emploi et n’en a pas envie. Ce malentendu brise leur attachement. L’atmosphère trouble, les fréquentations douteuses, les rites obscènes de la fête de la bière achèvent de détruire leur amour.

Les filles se vendent, les hommes s’avilissent, l’horizon devient noir et rouge, comme le drapeau nazi. L’histoire finit donc mal. Mais la pièce, telle qu’elle est mise en scène, est un chef d’œuvre.

Emmanuel Demarcy-Mota montre le crescendo de la violence et du Mal, mieux que l’Histoire nous l’enseigne. Sa mise en scène marquera le théâtre d’Horvath. La tournée qui commence, après le Théâtre de la Ville, lui trace le chemin d’une carrière internationale à laquelle nous applaudissons.

 

 

 

* voir note du 22 mars 2009 (archives)

** Sylvie Testud joue actuellement sur une autre scène.

 

 

Casimir et Caroline d’Ödön von Horvath

Traduction de François Regnault

Jusqu’au 26 janvier au Théâtre de la Ville

 

Tournée : Sète, Bordeaux, Annecy, Salins, Valence, Cergy-Pontoise, Amiens, Clermont Ferrand, puis Moscou, Saint-Pétersbourg, Portugal, Italie, Luxembourg.

 

 

30/11/2009

Un loup apprivoisé

 

 

Elles sont délicieuses ces petites ! Et si l’une est plus blonde que l’autre, l’une plus sage, l’autre plus effrontée, Delphine (Florence Viala) et Marinette (Elsa Lepoivre) sont les plus jolies de monde. Le loup en est tout attendri. Il voudrait bien entrer se chauffer chez elles, et elles aimeraient bien jouer avec lui. Car à deux, les jeux sont beaucoup plus limités qu’à trois. «  À trois, c’est bien mieux/ Beaucoup mieux/ Qu’à deux » chantent-elles. Bien sûr, les parents (Sylvia Bergé et Jérôme Pouly) ont interdit qu’elles sortent ou qu’elles ouvrent la porte à quiconque, et surtout pas au loup qui a la réputation de dévorer les petites filles.

Mais « le souvenir du fruit défendu est ce qu’il y a de plus ancien dans la mémoire de chacun de nous, comme dans celle de l’humanité. »*, et Delphine et Marinette ne résistent pas à la tentation.

Il faut avouer qu’elles étouffent dans leur lit clos, dans leur maison barricadée, dans leur univers fermé. Il faut avouer qu’il est bien sympathique ce loup (Michel Vuillermoz) qui raconte des histoires, et ouvre les fenêtres et les portes. Avec lui, on respire, on bouge, on apprend le monde. Elle l’ont vite apprivoisé, et lui, les a conquises.

Le public aussi est conquis. Il exulte. Les décors rustiques d’Éric Ruf ont la beauté du merveilleux. La musique originale de Vincent Leterme est inspirée. Les couplets additionnels de Lucette-Marie Sagnières s’intègrent parfaitement à l’esprit de Marcel Aymé. Et la collaboration magique de Félicien Juttner chatouille l’imaginaire, tandis que les éclairages d’Arnaud Jung créent une atmosphère mystérieuse et captivante. La mise en scène de Véronique Vella, qui se garde bien « d’adapter » restitue tout le charme des Contes du Chat Perché.

Naturellement, les parents avaient raison. Mais en partie seulement. C’est vrai que le loup n’est pas méchant par destination. Le loup peut jouer à la ronde, à cache-cache, au cheval, mais surtout pas au loup ! Car, alors tous ses mauvais instincts se réveillent, et ses antécédents assassins se raniment. « Loup y es-tu ? » devient une provocation…

N’en est-il pas de même pour les humains ?

Heureusement, tout se termine bien. Morale et sentiments sont saufs. Et, la troupe de la Comédie-Française accomplit une éblouissante prouesse artistique…

 

 

 

 

 

 

* Bergson  Henri, Les Deux Sources de la morale et de la religion

 

 

 

Le Loup de Marcel Aymé in Les Contes du Chat Perché, Gallimard.

Studio de la Comédie-Française

Jusqu’au 17 janvier 2010

rencontre avec le public et l'équipe artistique le 17 décembre après la représentation

 

01 44 58 98 58