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20/09/2015

Quand Christopher se prend pour Sherlock Holmes

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 Il est toujours difficile de transposer un roman au théâtre. Celui de Mark Haddon, Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit  adapté par Simon Stephens fit un triomphe à Broadway. Aujourd’hui traduite par Dominique Hollier, et mise en scène par Philippe Adrien, la pièce  bouleverse les spectateurs.

Elle raconte l’histoire d’un adolescent. Christopher (Pierre Lefebvre) a « quinze ans, trois mois, deux jours ». C’est un surdoué en mathématique, en astronomie. Il connaît « tous les nombres premiers » raisonne logiquement et veut « être astronaute ». Mais il est incapable de comprendre l’univers des adultes qui l’entourent et leur langage fleuri de métaphores est pour lui source de malentendus. Leurs mensonges même pieux, déclenchent chez lui  des colères épouvantables. Christopher est autiste.

 

À l’école, Siobhan (Juliette Poissonnier) et le Révérend Peters (Tadié Tuéné) le trouvent très intelligent  et poussent Mme Gascoyne (Mireille Roussel) à lui faire suivre ses études. À la maison,  le Père (Sébastien Bravard), lui a dit que sa Mère (Nathalie Vairac) était morte.

théâtre,théâtre de la tempête,philippe adrien,philippe lefebvreMais une nuit, Christopher découvre Wellington le chien de sa voisine, avec une fourche de jardinier plantée dans le corps. Et comme il réfléchit, il se dit : « Je crois qu’on tuerait un chien seulement si : a) on le déteste, ou : b) on est fou, ou : c) on veut faire de la peine à Mme Shears. » Et comme son héros est Sherlock Holmes, le bizarre incident du chien pendant la nuit va conduire Christopher enquêter lui-même, car le meurtre d’un chien n’intéresse guère la police. Son investigation, dite de voisinage, le mène chez la délicieuse Mme Alexander (Bernadette Le Saché), qui lui révèle que M. Shears (Laurent Montel), Roger de son prénom, était « très proche de sa mère ». « Vous voulez dire qu’ils faisaient du sexe ? » demande Christopher qui aime bien que les choses soient dites clairement.

Ce n’est pas que Maman soit partie avec M. Shears qui met Christopher en colère, mais que son père lui ait menti est insupportable. Malgré le Policier (Laurent Ménoret), malgré la terreur du voyage en train et en métro, Christopher part retrouver sa mère.

Quête douloureuse et initiatique et magnifique épopée brillamment orchestrée par Philippe Adrien !

 

 

Ses comédiens, ses fidèles, qu’on a déjà applaudis récemment chez lui dans Le Dindon et Bug savent « raconter en jouant » et « jouer en racontant ». Dans les lumières de Pascal Sautelet, le décor bouge, les comédiens circulent, changent d’identité, et cette chorégraphie (mouvement théâtre,théâtre de la tempête,philippe adrien,philippe lefebvreSophie Mayer) permet à l’espace de se modifier et au temps de dérouler ses séquences. Des projections vidéo d’Olivier Roset, une musique et une bande son signée Stéphanie Gibert, des costumes de Cidalia Da Costa soulignent harmonieusement la narration.

 

Le récit est fluide, les interprètes éblouissants, en particulier le jeune  Pierre Lefebvre que nous avions déjà beaucoup aimé dans ses rôles précédents.

 

 

Spectateurs franciliens, vous avez de la chance ! Le spectacle est intelligent, inventif, poignant par instants et jamais dépourvu d’humour. Courez-y !

 

 photo : © D. R. 

 

Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit d'après le roman de Mark Haddon,

Adaptation Simon Stephens,

mise en scène Philippe Adrien (texte français Dominique Hollier).

Au Théâtre de la Tempête (Cartoucherie de Vincennes),

du mardi au samedi 20h, dimanche 16h,

jusqu'au 18 octobre 2015.

01 43 28 36 36. 

