04/03/2017
L'Illusion et le mensonge
En ces temps de remous politiques où le citoyen commence à douter de l‘efficacité de son bulletin de vote, Christophe Mory nous propose de réfléchir sur La Passation. C’est-à-dire sur le moment où le président battu par le suffrage universel, transmet les charges de sa fonction au nouvel élu.
On sait à quelles conjectures se livrent les journalistes qui se croient obligés de commenter les images de la cour de l’Élysée tandis que le pas encore ex-Président reçoit l’impétrant. Mais pendant que les commentateurs pérorent et que les invités sourient, que se disent les deux hommes dans le secret du bureau présidentiel ? Que font-ils ? À quels sentiments obéissent-ils ?
Dans le décor de Lydwine Labergerie, celui qui est « battu et abattu » (Pierre Santini) va laisser sa place au nouveau (Éric Laugérias) plein de morgue et d’illusions. Le sortant veut prendre son temps, l’autre veut prendre rapidement possession des lieux. Il était chef de l’opposition, il jouit de ses nouveaux pouvoirs et bombe le torse au nom de la France. Le sortant est amer, caustique et lucide. Il va devenir cynique.
Alain Sachs, qui met en scène ce texte brûlant d’actualité, gomme toute tentative de rapprochement avec quelque politicien que ce soit. Par sa stature, Pierre Santini en président madré, sagace et blasé rappellerait plutôt un président de la IVe république (Coty ou Auriol). Il est formidablement présent et authentique. Éric Laugérias incarnerait peut-être celui de la Ve qui s’agitait vainement. Leur duo est superbe, leur duel inimitable. Tous les coups sont permis, même les coups tordus. Mais nulle identification n’est possible et seul le jeu des répliques cinglantes nous ramène au combat politique. Jugements clairvoyants sur les hommes, le dialogue fuse en sentences acerbes.
On rit beaucoup de ces phrases sans indulgence sur les hommes de pouvoir : « ils étaient bons pendant la conquête, (maintenant) ils sont usés. » On admire la justesse des propos sur l’éducation : « il faut une génération pour réformer le secteur. ». Et pourtant, de les voir vêtus de costumes semblables, même chemises, mêmes cravates, ne sont-ils pas interchangeables ? Quels idéaux nous proposent-ils à part « l'illusion et le mensonge »?
La seconde partie fortifie nos craintes. Nous vous laissons découvrir quel futur nous guette sous la contrainte des algorithmes.
Et ne s’empresse-t-on pas de rire, comme Figaro, de peur d’en pleurer bientôt ? Au moins peut-on se dire que c’est encore du théâtre, qu’il reste l’espoir, mais comme, comme le dit le Président, en conclusion : « Qui sait ? »
La Passation de Christophe Mory
Mise en scène d’Alain Sachs
Théâtre des Feux de la Rampe
Du mardi au samedi à 19 h 30
Jusqu’au 19/05/2017
01 42 46 26 19
16:07 Écrit par Dadumas dans Blog, humour, langue, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : théâtre, politique, théâtre des feux de la rampe, christophe mory, pierre santini, alain sachs, eric laugérias | Facebook | | Imprimer
08/11/2016
Vaclav Havel , le retour
Déclaré « ennemi de classe » dès son adolescence, condamné pour sa « résistance » au régime politique qui opprime son peuple, Vaclav Havel, a passé de nombreuses années en prison ou dans des emplois subalternes très surveillés. Il en a gardé de quoi nourrir ses écrits et son théâtre.
Dans sa pièce Audience il s’invente un double, l’auteur Ferdinand Vanek (Cédric Colas), comme lui interdit de scène et de publication. Pour gagner sa vie, il travaille chez un brasseur. Sladeck (Stéphane Fiévet), son supérieur hiérarchique l’a convoqué. L’homme est amical, patelin, prodigue en conseils. Il dit admirer le courage que ce changement de vie a dû induire dans la vie de son employé. Mais plus le chef est loquace, affable, plus l’ouvrier reste taciturne et froid. Plus il s’épanche, plus Vaneck se méfie. Sladek ouvre des bières, Vanek feint de les boire. Le contremaître n’est plus qu’un poivrot larmoyant, Vanek dignement, n’a pas cédé.
