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19/10/2016

Quoi de neuf ? Molière… et Boulgakov

 

 

Mikhaïl Boulgakov rencontra beaucoup de difficultés avec la bureaucratie et la censure. Ses écrits, son théâtre furent souvent et longtemps interdits en U. R. S. S. Ainsi, Le roman de Monsieur Molière, biographie de Molière que Gorki lui avait commandée, terminée en 1933, ne parut qu’en 1962, et dans une version expurgée !

Théâtre, Littérature, Théâtre du Lucernaire, Molière, BoulgakovRonan Rivière l’adapte pour la scène dans une version théâtrale pour tréteaux qu’il met astucieusement en scène et joue avec un seul comédien Michaël Cohen (ou François Kergoulay). Il glisse dans le récit quelques scènes des premières farces, puis des Précieuses, du Mariage forcé, du Misanthrope, de la Critique de l’École des femmes, et des écrits ou libelles contre Molière. Les années courent, les adversaires triomphent, Molière se bat. On est captivé.

On retrouve l’atmosphère du Roman comique de Scarron, mais surtout, les aléas de la troupe itinérante, L’Illustre théâtre, puis l’alternance « des succès et revers d’une troupe légendaire ». Quoi de neuf pour dire le combat éternel contre la censure et pour la liberté d’expression ? Molière et… Boulgakov

Le chariot des comédiens occupe une bonne partie de l’espace, et les changements à vue transforment le véhicule en estrade, ou en décor. Un seul fauteuil Louis XIII suffit à situer l’époque, les comédiens jouent en chemise blanche et pantalons avec bretelles. Olivier Mazal, au piano, ponctue les séquences de morceaux de Lully. Ronan Rivière est à la fois Boulgakov, le narrateur,  et Molière. Mickaël Cohen interprète Gros René, Joseph Béjart, le prince de Conti, Philippe d’Orléans, Louis XIV, les marquis, les dévots, et même Armande ! Une cape suffit à le transformer. À comédiens de talent rien n’est impossible, et le résultat de ce duo, sur scène, est un vrai plaisir.

On recommande cette « biographie » vivante à tous les publics et en particulier à ceux qui auraient Molière au programme, c’est-à-dire tous, de la sixième à l’université !

 

 

 

 

Le Roman de Monsieur Molière d’après Boulgakov, Molière et Lully

Adaptation et mise en scène de Ronan Rivière

Théâtre du Lucernaire

01 45 44 57 34

À 18 h 30 du mardi au samedi, dimanche à 16 h

 

05/09/2016

Balade hugolienne

 

 

théâtre,littérature,victor hugo,julien rochefort,sylvie blotnikasJulien Rochefort aime Victor Hugo. Il a choisi de le faire découvrir, avec le Voyage aux Pyrénées, celui de 1843, qui, commence le 20 juillet sur un ton primesautier, et s’interrompt brutalement à Rochefort, le 8 septembre, à la lecture du Siècle, qui relate la mort de Léopoldine.

Le « voyage » est un genre très en vogue depuis que Chateaubriand a relaté les siens. Charles Nodier et le baron Taylor en ont fait une Tradition. Le narrateur feint de s’adresser à des correspondants et leur communique ses « Impressions » comme Théophile Gautier, ses « Notes »  comme Prosper Mérimée, ses « Souvenirs » comme Alexandre Dumas. En 1842, Victor Hugo a publié les siens avec succès, dans le Rhin. En 1843, il s’échappe de Paris, de sa famille, comme tous les ans (ou presque) avec Juliette Drouet, et s’il n’en parle jamais, on sait, par le journal de cette dernière, comment il apprend le drame de Villequier.

Sylvie Blotnikas adapte et met en scène Pyrénées ou le voyage de l’été 1843. Julien Rochefort est le narrateur. Sans décor, sans accessoire, le comédien évolue sur un plateau nu. Il donne au texte de Hugo ce ton est enjoué, malicieux, aimable et souvent gentiment moqueur avec les compagnons de voyage, et les gens qu’il rencontre.

On regrette de ne pas retrouver, dans l’épisode des baigneuses de Biarritz, l’apparition de la baigneuse qui chante « Gastibelza l’homme à la carabine », et dans celui de Pasages, la surprenante rencontre avec les bateleuses. Et, puisque l’adaptation conserve avec intelligence l’invention de Hugo qui tente de voyager incognito, de Bordeaux à Bayonne, pourquoi ne pas garder celle de Cauterets où il se fait inscrire aux thermes sous le nom de Michel ou Michelet ou Michelot, un homme qui tient « si peu à son nom » ?

Mais nos réticences sont bien minces devant le bonheur d’entendre cette prose superbe, aux accents de « prémonition proustienne » (Claude Gély).

