27/11/2008
Une planète refuge
Jody (Michel Burstin) est un rêveur mélancolique. Il sort peu de sa boutique entièrement dédiée aux cartes géographiques et aux guides. Un jour son ami Carl (Bruno Rochette), plutôt expansif, lui apporte une chaise.
Drôle de cadeau ! Curieux cadeau qu’il renouvelle. À chaque visite, sa chaise : siège unique, différent de celui déjà offert. Elles s’accumulent, de formes et de matières diverses, s’empilent, forment une diagonale dans l’espace.
D’où viennent-elles ? Ont-elles été « trouvées dans la rue » comme le prétend d’abord Carl, qui se récuse et finit par dire qu’elles sont « adoptées » ? Il dit la vérité alors, puisque ces chaises sont orphelines de leurs propriétaires qu’une sale maladie a emportés. « Je ne supporte pas de les voir abandonnées » dit Carl.
Dans la scénographie de Jack Percher, un portulan ocré s’inscrit sur le sol parqueté de bois, et les trappes qui s’ouvrent dressent des cartes bistrées. La boutique de Jody est comme « une petite planète au milieu d’un vide gigantesque », une planète refuge pour ces deux amis inquiets d’être à leur tour malades, et qui, épigones de Ionesco, veulent « laisser des traces car (ils sont) des personnes ». Sylvie Rolland met en scène avec pudeur, et sensibilité, rien n’est inutile. L’intensité dramatique croît, sans pathos.
- « Tu garderas ma chaise, Jody ? » demande Carl un soir.
- - « Je te le promets » répond Jody.
Steven Dietz, l’auteur, sait, avec peu d’effets, toucher le secret des âmes.
Lonely Planet de Steven Dietz
Manufacture des Abbesses
à 19 h, du mercredi au samedi,
Jusqu’au 27 décembre
01 42 33 42 03
16:12 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, homosexualité | Facebook | | Imprimer
26/11/2008
Bon voyage Monsieur Perrichon !
Monsieur Perrichon (Pierre Vial) part en voyage ! Il n’est pas seul, le bourgeois ! Il emmène sa famille : sa femme (Madeleine Marion), sa fille Henriette (Hélène Babu), le petit chien d’icelle et ses bagages : « nous sommes neuf », s’écrie-t-il, fièrement. Il ne s’étonne guère de traîner dans son sillage, Armand (Stéphane Vérupenne) et Daniel (Alexandre Pavloff), deux jeunes gens qu’il rencontre partout où il va, de Paris à Chamonix. Ce n’est pas, comme il le croit par « un heureux hasard ». Ils ont été les cavaliers de Mlle Perrichon au bal du VIIIe arrondissement, et ils ont l’intention de la demander en mariage. Or chacun sait, depuis Molière que « Deux époux pour [une fille], c’est trop pour la coutume ! ». Armand est banquier, il sait « rendre service » et sauve Monsieur Perrichon d’une culbute qui aurait pu l’entraîner dans un précipice. Il a les faveurs de Madame et Mademoiselle Perrichon. Mais Daniel se rend vite compte que Perrichon est un« trésor d’ingratitude ». Il saura donc lui donner le beau rôle, flatter sa vanité et devenir le favori : « Vous me devez tout, je ne l’oublierai jamais », jure Perrichon qui peut, en rentrant à Paris se vanter : « j’ai sauvé un homme ! ».
Le sort d’Henriette ne tiendra qu’à une faute d’orthographe. Car, si Perrichon n’avait pas écrit, « la Mère de Glace », au lieu de « la Mer », sur le Livre des voyageurs, si le Commandant (Thierry Hancisse), n’avait pas ironisé sur ce « dévergondage grammatical », si le prétentieux Perrichon n’avait pas traité le commandant de « paltoquet », il n’aurait jamais connu la menace d’un duel, la générosité franche d’Armand, les calculs méprisants de Daniel : « Il n’y a que les imbéciles qui ne savent supporter cette tâche écrasante qu’on appelle la reconnaissance ». Faisant amende honorable, Monsieur Perrichon retournera à Chamonix effacer l’objet du litige, et donnera sa fille à Monsieur Armand. Bon voyage, Monsieur Perrichon !
