29/10/2008
L’Ange bien-aimé
Avec ses cinquante ans d’amour et vingt mille lettres adressées à l’objet de tous ses vœux, Juliette Drouet est un personnage qui inspire aujourd’hui les dramaturges. La saison passée, Danièle Gasiglia donnait un astucieux Moi, j’avais son amour joliment inspiré.
Depuis le 22 octobre, Anthéa Sogno propose Victor Hugo mon amour « d’après la correspondance de Juliette Drouet et de Victor Hugo ». Elle a choisi le rôle de Juliette qu’elle admire et qu’elle aime. Elle montre combien elle a été admirable d’amour, d’abnégation, de sollicitude envers son « grand petit homme », qui l’a trompée.
Mais pourquoi noircir Hugo ? Pour mieux béatifier Juliette ? Déjà, Sacha Petronijevic ne ressemble pas du tout à notre poète, de plus, elle le présente froid, empoté, distant et lâche. On n’y croit guère. Car, si Toto s’est bien gardé de se vanter de ses conquêtes féminines, - quel homme avouerait ses infidélités à la femme qui l'aime ? - il ne lui est en rien indifférent qu’elle l’apprenne. Lorsque Léonie envoie ce paquet de lettres d’amour que Victor lui a écrite, Juliette est seule, et, désespérée, elle erre dans Paris, songeant au suicide. Victor bouleversé, repentant, demande pardon à son « ange bien-aimé ».
Rien de semblable sur la scène de la Comédie Bastille où le comédien, joue l’homme pincé, bien ennuyé de s’être fait prendre et il ne paraît guère ému des larmes de sa partenaire. Outre le texte qui manque pour donner chair au personnage, la mise en scène de Jacques Décombe, ne sert ni les comédiens, ni les propos.
Sinon, comment expliquer, quelques séquences plus tard, le revirement d’Adèle Hugo, qui, jusqu’en janvier 1852, haïssait Juliette ? Il aurait fallu prendre dans la correspondance de Victor à Adèle deux extraits essentiels. Hugo après le coup d'état du 2 décembre est à Bruxelles. Il commence un exil de vingt ans. Pour Léonie, « Mme B. », il demande à Adèle d'empêcher qu’elle vienne le rejoindre. L’autre lettre concerne Juliette : « La personne dont (Abel) parle (…) m’a sauvé la vie, vous saurez tout cela plus tard, sans elle j’étais pris et perdu au plus fort des journées. C’est un dévouement absolu, complet, de vingt ans, qui ne s’est jamais démenti. »
Pour l’amour de Juliette, Anthéa Sogno aurait dû oublier Feydeau et Guitry, qu’elle affectionne, et lire (ou relire) les ouvrages que Gérard Pouchain a consacrés à la belle « dépaysée », l’inoubliable Juliette pour qui tous les romantiques se sentent l’âme de Roméo.
« Victor Hugo, mon amour » ou « Aimer c’est plus que vivre »
d’après la correspondance de Juliette Drouet et de Victor Hugo
un spectacle d’Anthéa Sogno
Comédie Bastille
0148 07 52 07
Du mercredi au samedi à 19 h 30
Dimanche à 17 h 30
17:09 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, théâtre, hugo | Facebook | | Imprimer
17/10/2008
Comment peut-on être togolais ?
Quand le narrateur débarque à Alep pour entreprendre des recherches linguistiques chacun s’étonne de son intérêt pour une langue en voie de disparition. Comment un Togolais raisonnable peut-il travailler dans un but non lucratif, « sans goût sucré de la fortune » ? Et surtout, comment peut-on être Togolais ?
Dès l’aéroport, les douaniers l’interrogent, le suspectent, ce qui nous vaut dans ce « trifouillage d’identité », une peinture des mœurs digne des Lettres persanes. La société patriarcale d’Afrique, doublée de celle du Moyen-Orient, ne va pas simplifier les rapports.
Entre l’oncle (François Clavier) qui n’a qu’un seul souci : marier rapidement sa fille qui « lui pourrit la vie », la cousine (Valérie de Dietrich) humiliée de devoir jouer « Fanny » (sans Pagnol), des Syriens « affamés », des marchands du temple et des affairistes de toutes races (Christophe Vandevelde), le gentil émigré (Guillaume Gilliet) est vite un jouet entre toutes ces mains.
Balazs Gera met en scène ce conte initiatique avec une grande habileté. La scénographie de Giulio Lichtner modifie continuellement l’espace à l’aide de cloisons mobiles noires que les protagonistes déplacent eux-mêmes. Les lieux changent, les personnages passent, les pistes succèdent aux ruelles, le voyage incessant déroule ses aventures.
On rit franchement, puis le rire se teinte de gris, devient noir et, devant le tragique sort de la femme, naissent la tristesse et le malaise, « en barbelés dans la gorge ». Nous sentirions-nous un peu coupables ?