Le voyage aux Pyrénées, conçu pour aller prendre les eaux à Cauterets, serpente sur les routes de France,  s’égare sur les chemins d’Espagne. On  y croise des paysans et des bourgeois,  de jolis femmes et des caractères singuliers. L'auteur nous parle de l'actualité, de l'Histoire, et analyse le travail de la mémoire, les rapports au paysage, aux objets, aux sons. 

Sylvie Blotnikas et Julien Rochefort nous offrent là une balade hugolienne pleine de charme et de délicatesse.    

 

 

 

 

Photo : © Fabienne Rappeneau.

 

Pyrénées ou le voyage de l’été 1843 de Victor Hugo

Adaptation et mise en scène de Sylvie Blotnikas

Théâtre du Lucernaire

Jusqu’au 8 octobre

Du mardi au samedi à 19 h

 

02/09/2016

La dernière version

 

C’est la fin de l’année scolaire dans cette public school réputée à laquelle le professeur Crocker Harris (Jean-Pierre Bouvier) s’est consacré depuis dix-huit ans. Mais il doit demain y faire ses adieux. Ses problèmes cardiaques ne lui permettent pas de continuer à y enseigner. Par conscience professionnelle, il va donner à l’élève Taplow (Thomas Sagols) un cours de rattrapage de version grecque, chez lui.théâtre,littérature,théâtre de poche-montparnasse,terence rattigan,patrice kerbrat,jean-pierre bouvier

Il est en retard et Taplow se retrouve face à un autre professeur, Frank Hunter (Benjamin Boyer), qu’il devrait avoir en première scientifique si ses résultats lui permettent d’accéder à cette classe. Taplow bavarde et médit. Taplow est insolent et Hunter indulgent. Millie Crocker Harris (Marie Bunel), interrompt cette complicité. Le spectateur en découvre d’autres. Car elle envoie Taplow faire une commission pour se retrouver seule avec Hunter, son amant.

Pas d’aimable badinage, mais des sous-entendus fielleux, des jugements malveillants, une haine sourde que l’épouse distille avec rancune contre son mari et les femmes de ses collègues. Et pourtant, dit-elle, « Il avait de vraies qualités, autrefois ».

Quand Crocker arrive, on le plaint d’avoir une telle épouse et de paraître aveugle. On s’agace de sa complaisance envers tous. Car cet homme dévoué a préparé l’emploi du temps de l’année suivante pour une école dont il ne fera plus partie, et dont le comité lui refuse une pension pour sa retraite anticipée. Déjà, le directeur (Philippe Etesse) le prie d’abréger son discours lors de la distribution des prix. Déjà, Mr. Gilbert (Nickola Krminac) qui va remplacer Crocker, et sa femme (Pauline Devinat), demandent à visiter l’appartement qu’il occupait.


théâtre,littérature,théâtre de poche-montparnasse,terence rattigan,patrice kerbrat,jean-pierre bouvierPatrice Kerbrat qui signe l’adaptation et la mise en scène de La Version Browning, dirige ses comédiens avec rigueur. Jean-Pierre Bouvier est admirable de douleur contenue, de sentiments étouffés. Autour de lui, Benjamin Boyer cultive la duplicité, Marie Bunel une indifférence  hostile et amère, Thomas Sagols l’ambiguïté de l’adolescence. Saura-t-on jamais si le jeune homme agit pour se concilier le maître ou parce qu’il reconnaît en lui science et sagesse ?

Terence Rattigan peint un monde où, à force de maîtriser ses émotions (« never explain, never complain » dit la Reine) Crocker a vu s’envoler les illusions qu’il avaient bercées, les espérances qu’il caressait. Restent les aigreurs des amours trahies que l’humour noir, typiquement britannique, lance effrontément, et qui font mouche à chaque trait.

Dans son adaptation pour le cinéma* Terence Rattigan signa un scénario qui laisse espérer des jours meilleurs pour celui que les élèves surnomment ici « Croquignol» (« le croulant » dans la version cinéma).

La pièce paraît terriblement pessimiste, mais le personnage de Taplow n’est pas si noir qu’il paraît, et Hunter beaucoup moins amoral qu’on pensait. Et Crocker se ressaisit…

Un certain Browning avait traduit l’Agamemnon d’Eschyle, un certain Crocker Harris aussi, et un certain Taplow qui traduisait fort mal, sut se servir de sa dernière version.

 

  photos © Pascal Gély. 

 

* The Browning Version (L’Ombre d’un homme) film d’Anthony Asquith (1951) Prix du scénario à Cannes.

 

 

La Version Browning de Terence Rattingan

Adaptation et mise en scène de Patrice Kerbrat

 

Théâtre de Poche-Montparnasse

01 45 44 50 21

Du mardi au samedi : 21 h,

dimanche : 15 h