07/09/2016
Intelligemment politique
Ah ! si le garçon de café (Arnaud Pfeiffer), n’avait pas étourdiment confondu les portables de Mado (Rachel Arditi) et d’Alexandre (Thibault de Montalembert), ces deux-là, que tout séparait, ne se seraient jamais rencontrés… Surtout ce soir de premier tour des élections présidentielles, ce 23 avril 2017.
Elle, jeune professeur d’histoire, plutôt écolo de gauche et pas sûre de ses choix politiques, n’aurait jamais fréquenté cet avocat, sorte de Tixier-Vignancour jeune et moderne, engagé au Front National, catholique déterminé, soutien militant et très actif de la candidate à l’élection présidentielle.
Mais le destin en ayant décidé autrement, l’amour-propre du frontiste, le coup de foudre de la jeune indécise, le verre de l’amitié aidant et quelque diable aussi les poussant, ils se sont aimés charnellement, se sont plu, se sont revus et ne peuvent plus se séparer.
Mado le trouve « drôle, sensible et intelligent », mais son amie Andréa (Ludivine de Chastenet), marxiste et féministe, le soupçonne de dissimuler son vrai visage. Elle s’indigne quand elle découvre la vérité. Louis (Bertrand Combe) militant à l’extrême droite, trouve cette liaison anormale et s’emploie à la ruiner.
Les jeux de la politique sont plus dangereux au théâtre que les jeux de l’amour, et certains esprits timorés les évitent. Salomé Lelouch dans son Politiquement correct les croise avec art et intelligence. Sa pièce est un bijou. Sa mise en scène, avec des changements à vue fluides, donne à la fable un rythme implacable. Les comédiens sont parfaits.
On peut bien arguer que cette rencontre semble impossible, chaque réplique sonne juste, chaque trait fait mouche. Preuve que la politique peut faire du bon théâtre quand elle assied une histoire solide, terriblement humaine, parce que ses personnages s'incarnent dans une réalité que nous reconnaissons.
On rit beaucoup de retrouver l’actualité toute nue sous les arguties de l’un et les tergiversations de l’autre, et on s’attache à cette fragile Antigone que la raison d’État, va sacrifier, comme il se doit.
Car ceci n’est peut-être pas une histoire, mais la prémonition de ce qui pourrait nous arriver…
Photos © Christophe de Vootz
Politiquement correct écrit et mis en scène par Salomé Lelouch
Théâtre de la Pépinière
du mardi au samedi à 21h et samedi à 16h
01 42 61 44 16
16:41 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Littérature, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, pépinière, salomé lelouch, rachel arditi, thibaut de montalembert | Facebook | | Imprimer
14/04/2016
L’irrésistible ascension
Svetlana (Nathalie Mann), la procureure, est seule, face au Président Vladimir Poutine (Hugues Leforestier). Il l’a convoquée dans son bureau. Elle est venue de Sibérie où elle a été mutée. Dehors, la foule conspue le maître du Kremlin. Mais Poutine a un projet.
Il l’accuse d’être responsable de ces manifestations. Elle lui reproche d’être un dictateur. Elle a monté un dossier accablant contre lui. Élections truquées, corruption à tous les niveaux, crimes organisés, génocide des Tchétchènes, violation des droits, prévarication, concussion, elle ne passe rien ! Elle démonte, avec une précision mécanique, l’irrésistible ascension, à quarante-quatre ans, du petit fonctionnaire falot du KGB, devenu FSB, sur lequel il appuie son pouvoir pour perpétrer ses coups les plus tordus et dicter sa volonté au monde. Elle l’avait connu quand il voulait « changer le monde » et tout laisse entendre qu’ils ont eu, ensemble, une brève liaison. Il voudrait aujourd’hui briser la militante.
Hugues Leforestier, l’auteur, assume le rôle du méchant. Gestes sobres, masque impassible. Il est odieux et glaçant. Nathalie Mann, l’opposante est obstinée, fragile et passionnée, elle lui fait front avec courage, révoltée par son autoritarisme, son cynisme. Elle dénonce sans faillir l’arbitraire érigé en système de gouvernement. Elle est superbe.