 

11/09/2015

Chers voisins

 

 

théâtre,théâtre de poche-montparnasse,michel vinaver,marc paquienLe théâtre de Michel Vinaver parle des rapports humains. Il  met en perspective l’intimité des familles et les crises sociales au sein des entreprises. Il mêle le réalisme quotidien de la nourriture, des questions sociales, et des mythes très anciens, comme dans Les Voisinscelui de l’or maudit.Il projette sur le ici et maintenant de la pièce, les vicissitudes du passé des personnages et les éléments de l’avenir.

Dans cette pièce écrite en 1984, et créée en 1986, deux familles affrontent une existence plus chaotique qu’il n’y paraît et qui ressemble à celle des familles de 2015 que la crise menace.

Blason (Patrick Catalifo), a élevé seul sa fille Alice (Alice Berger). Sa femme est morte dans un accident de voiture. Il travaille dans une compagnie d’assurance. Son voisin, Laheu (Lionel Abelanski), employé à l’Universel Biscuit a un fils Ulysse (Loïc Mobihan). Plus d’épouse de ce côté-là non plus. La femme de Laheu a abandonné le foyer. Une terrasse joint les deux maisons, et les deux familles s’y retrouvent. On y discute nourriture et boissons, rivalités au sein des entreprises, salaires, travail et avenir puisque les deux enfants s’aiment et veulent vivre ensemble.théâtre,théâtre de poche-montparnasse,michel vinaver,marc paquien

Blason préférerait qu’ils aillent un peu « vers d’autres pour être sûrs de ne pas se tromper. » Mais les jeunes gens ont des souvenirs, des émotions, des projets communs. Et les pères aussi. Blason thésaurise pour l’avenir sous forme de lingots, Laheu n’a pas d’économie, mais beaucoup de cordes à son arc. Alice vient d’obtenir de l’avancement, Ulysse commence à se faire une clientèle.

Mais voilà que la maison de Blason est cambriolée. Qui connaissait la cachette des lingots ? Qui en a parlé ? Les soupçons s’insinuent, fermentent. Les accusations surgissent, les présomptions deviennent accablantes. Un cinquième personnage, invisible, une certaine Daphné, patronne d’Ulysse envenime et détruit les liens des « voisins ». Blason accuse ses chers voisins de « candeur » et Laheu échafaude un passé délictueux à Blason.

La situation dramatique pourrait virer à la tragédie. Mais Michel Vinaver ne laisse jamais au spectateur le temps de s’émouvoir. Il l’oblige à se questionner sous l’apparent discontinu des séquences. Il le contraint à relier les événements, à combler les ellipses temporelles. « Il n’y a pas de hasard » pour ses personnages. Blason et Laheu pourraient s’entretuer, Ulysse et Alice devenir Roméo et Juliette.

Il n’en est rien. Dans l’univers de Michel Vinaver les humains reconnaissent que l’or est maudit, qu’ils peuvent eux-mêmes trouver une solution à leurs problèmes, et inverser le cours des destins.théâtre,théâtre de poche-montparnasse,michel vinaver,marc paquien

Marc Paquien, qui met en scène, restitue fidèlement l’atmosphère de cette amitié. Il souligne la tension et la désillusion par un horizon noir constant (Lumières Pierre Gaillardot). La terrasse se déconstruit, s’anéantit (scénographie de Gérard Didier et Ophélie Mettais-Cartier) mais les personnages restent debout. Fragilité des choses contre solidité de l’homme qui semble tout perdre mais se reconstruit sans cesse. Les comédiens interprètent cette opposition avec virtuosité.

 

 

 

 

 © : D. R. 

 

Les Voisins  de Michel Vinaver

Mise en scène de Marc Paquien

Depuis le 4 septembre.

