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07/11/2008

La nuit du coup de couteau

 

 

Ils portent la même veste noire, coupe sobre, tissu sec, facture bon marché. Ils sont de la même famille sociale. Milieu modeste dont on s’élève par les cours du soir, et  le travail. Tous ? Sauf une, Hélène, la narratrice (Laure Wolf), velours noir et revers de satin, la belle tentatrice, venue s’encanailler au Tropical Bar, un soir, le soir du crime…

Et aujourd’hui, ils sont là, réunis pour le procès. Le présumé coupable, Alex (Raphaël Leguillon), répète : « Ce n’est pas mon histoire ». Rebelle à toute discipline, il a déjà été placé en foyer. Ce soir-là, il a abusé du rhum et du shit, tous les témoins le disent. C’est un mauvais garçon, il attire les regards, enveniment les querelles. Le Père (Jean-Jacques Simonian) et la Mère (Virginie Volmann), s’interrogent, maladroits, dépassés, mais solidaires de leurs enfants, accompagnés de Frédéric, son frère (Anthony Breurec), l’un à côté de l’autre, côté jardin.

Côté cour, Germain, le frère de la victime (Arnaud Stéphan) : il est seul, il dit la dévastation de sa famille, sa souffrance, son chagrin. Il demande justice.

Entre les deux, au proscenium, une jeune femme, Cécile, (Flora Brunier), bénévole à la prison, elle y enseigne. Elle a été « émue » par Alex, enfermé dans ses refus, sa révolte suicidaire. 

Maintenant, elle l’aime, et se demande s’il est « récupérable ». Elle sait que « ce n’est pas à la prison qu’on soigne », mais elle voudrait savoir s’il est « foutu », ou s’il n’est qu’un « accidenté ». Pourquoi, comment, a-t-il « franchi la ligne » ?

Nadia Xerri-L. l’auteur, a été bouleversée par un fait divers, et par l’attitude de l’accusé pendant les audiences : un assassin, sans doute, mais pas un Zucco. Alex ne reconnaît pas son crime, il n’avouera jamais. L’arme du crime n’a pas été retrouvée. Le doute s’installe. Pourtant, la nuit où Remi a été saigné à mort, il était le seul à en avoir un. Qui a frappé Rémi, la nuit du coup de couteau ? Quel rôle a joué Hélène, l’allumeuse, dans ce milieu qui n’était pas le sien ?

La mise en scène de l’auteur recrée une cour d’assises, avec un espace décliné en niveaux différents. L’accusé est debout sur la plus haute estrade, on n’ose pas dire l’échafaud, d’où partent deux « promenoirs » qui vont s’éclairer de rouge. De cette plate-forme, descendent symétriquement deux escaliers qui mènent au niveau des témoins, assis sur une banquette qui referme le tribunal d’une longue ligne sombre. Tout est noir. Seuls, les « promenoirs » vont s’éclairer du rouge des Assises. Quant aux  personnages, le rare blanc qui éclaire leur costume vient du T-shirt ou de la chemise. Hélène porte un haut de satin rose provocateur.

Rien de réaliste dans ce tribunal, et pourtant, tout est conforme à l’angoisse qui en sourd. Pas de réalisme temporel non plus. Tout ce qui se dit ici est comprimé dans les trois minutes qui précèdent l’entrée de la Cour.

Chacun revit la soirée tragique, commencée dans l’allégresse d’un anniversaire, dans la joie du karaoké, des chansons d’Étienne Daho, de Dalida et de Johnny. Les acteurs habitent avec passion et rigueur un texte impressionnant.

Couteau de nuit parle avec talent de notre société de ses errances, de ses victimes, de ses désarrois. Ne manquez pas les représentations.

 

 

 

 

Couteau de nuit  de Nadia Xerri-L

Jusqu’au 22 novembre

au Théâtre de la Ville/théâtre des Abbesses

01 48 87 54 42

ensuite en tournée :

1er-5 décembre au Théâtre universitaire de Nantes

11, 18 décembre à Montluçon

1301/09 à Châtenay-Malabry

29-31 janvier à Aix-en-Provence

4-6 février Évry

10-12 février Brétigny

17-21 mars Comédie de Saint-Étienne

25-27 mars le Volcan au Havre

17:59 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, justice, xerri-l |  Facebook | |  Imprimer

05/11/2008

Le retour de Koltès

 Le théâtre de Koltès est devenu international. Le Retour au désert, récemment entré au répertoire de la Comédie-Française*, nous revient aujourd’hui du Brésil. Catherine Marnas, l’a mis en scène à São Paolo en juillet dernier. La troupe est entièrement bilingue, chaque comédien brésilien ayant son double qui parle portugais.

C'est superbement cruel...