Julie Brochen a pris « le parti d’en rire » à la manière de Pierre Dac et Francis Blanche, chantant sur le boléro de Ravel. Rien n’est donc pris au sérieux, sauf le ridicule. Les entrées se font par la salle… Sur scène, des rangées de fauteuils d’orchestre recouverts de housses (scénographie de Francis Biras), pas de vue panoramique sur le Mont Blanc, mais un tapis de mousse synthétique sur lequel Mademoiselle Perrichon s’effondre d’émotion. Et chez Monsieur Perrichon, les tableaux descendent des cintres. À jardin, Vincent Delterme accompagne au piano les couplets du vaudeville sur une musique originale de Denis Chouillet. Certaines répliques aussi seront chantées, à la manière d’un film de Jacques Demy. Les costumes de Sylvestre Dequest jouent sur l’intemporel. Quant à Sylvia Bergé, elle ensorcelle le commandant aussi bien en chauffeur raisonneur, qu’en Anita enjôleuse, Jean grincheux et quelques autres…
Mais Monsieur Perrichon ne remarque rien, il fait le paon, prêt, comme M. Jourdain, le bourgeois gentilhomme, à sacrifier sa fille pour satisfaire sa gloriole. Heureusement, il écoute aux portes et entend Daniel le juger. Retournement de situation : le présomptueux Daniel perd en une minute le fruit de ses patientes et tortueuses approches.
Les comédiens sont parfaits, comme d’habitude… Les bourgeois de Labiche n'ont pas fini de nous faire rire...
Le Voyage de M. Perrichon, d'Eugène Labiche et Edouard Marin
Théâtre du Vieux-Colombier
Jusqu’au 11 janvier 2009
01 44 39 87 00
09:57 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, labiche, comédie-française | Facebook | | Imprimer
22/11/2008
Une authentique leçon d’histoire
Elle n’était pas très jolie. Le duc de Saint-Simon la comparaît à un grenadier, et la Cour se moquait de son physique et des verdeurs de son langage. Mais la princesse Palatine (Marie Grudzinski) possédait le sens de l’humour. Assez lucide pour reconnaître qu’elle était laide, le jugement sûr, la plume féroce, elle avait l’intelligence et l’esprit de répartie. Louis XIV avait aimé Henriette d’Angleterre, la première épouse de Monsieur, son frère. Il appréciait cette belle-sœur truculente. À la mort de la Reine, les relations furent moins cordiales, car la Palatine n’aimait guère la vieille guenippe » (Madame de Maintenon). Elle savait manier l’injure sous la métaphore gaillarde. Elle avait lu Montaigne et Rabelais et préférait le mot cru à un euphémisme. De son Palatinat natal elle avait gardé le goût de la Nature, et regrettait que les guerres de Louis XIV ait ruiné sa patrie.
Jean-Claude Seguin met en scène une sélection de lettres qui courent de 1671 (son mariage), à sa mort (1722). Mère attentive, épouse délaissée, la Palatine est un personnage haut en couleurs.
À travers les intrigues de la Cour qu’elle narre avec pétulance, elle brosse la peinture du siècle de Louis XIV, puis celle où son fils chéri, Philippe, devient Régent. Orgueil de la mère, déceptions de la femme, colère de la chrétienne devant le relâchement des mœurs : tout est dit avec justesse.
Marie Grudzinski donne à Elisabeth Charlotte la vigueur et le charme. Les costumes de Philippe Varache et les coiffures de Daniel Blanc reconstituent l’époque, et les lumières de Philippe Guenver, en recréent l’atmosphère.
Quand nous avons vu le spectacle, deux classes de 1e S, venues de Melun, approfondissaient leurs connaissances du Grand siècle. Cette leçon d’histoire authentique, enseignée par une méthode vivante, était un excellent choix de leurs professeurs. Le Théâtre a souvent plus de vertus pédagogiques que le cours traditionnel.
photo Alexandre Fay
Palatine d’après les Letrres de la Princesse Palatine
Du 1er octobre au 27 décembre
Théâtre de Nesle du mercredi au samedi à 19h 30
01 46 34 61 04
21:47 Écrit par Dadumas dans Histoire, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, histoire, littérature, palatine | Facebook | | Imprimer