Comment la réduire au silence ?
La recette est connue. Bien des gouvernants la mitonnent, et même en démocratie.
En lui proposant un poste dans son gouvernement. C’est Le Projet Poutine. Mais elle reste intransigeante. Lui, qui a choisi entre « rester pur ou gouverner », se vante d’un bilan globalement positif puisqu’il a « rendu sa fierté à la Russie. » Peut-être se vengera-t-il d'elle sur ses enfants, ses parents, ceux qui lui sont chers. Ou la fera-t-il éliminer ? L’auteur ne tranche pas.
On dit souvent, que les Français ne savent pas faire un théâtre ancré dans l’actualité. Hugues Leforestier dans Le Projet Poutine démontre le contraire. Le conflit entre l’autocrate et la résistante, est intense, dramatiquement nourri. La mise en scène de Jacques Décombe entrecoupe chaque séquence de montages vidéo d’actualité d’un réalisme terrifiant.
On ne demande pas au spectateur de choisir, mais on lui apporte toutes les preuves pour qu’il puisse juger. Est-ce cette liberté qui déplaît à certains ?
Le Projet Poutine de Hugues Leforestier
Mise en scène : Jacques Décombe
Théâtre des Béliers parisiens
14 bis rue Sainte Isaure - 75018 Paris
du mercredi au samedi à 19h15 – Les dimanches à 17h30
01 42 62 35 00
Texte paru aux éditions Art et Comédie, 10 €
18:09 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, Livre, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre des béliers parisiens, hugus leforestier, nathalie mann | Facebook | | Imprimer
22/03/2016
être aimé
Vous vous souvenez de Marie Tudor, ce drame de Victor Hugo ?
La reine Marie (Aude Kerivel) a un amant, un certain Fabiano Fabiani (Ludovic Coquin), un aventurier, un apatride, un tyran que les nobles anglais (Laurent Uo, Frank Delage , Rémi Picard, Alfred Luciani) et le peuple haïssent et que Simon Renard (Frédéric Morel), émissaire du roi d’Espagne, veut détruire.
Or ledit Fabiani a séduit une jeune fille, Jane (Marie Hasse), fiancée à Gilbert (Pierre-François Kettler) le ciseleur. Le suborneur s’en vante. Le piège se referme sur lui.
Pierre-François Kettler met en scène Marie Tudor avec une grande finesse. Pas d’autre décor que le lieu sombre, cette salle du Nord-ouest où les différents niveaux de l’espace scénique graduent d’eux-mêmes les effets, où les portes des placards jouent les cachots, la descente d’escalier et le puits d’aération ménagent des passages secrets. Pour accessoires, un banc, une bourse et un poignard, des costumes stylisés, où le noir et le blanc s’opposent. Seule la reine porte une couleur, le rouge évidemment. Les comédiens, parfaitement distribués donnent au drame toutes ses nuances.
Magnifique est le duo-duel que celui qui oppose Jane et Marie ! Ardentes, angoissées, amoureuses, les deux comédiennes sont superbes. Et comme le grotesque et sublime se mêlent avec brio dans le rôle de Joshua (David Malet) !
Hugo parle de politique et d’amour. Et sa parole résonne encore avec justesse.
Jusqu’où peut-on mépriser le peuple ? Comment justifier l’arbitraire ? Jusqu’où peut-on aimer ? Jusqu’au sacrifice selon Gilbert, jusqu’au crime selon Marie la sanglante. Mais surtout peut-on vivre sans amour ?
Pour Gilbert la clé du bonheur, c'est d'"être aimé". Et pour vous ?
Marie Tudor de Victor Hugo
Mise en scène Pierre-François Kettler
Théâtre du Nord-Ouest
Du 23/03/2016 au 03/04/2016
Mercredi à 20 h 45, samedi et dimanche à 17h
Réservation : 01.47.70.32.75
23:12 Écrit par Dadumas dans culture, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, romantisme, victor hugo, pierre-françois kettler | Facebook | | Imprimer