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19/06/2015

La reine de Montparnasse

 

 

Théâtre, théâtre de la Huchette, musique, peinture, humour, histoireElle naquit en 1901 dans un « joli coin de Bourgogne ». On l’appela Alice. Sa mère était pauvre, son père était riche. Et comme ce n’était pas un conte de fées, ils ne vécurent pas ensemble. La mère partit pour Paris trouver du travail. Et Alice resta au pays chez sa grand-mère, laquelle élevait comme elle pouvait, les enfants dont la famille ne pouvait pas s’occuper. La soupe était souvent claire, mais elle les nourrissait d’amour.

Quand elle eut douze ans, sa mère se souvint d’elle et la fit venir à Paris pour entrer en apprentissage. Brocheuse, fleuriste, ouvrière (c’est la guerre, on la recrute pour visser des ailes d’avion), là voici bonne à tout faire dans une boulangerie. Cependant, elle est nourrie et logée, c’est mieux que chez sa mère qui « n’était pas faite pour être mère ». Mais comme elle ne supporte pas d’être battue, elle se retrouve à la porte. Qu’à cela ne tienne, elle va poser nue chez un sculpteur, et gagne 5 francs pour 3 heures de pose alors qu’à la boulangerie, elle en gagnait 2 par mois.

Hélas ! Sa mère a des principes et poser nue, c’est être une putain ! Pas de ça chez elle !  En plein hiver, Alice est à la rue, pauvre « grenouille aux souliers percés »[1]. C’est un peintre qui la recueille, il s’appelle Soutine. Elle devient son modèle et celui d’autres peintres. Ils ne parlent pas bien le français : ils la baptisent Kiki, c’est plus facile.Théâtre, théâtre de la Huchette, musique, peinture, humour, histoire

Il y eut quelquefois « retour à la case pieds mouillés dans la neige ». Mais avec une volonté tenace, elle rejoignit la « bande de la Rotonde » où le « papa Libion »[2] lui avait conseillé d’acheter un chapeau[3].

Elle pose pour Gworzdecki,  Utrillo, Van Dongen. Elle est l’« inspiratrice » de Foujita, Kisling,  Maurice Mendjinsky[4], Man Ray, la compagne d’Henri Broca, et d’autres Montparnos comme on   les appelle, ces artistes, peintres, écrivains, sculpteurs, cinéastes. Dans leur vie de bohème à Montparnasse, on ne mange pas tous les jours, mais on boit, on danse, et on se dépêche de rire de tout. Elle est élue « reine de Montparnasse ». Étroit royaume, réduit au périmètre de la Rotonde, la Coupole, le Dôme, le Jockey, avec quelques incursions à Montmartre, quelques voyages vite achevés car, hors Montparnasse, la chance ne lui souriait guère. Royaume éphémère car la guerre dispersa ses amis.

Quand Kiki mourut, en 1953, seul Foujita l’accompagna au cimetière de… Thiais.

Pour cette Fantaise musicale intitulée Kiki, Hervé Devolder s’inspire avec talent des Mémoires de Kiki, recueillies par son dernier compagnon, André Laroque, agent des contributions directes le jour et musicien (accordéon et piano) la nuit.

Théâtre, théâtre de la Huchette, musique, peinture, humour, histoireMilena Marinelli est une Kiki, étonnante de ressemblance avec l’originale. Elle en a aussi la gouaille et l’assurance. Son joli timbre de voix fait merveille dans les chansons tour à tour réalistes ou nostalgiques. Elle est seule en scène et Ariane Cadier au piano, quelquefois, lui lance quelques remarques piquantes. C’est un spectacle enjoué, pétillant d’humour, fluide comme les boissons que Kiki aimait tant.

« Ne s’éteint que ce qui brille » écrivait Aragon. Hervé Devolder a rallumé les projecteurs sur elle.

 

 

Photos : © Pauline Marbot

 

 

Kiki, le Montparnasse des années folles, de Hervé Devolder

Théâtre de la Huchette

01 43 26 38 99

du mardi au vendredi à 21h

samedi à 16 h

depuis le 17 juin.