 

Théâtre de Poche

01 45 44 50 21

du mardi au samedi 21 h, dimanche 15 h

06/07/2015

Hommage au génie

 

 

Orson Welles aurait eu 100 ans cette année. Il laisse une oeuvre immense. Anca Visdei a revu des milliers de pages, d'entretiens, de critiques, visionné des kilomètres de pellicules pour essayer de démêler ce qui fut légende et réalité, mystification et vérité, invention et document. 
Enfant prodige, jeune homme talentueux, génie de la radio, du cinéma, de la narration, Orson Welles avait « une incroyable capacité de travail et de création ». On l'accusa d'être un « prétentieux gâté par le succès », qui ça ON ? Mais les médiocres bien sûr. Et comme le dit si bien Anca Visdei : « la conjuration des imbéciles ».

Dans une époque où son pays maintenait la ségrégation raciale et refusait d'intervenir contre Hitler, Orson Welles affichait son opposition, ça dérangeait. « Etre né libre, c'est être né avec une dette : vivre en liberté sans combattre l'esclavage, c'est être un profiteur. » Et Orson Welles s'engagea dans un combat pour la justice, contre la police qui avait rendu Isaac Woodard aveugle. Pouvait-on laisser un citoyen américain ternir l’image de l’Amérique ? Il fut  donc la cible du FBI.

Les producteurs furent de plus en plus réticents à lui faire confiance.  Or, « L'inspiration artistique sans les moyens financiers et techniques est aveugle, les moyens sans le poète sont stériles. » 

Orson Welles; cinéma, théâtre, livre, anca visdeiDepuis son canular de 1938[1]Welles était déjà célèbre à la radio, mais ne connaissait pas grand-chose au cinéma. Quand, le 22 juillet 1940, il commence le tournage de Citizen Kane, Gregg Toland ne lui a donné que deux jours de cours. Mais le coup d’essai fut, comme disait notre vieux Corneille,  « un coup de maître ».

« Le film regorge d’inventions techniques ou d’utilisations de procédés classiques employés de façon innovantes » écrit Anca Visdéi dans la biographie Orson Welles, qui rend hommage à ce génie. « Citizen Kane constitue la prémonition, les mémoires, l’épitaphe de la vie de Welles lui-même. » Dans ce film, le réalisateur a anticipé tout ce qu’il allait vivre par la suite. »

Et il n’a que vingt-cinq ans !

Trop doué, trop insolent, trop généreux, il aura bientôt contre lui une bonne partie de Hollywood, le FBI (avec le terrible Edgar Hoover), le fisc et quelques journalistes haineux, avides de scandales dans une société hypocrite. En Europe, on le découvre après la guerre et il est reconnu et adulé. Mais ce sont les fonds qui manquent…

Pour financer ses films, Orson accepte toutes les émissions radio qu’on lui propose, tous les films en tant qu’acteur, retourne mettre en scène au théâtre, réinvestit ses cachets pour produire ses projets. Beaucoup de tournages sont arrêtés faute de moyens, mais ses interprètes, ses techniciens lui sont fidèles et reprennent le tournage dès que les crédits rentrent. Ils constituent, autour de lui, « une famille ».

Vous trouverez dans la saga que constitue Orson Welles d'Ana Visdei, les déboires et les victoires du cinéaste, ses triomphes et ses échecs, ses amours aussi, car ce fut un grand amoureux qui séduisit les plus belles femmes de l’époque et les magnifia à l’écran.

Il ne termina jamais son Don Quichotte, il abandonna son Cyrano à l’état de projet, laissa son Caesar à moins talentueux que lui. Mais aujourd’hui, on retrouve des bobines, on découvre  ses essais, ses rushes jamais montés, et on revoit ses chefs d’œuvre avec passion.

Il fut « humaniste et voltairien » et ses détracteurs (« 75% de mensonges »), sont retournés à l’oubli. Alors si les producteurs n’ont pas su « discipliner l’Océan », il nous reste une œuvre  « immortelle »…

 

 

 

 

Orson Welles, d’Anca Visdei, éditions de Fallois, 20€

Si vous restez à Paris, passez votre été avec Orson Welles à la Cinémathèque

http://www.cinematheque.fr

 

 



[1] - Mise en onde de La Guerre des Mondes de son homonyme H. G. Wells.