Le décor imaginé par François Cabanat reproduit la brasserie, avec ses caisses, sur lesquelles les spectateurs seront assis. En face d’eux, les tonneaux à livrer et le bureau vitré où le contremaître interroge Vanek et d’où il surveille tout et tous. Et quand Sladek s’écroule, Véra (Frédérique Lazarini) et Michael (Marc Shapira), très excités, introduisent les spectateurs dans leur nouvel appartement : un grand salon clair, orné d’une des œuvres de Miloslav Moucha, reproduite « en cascade » sur les murs.
L’action se joue au centre, comme dans une arène. Et c’est un combat de mots que le couple va livrer contre Vaneck. Ils vantent leur réussite, et étourdissent leur « meilleur ami », des prouesses qu’ils ont réalisées, tant socialement que sexuellement. Ils sont enthousiastes, diserts, épanouis, bien intégrés au système. Ils ont su « s ‘arranger ». Vaneck, par son intransigeance est resté « un plouc ». Ils sont exubérants et autoritaires et le pauvre Vanek ne pense qu’à fuir.
Les traits sont rapides et sûrs. Anne-Marie Lazarini vise juste dans le choix de ces textes, la direction des comédiens. La satire est parfaite. Elle était nécessaire dans un temps où les valeurs sont faussées, les idées corrompues, les héros hésitants. Avec un brin d’extravagance dans le choix de la composition musicale, elle nous entraîne dans un univers quasi surréaliste, baigné d’humour grinçant. Tout Vaclav Havel en quelque sorte.
Photos :© Marion Duhamel.
Audience et Vernissage de Vaclav Havel
Mise en scène d’Anne-Marie Lazarini
Théâtre Artistic Athévains
Jusqu’au 31 décembre
01 43 56 38 32
Mardi, mercredi, jeudi, 19 h
Vendredi, 20 h 30
Samedi, 18 h
Dimanche, 15 h
23:08 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, Histoire, humour, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre des athévains, vaclav havel, anne-marie lazarini | Facebook | | Imprimer
14/10/2016
Objet théâtral non identifié
Dans le genre « spectacle inclassable » Blockbuster[1] devrait remporter la palme. On le joue dans un théâtre, mais ce n’est pas une pièce. Il se déroule partie sur écran, mais ce n’est pas de la vidéo, ni du cinéma. On y joue de la musique en live comme on dit aujourd’hui, mais ce n’est pas un concert. Le « Collectif mensuel » qui l’interprète dit s’inspirer du roman de Nicola Ancion Invisibles et remuants, mais ce n’est pas de la littérature. Alors ? C'est un OTNI (objet théâtral non identifié)
Imaginez une joyeuse bande de cinq jeunes insolents : Sandrine Bergot, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier et Renaud Riga. Ils ne respectent rien et surtout pas la richissime industrie du cinéma américain.
Ils ont mis bout à bout « 1400 plans séquences puisés dans 160 films hollywoodiens » (vidéo et montage Juliette Achard). Et sur scène, dans une scénographie de Claudine Maus, des éclairages de Manu Deck, ils synchronisent en direct, sur ces images, des dialogues de leur invention. Doublage des voix, bruitages et musique sont de leur cru et ces garnements court-circuitent l’ordre moral et le politiquement correct. Ils dézinguent le capitalisme et ses dérives, le lavage des cerveaux, les injustices et les crimes.
On n’a jamais fait mieux pour montrer aux spectateurs comment l’image peut être manipulée. On en rit. Mais c’est une belle et impertinente leçon ! Cependant, si on sait ce dont ils ne veulent pas, ils ne nous disent pas ce qu’ils veulent…
Le mieux pour les apprécier et les répertorier est d’y aller vous-mêmes, très vite avant que la censure ne leur tombe dessus…
Blockbuster de Nicolas Ancion avec le collectif Mensuel
Jusqu’au 15 octobre au Théâtre 71 à Malakoff
01 55 48 91 00
En tournée ensuite jusqu’en juin 2017
(en France et en Belgique)
http://www.collectifmensuel.be
[1] - « Blockbuster » nous dit le programme, signifie « qui fait exploser le quartier ».
15:35 Écrit par Dadumas dans Blog, Film, humour, Musique, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, musique, théâtre 71, société | Facebook | | Imprimer