[1]- J’emprunte l’image à Robert  Desnos mais je ne suis pas sûre du tout qu’il l’ait écrit pour elle.

[2] - Patron du restaurant La Rotonde, mécène des artistes.

[3] - Une femme sans chapeau n’était pas admise en salle.

[4] - Vous en saurez plus sur lui et Kiki en allant au Musée Mendjinsky, 15 Square Vergennes, 75015 Paris,(entrée à la hauteur du 279, rue de Vaugirard).

27/11/2010

Les mineurs à l’expo

 

Ils n’étaient jamais allés plus loin que Newcastle, et certains n’étaient jamais sortis d’Ashington. Ils n’avaient jamais mis les pieds dans un musée. Mais grâce à « l’association pour l’éducation des ouvriers », pour la modique somme de six pence en 1934, les mineurs ont décidé de se cultiver.

George (Jacques Michel) aurait préféré un cours d’économie mais « le seul professeur qu’il pouvait avoir était celui de sensibilisation artistique ». Jimmy (Bernard Ballet), est suspicieux, Harry (Eric Verdin) sceptique, Oliver (Robert Bouvier) vite convaincu, et le P’tit’ gars (Arthur Vlad) bien décidé à se faire accepter. Leur mentor, Robert Lyons (Thomas Cousseau) se sentant dépassé par leur ignorance, choisit d’être pragmatique : « Peignez ! Dessinez ! ». Et, ils se lancent. Maladroits, mais critiques, ils créent, ils expliquent, ils jugent. Sur toile ou sur bois, ils illustrent leur quotidien, leurs pensées. Les peintres au charbon 2 (c) David Marchon.jpgLes personnages sont petits, la brouette grosse comme un wagon, le chien comme un mouton, mais il « s’agit de s’exprimer », et eux qui ne possédaient guère de vocabulaire apprennent à maîtriser la forme, à chasser leurs préjugés. Les tempêtes bibliques qui ne les intéressaient guère deviennent des sujets réalistes. Et Suzan (Carine Martin) impose le nu, qui les choquait tant.  

 

(photo : David Marchon)

 

 

Helen Sutherland (Odile Roire), collectionneuse riche et fantasque s’intéresse à eux, elle achète une toile, et organise une expo. PhotoLotPeintres79.jpgElle propose  à Oliver, qui a « un don », et pense « comme un artiste » de quitter la mine. Ira-t-il, en 1936, jusqu’à vivre comme un artiste ? Oliver est soutien de famille, il n’est pas de ceux qui abandonnent leurs frères. Il restera « un amateur ». Ils le resteront tous. Sauf le P’tit gars, un orphelin, qui s’engage en 1941, pour aller combattre en Normandie et n’en reviendra pas.

 Lee Hall, dans Les Peintres au charbon inspiré du roman de William Feaver, raconte une histoire vraie, celle d’un groupe qui ne « se contente pas de ce qu’on lui a donné », une histoire d’hommes, d’amitié, d’aspiration à une vie meilleure.

« Mais l’art ne suffit pas ». Le fond social et politique malmène ces hommes de bonne volonté.

 La traduction de Fabrice Melquiot est vivante et précise, les « cartons » projetés fixent les repères historiques. Marion Bierry, pour sa mise en scène a choisi la simplicité : quelques chaises, un chevalet, un mur translucide (scénographie de Gilles Lambert) qui joue avec ses angles (lumière de Laurent Junod), et des comédiens aguerris,

On n’en sait peut-être pas assez sur la vie de ces mineurs, mais on sait tout sur la mentalité des intellos qui les méprisent ou les exploitent. Leur professeur, nommé à Edimbourg, grâce au mémoire qu’il a rédigé sur le groupe, peint des toiles académiques qui ne disent rien sur la vie de ses hommes. Et Helen est passée à d’autres engouements. La mine a fermé en 1981, mais leurs œuvres (au nombre de quatre-vingt-six) sont exposées au Woodhorn Colliery Museum. Si vous ne pouvez aller dans le Northumberland, allez admirer les Peintres au charbon. Ils disent l’éternel combat contre l’ignorance.