Mathilde, vêtue de rouge débarque, suivie de son double, même robe mais en gris sombre. « Maudite Mathilde » disait la chanson de Brel qui sonne ici comme un hymne. Mathilde ressemble  à  la maison familiale où elle retrouve Adrien son frère. La maison Serpenoise est un bloc couleur de muraille à l’extérieur, rouge sang à l’intérieur (scénographie de Carlos Calvo). Elle se fracture pour ouvrir sur la chambre de Mathilde, elle ouvre des couloirs pour isoler les êtres, elle se clôt sur des complots racistes, elle s’hérisse en forteresse pour abriter les secrets honteux. Les inimitiés familiales s’y sont mijotées pendant plus de vingt ans, attisées par l’hypocrisie d’une société provinciale où chacun guette les tares des autres, et où les conflits coloniaux rouvrent les cicatrices mal fermées de l’épuration. Entre le frère et la sœur, c’est la guerre…

La haine guide les personnages. Le théâtre de Koltès est frère du théâtre « désagréable » de Nelson Rodrigès. C’est à cette parenté qu’on reconnaît les auteurs universels.

Sous la direction de Catherine Marnas,  une formidable troupe, (André Auke, Eliete Cigarini, Julien Duval, Aline Filocom, Franck manzoni, Gisella Millas, Maud Narboni, Olivier Pauls, Rita  Pisano, Ricardo Romao, Davi Rosa, Bébédicte Simon, Gustavo Trestini) investit l’espace comme un champ de bataille. Pas de quartiers, chacun y laissera ou sa vie, ou son âme. Et le spectateur n’en sort pas indemne…

Courez-y, ils ne sont là que jusqu'à samedi...

 

 

 *Voir notre note de février 2007.

 

 

Théâtre de la Ville

Du 4 au 8 novembre

01.42 74 22 77

17:30 Écrit par Dadumas dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, koltès, mornas, brésil |  Facebook | |  Imprimer

31/10/2008

Belle sans ornement

 

C'est au château de Plessis-les Tours, où il était en résidence d'écriture, que Jean-Paul Wenzel a écrit une pièce qui lézarde son écriture habituelle. Abandonnant la veine réaliste, la Jeune Fille de Cranach nous conduit dans un univers étrange où se mêlent, conte fantastique, épopée symboliste, poème du quotidien.

Nouria (Lou Wenzel) qui se baignait nue dans un étang est surprise par un orage brutal. Elle se réfugie dans un château en ruines. La seule pièce où il ne pleut pas est tapissée de livres et occupée par un vieil homme (Claude Duneton), endormi dans un fauteuil à oreillettes, et qui semble l’attendre. Elle n’aimait pas lire, seulement rêver. Il va lui offrir des rêves troublants, car pour l’habiller, il ouvre une malle, d’où, l’une après l’autre, des robes éblouissantes vont la guider vers les œuvres picturales de Cranach*.

Cissou Winling, et Catherine Sardi reconstituent les vêtements raffinés des princesses de Saxe ou des saintes des retables et Lou Wenzel, belle sans ornement, sait être tour à tour une Vénus pudique et une effrontée. Elle retrouve aussi la robe rouge de Judith, l’héroïne mystique qu’elle a déjà brillamment interprétée. Elle est superbe, tissant les liens entre réalité et imaginaire.file000.jpg

Les références pleuvent : Maeterlinck, Giraudoux, et Gautier. Cependant le vieillard n’a rien à venger, la jeune fille n’est pas trahie, elle trouve au contraire l’âme sœur avec Michel (Gabriel Dufay), un jeune homme de son âge et les personnages des peintures de Cranach ne participent pas à des jeux érotiques ou funèbres, mais décillent les yeux des ignorants.

En réalité, dans cette rencontre entre un vieil érudit et une sauvageonne à apprivoiser, c’est toute l’histoire du jeune Wenzel qui transparaît. Promis à un « avenir tout tracé de tourneur-fraiseur », alors qu’il hésite «entre délinquance active et poésie approximative », il a seize ans quand il rencontre Claude Duneton qui lui fait découvrir l’art et la littérature. « Une belle histoire de passation » dit-il puisque sa fille, Lou, est maitenant comédienne et que Gabriel Dufay, a été son élève. Il les met tous en scène aujourd’hui.

Cueco, qui signe la scénographie, fait aussi partie de la fidélité du jeune homme à ceux qui l’ont ouvert au monde de la pensée. Claude Duneton joue merveilleusement le vieillard fragile, et Gabriel Dufay donne un jeune premier fier et sensuel.fille 2.jpg

La musique de Berry Hayward interprétée par des violes de gambe, trombone, orgue, flûte, est soutenue par une voix de femme. Sur les murs la video de Sarah-Jacquemont-Flumant et Laurent Ferrat, ponctue les séquences en masquant les livres. Dans l’eau profonde et sombre d’un étang semé de nénuphars, le paysage vacille, comme le spectateur.

C’est un spectacle envoûtant auréolé de mystère et marqué du signe de la tendresse.

 

 

 

La jeune fille de Cranach de Jean-Paul Wenzel

Mise en scène de l’auteur

à la Maison des Métallos

94 rue Jean-Pierre Timbaud 75011 Paris

www.maisondesmetallos.org - info@maisondesmetallos.org

01 48 05 88 27

du 21 octobre au 1er novembre

et du 9 au 20 décembre 2008 à 20h30

relâche les dimanches et le samedi 13 décembre

représentations supplémentaires à 16h les samedis

1er novembre et 20 décembre

 

Rencontre avec l’équipe artistique

les jeudis 23 octobre et 18 décembre

après la représentation

* Lucas Cranach est une peintre de la Renaissance (1472-1553)

La Jeune Fille de Cranach est édité par les Éditions Les Solitaires intempestifs