Gustave Akakpo est un auteur togolais. Il fait honneur à la langue française. Il enrichit le théâtre contemporain. Il a le sens de la comédie, la justesse des métaphores, des formules frappantes. Il peint les mœurs des sociétés patriarcales, leur hypocrisie, leur injustice. Il le fait avec humour et tendresse. C’est un grand auteur. Et les classes de 3e, de 2e et de 1e qui sortaient d’une représentation de À petites pierres évoquaient Molière. Forcément, leurs professeurs les avaient aussi emmenés voir Tartuffe.
Si, si, ça existe encore ! Tout ne se passe pas forcément comme dans Entre les murs. Certains lycées sortent pour se cultiver intelligemment. Ils avaient lu À petites pierres, et même quelques-uns avaient joué la pièce. Ils savaient que l’auteur avait prévu deux dénouements, l’un comique, l’autre tragique.
Thomas Matalou, le metteur en scène a choisi la fin positive. La jeune fille qui a « fauté » ne sera pas lapidée. Mais quelle leçon pour tous ! Pour les machos qui ne pensent qu’à leur « margouillat », les pères vantards (Christophe Garcia et Franck Micque), les fils lâches, les femmes naïves.
Heureusement, les femmes sont solidaires et les jeunes un peu moins bornés que le « conseil des sages ». Ce ne sera plus la tradition imbécile qui fera loi, car « voici que nos enfants se lèvent pour défier nos âges ».
La scénographie de Thibaut Fack, dessine l’espace scénique comme une arène.
Dans ce cercle de craie africain, la jeune fille (Carolen Stella), se tient debout, face au public, à ses accusateurs, tout de blanc vêtue. Le jeune homme (Paul Tilmont) qui convoite sa fleur, entre dans le cercle coupé à mi-hauteur par le fil sur lequel sèche la lessive du jour. La corde se rompra à la défloration. Au sommet du cercle, deux panneaux translucides indiquent la maison, les murs s’écrouleront au moment du jugement. Au-delà du cercle, de chaque côté, deux bancs, où chacun des protagonistes va s’asseoir quand il ne joue pas. Seule la sœur protectrice (Mariana Lézin) s’assied à part, sur un escabeau d’où « elle veille sur sa sœur. Et quand enfin le Père (Christophe Garcia) abandonne toute poursuite, que le fiancé (Ludovic Carmaus) pardonne, que le jeune homme trouve sa promise, alors, le fond du théâtre s’ouvre sur le parc, ses allées et ses arbres où danse un soleil automnal.
C’est comme à Bussang, au Théâtre du Peuple. Car ici, voyez-vous, à la Villette, le peuple aussi vient au théâtre et la salle s'ouvre au monde…
S’il y a un auteur contemporain à découvrir en ce moment à Paris, c’est Gustave Akakpo. Et si vous n’avez pas le temps (ni les moyens) de vous rendre à La Villette, commandez ses pièces chez votre libraire. Elles sont éditées chez Lansman.
Habbat Alep
À petites pierres
Deux pièces de Gustave Akakpo
Photos : Eric Legrand
Au Tarmac de La Villette
Jusqu’au 1er novembre
01 40 03 93 95
attention aux horaires (14h 30, 20 h ou 22 h le vendredi,ou 16 h le samedi)
15:46 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, tarmac, akakpoc | Facebook | | Imprimer
13/10/2008
Peindre… l’amour
Pas banale l’histoire d’amour d’Eugène Delacroix avec une jeune femme, que dans son journal il désigne par la lettre J* et sur l’identité de laquelle, tous les commentateurs se sont trompés !
Florence Camoin, qui avait déjà fait son miel des écrits de Vauban (Vauban, la tour défend le roi), a trouvé avec les cinquante-deux lettres de Joséphine de Forget, découvertes aux archives du Val de Marne, de quoi réparer l’injustice de l’Histoire.
L’amour qui unit le peintre à Joséphine, une cousine éloignée, nous est conté sous une forme théâtrale.
Un jeune peintre (Benjamin Lefebvre) venu se recueillir sur la tombe de son maître Eugène Delacroix, y voit une dame (Anne Strelva) déposer un magnifique bouquet. Il la suit, presse ses confidences. Elle dévoile tout : sa jeunesse malheureuse, son mariage de raison, la rencontre avec Eugène, leurs amours… Entre les scrupules de la dame à afficher sa liaison et les réticences de l’artiste romantique à paraître s’attacher à une seule femme, c’est encore et toujours l’opinion publique qui fait loi !
René Camoin est Delacroix, fantôme errant sur la scène, qui surgit quand le récit l’évoque. Jamais ils ne se touchent, jamais ils ne s’enlacent, mais la force de l’amour les aimante.
La musique de Chopin ponctue les scènes. Les costumes de Dragos Moldoveanu semblent sortis de L’Illustration de cette fin du XIXe siècle. C’est un très joli moment où il est permis de rêver à la pérennité de l’Amour.
Théâtre de Saint-Maur jusqu'au 12 octobre
en tournée ensuite,
Pièce créée en juillet 2008 au Festival off d'Avignon
13:16 Écrit par Dadumas dans Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, théâtre | Facebook | | Imprimer