 

 Comédie sociale ? Oui, de la meilleure eau !

 

 

Les Peintres au charbon de Lee Hall

Théâtre Artistic Athévains

Jusqu’au 22 décembre

01 43 56 38 32

 

 

 

31/10/2008

Belle sans ornement

 

C'est au château de Plessis-les Tours, où il était en résidence d'écriture, que Jean-Paul Wenzel a écrit une pièce qui lézarde son écriture habituelle. Abandonnant la veine réaliste, la Jeune Fille de Cranach nous conduit dans un univers étrange où se mêlent, conte fantastique, épopée symboliste, poème du quotidien.

Nouria (Lou Wenzel) qui se baignait nue dans un étang est surprise par un orage brutal. Elle se réfugie dans un château en ruines. La seule pièce où il ne pleut pas est tapissée de livres et occupée par un vieil homme (Claude Duneton), endormi dans un fauteuil à oreillettes, et qui semble l’attendre. Elle n’aimait pas lire, seulement rêver. Il va lui offrir des rêves troublants, car pour l’habiller, il ouvre une malle, d’où, l’une après l’autre, des robes éblouissantes vont la guider vers les œuvres picturales de Cranach*.

Cissou Winling, et Catherine Sardi reconstituent les vêtements raffinés des princesses de Saxe ou des saintes des retables et Lou Wenzel, belle sans ornement, sait être tour à tour une Vénus pudique et une effrontée. Elle retrouve aussi la robe rouge de Judith, l’héroïne mystique qu’elle a déjà brillamment interprétée. Elle est superbe, tissant les liens entre réalité et imaginaire.file000.jpg

Les références pleuvent : Maeterlinck, Giraudoux, et Gautier. Cependant le vieillard n’a rien à venger, la jeune fille n’est pas trahie, elle trouve au contraire l’âme sœur avec Michel (Gabriel Dufay), un jeune homme de son âge et les personnages des peintures de Cranach ne participent pas à des jeux érotiques ou funèbres, mais décillent les yeux des ignorants.

En réalité, dans cette rencontre entre un vieil érudit et une sauvageonne à apprivoiser, c’est toute l’histoire du jeune Wenzel qui transparaît. Promis à un « avenir tout tracé de tourneur-fraiseur », alors qu’il hésite «entre délinquance active et poésie approximative », il a seize ans quand il rencontre Claude Duneton qui lui fait découvrir l’art et la littérature. « Une belle histoire de passation » dit-il puisque sa fille, Lou, est maitenant comédienne et que Gabriel Dufay, a été son élève. Il les met tous en scène aujourd’hui.

Cueco, qui signe la scénographie, fait aussi partie de la fidélité du jeune homme à ceux qui l’ont ouvert au monde de la pensée. Claude Duneton joue merveilleusement le vieillard fragile, et Gabriel Dufay donne un jeune premier fier et sensuel.fille 2.jpg

La musique de Berry Hayward interprétée par des violes de gambe, trombone, orgue, flûte, est soutenue par une voix de femme. Sur les murs la video de Sarah-Jacquemont-Flumant et Laurent Ferrat, ponctue les séquences en masquant les livres. Dans l’eau profonde et sombre d’un étang semé de nénuphars, le paysage vacille, comme le spectateur.

C’est un spectacle envoûtant auréolé de mystère et marqué du signe de la tendresse.

 

 

 

La jeune fille de Cranach de Jean-Paul Wenzel

Mise en scène de l’auteur

à la Maison des Métallos

94 rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris

www.maisondesmetallos.org - info@maisondesmetallos.org

01 48 05 88 27

du 21 octobre au 1er novembre

et du 9 au 20 décembre 2008 à 20h30

relâche les dimanches et le samedi 13 décembre

représentations supplémentaires à 16h les samedis

1er novembre et 20 décembre

 

Rencontre avec l’équipe artistique

les jeudis 23 octobre et 18 décembre

après la représentation

* Lucas Cranach est une peintre de la Renaissance (1472-1553)

La Jeune Fille de Cranach est édité par les Éditions Les Solitaires intempestifs