20/06/2017
Le cœur de Simon
Tous les amateurs de théâtre, tous les « fous de Tchekhov » connaissent ces répliques de Platonov:
Voïnitzev : « Qu’allons nous faire Nicolaï ? »
Triletzski : « Enterrer les morts et réparer les vivants. »
Yasmina Reza, dans Conversations après un enterrement, restaurait matériellement ceux qui restaient. Maylis de Kerangal par son roman Réparer les vivants ouvrait une dimension philosophique, psychologique et sociologique jamais encore abordée, sauf, peut-être, esquissée, au cinéma par Pedro Almodovar et Denys Arcand.
Sylvain Maurice adapte ce roman pour la scène, et choisit un seul comédien, Vincent Dissez, pour raconter l’histoire du « cœur de Simon Limbres », un jeune homme de 19 ans, en état de « mort cérébrale ». Le narrateur est au centre de la scène, et, sur un tapis roulant, toujours en mouvement, marque l’inexorable avancée du temps, la lutte contre la montre.
La journée fatale commence à 5 heures 50, au réveil de Simon, et s’achève le lendemain matin, à 5 h 49 quand le cœur de Simon reprend ses battements dans le corps de Claire. Entre temps, le Docteur Révol, né en 1959, « l’année où on a redéfini la mort », aura constaté « les lésions irréversibles », et en aura informé Marianne et Sean, les parents dévastés. Thomas Rémige, l’infirmier coordinateur, ornithologue passionné, aura convaincu les parents d’autoriser la migration des organes. Marthe, la doctoresse de Saint-Denis aura mis les équipes médicales en relation, pour qu’enfin, à l’aube du deuxième jour, Virgilio, guidé par le professeur Harfang, assisté de la jeune interne Alice, réussissent la greffe qui va permettre à Claire de reprendre une vie normale.
Un musicien, Joachim Latarjet, l’accompagne liant les passages, soulignant les tempos, diversifiant les rythmes, les émotions, les voix.
Et c’est sublime…
Nous avions bien sûr, lu le roman. Mais, captivé par l’action, subjugué par l’émotion, en avions-nous goûté toute la beauté de l’écriture ? La langue est précise, la métaphore subtile, la description explicite. Jamais le mot « dépouille » n’avait résonné ainsi…
Le récit devient fleuve impétueux, vibrant, et donne à tous l’espoir de l’immortalité.
Photo © E. Carecchio
Réparer les vivants d’après le roman de Maylis de Kerangal
Version scénique et mise en scène de Sylvain Maurice
Jusqu’au 24 juin
Théâtre de la Ville au théâtre des Abbesses
01 42 74 22 77
12:24 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Film, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de la villeabbesses, littérature, maylis de kerangal, sylvain maurice | Facebook | | Imprimer
12/06/2017
Le pouvoir des fleurs
Dans les années 1960 à 1970, des jeunes gens non violents, voulant dénoncer la guerre du Vietnam, opposèrent des fleurs aux fusils du maintien de l’ordre. On appela ce mouvement Flower Power. Ils n’avaient rien inventé, car, depuis toujours, les fleurs ont montré leurs pouvoirs et c’est elles qui ont inspiré, cette année, le « Festival international des jardins de Chaumont. »
Comment rendre compte de cette trentaine de jardins installés autour du Château qui abrita, entre autres, Diane de Poitiers, et qui, aujourd’hui, chaque année fait de ses jardins des broderies internationales où les créateurs paysagistes inventent des merveilles ?
Certains (Belgique, France, Chine) ont choisi de jouer avec les mots et la couleur, À la recherche du lupin blanc remplace le lapin initiateur d’Alice aux pays des merveilles par des fleurs blanches. D’autres ont préféré le rouge du Pouvoir des sorcières (Corée), le bleu de Au pied du mur (France), ou la palette des grands peintres dans Inspiration (France).
Tous montrent que les fleurs, ces êtres vivants si fragiles, connaissent la résilience, et que sur des lieux saccagés, elles reprendront le pouvoir.
Les paysagistes font merveille et magnifient les plantes, l'air, et l'eau.
Les insectes se goinfrent de pollen, et les humains se grisent de parfums. La Nature leur rappelle qu'elle ne s'oppose pas à la Culture, au contraire. Son alliance bien conçue l'enrichit et la renouvelle. Le fleurissement des vivaces donne sa Beauté à la Terre. L'impéritie des hommes la met en danger.
Allez contempler ce désordre harmonieusement installé, ces volumes souples, cette mer de couleurs, ce fleuve magique de vie éternellement recommencée.
N'allez pas trop vite, prenez la journée entière. Des espaces de repos y sont aménagés. Vous y pourrez rêver d'un monde meilleur...
Festival des jardins
Domaine de Chaumont-sur-Loire
www.domaine-chaumont.fr
02 54 20 99 22
Du 20 avril au 5 novembre
13:54 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, exposition, Loisirs, Nature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nature, culture, jardins, chaumont-sur-loire, le pouvoir des fleurs | Facebook | | Imprimer
22/05/2017
La chambre miraculeuse
Dans son rêve de théâtre universel, Ariane Mnouchkine a toujours aimé mêler l’actualité aux œuvres du patrimoine occidental et aux traditions de l’Asie. En créant les très grecques Atrides (1990), elle nous avait initiés au kathakali. Plus tard, les danses tibétaines s’entrelaçaient aux scènes de commedia dell’arte dans Et soudain des nuits d’éveil (1997). Depuis le début de la saison le Théâtre du Soleil joue à guichets fermés (ou presque) une Chambre en Inde qui, comme une nouvelle Indiade théâtrale brasse tous les thèmes qui nous sont sensibles et dont elle sait si bien parler.
« Nous sommes en Inde », donc.
Et dans une chambre où une jeune femme, Cornélia (Hélène Cinque) dort. Pas pour longtemps, car la sonnerie insistante d’un téléphone va la sortir de son sommeil. C’est le maître, le directeur de la troupe de théâtre un certain M. Lear. Il renonce à sa mission sous prétexte qu’il a rêvé qu’il était « une petite vache blanche », qu’il a « perdu (ses) pouvoirs magiques », et de ce fait, il lui demande de prendre « les clés du bateau ».
Tâche démesurée pour celle qui n’était qu’assistante. Elle voudrait bien avoir une liste d’auteurs, mais les machines électroniques, sournoises, ne crachent que des bribes. Elle aimerait qu’on la soutienne, mais les comédiens (Martial Jacques, Samir Abdull Jabbar Saed, Maurice Durozier, Sébastien Brottet-Michel, Judit Jancsé, Sylvain Jailloux, Eve Doc Bruce) et particulièrement Cassandre (Shaghayegh Beheshti), qu’elle croyait son amie, jugent sa promotion imméritée, car « elle n’a jamais été capable de produire un seul geste artistique. » Et pourtant, la troupe doit produire un spectacle !
Et voici que survient la police (Omid Rawendah, Shafiq Kohi), Monsieur Lear a été retrouvé "totalement nu" sur le dos de la statue sacrée du Mahatma Gandhi ! Il a déchiré son passeport, et prétend être japonais… Tel le vieil Hidetora du Ran de Kurosawa, il vient confirmer ces accusations. Nicolas Carré, le représentant de l’Alliance française (Sylvain Jailloux) est menacé de mutation par l’inspecteur Dallègre (Duccio Bellugi-Vanuccini), et toute la maisonnée (Nirupama Nityanandan, Augustin Letelier, Taher Baig, Wazhama Tota Khil,Vijayan Panikkaveettil, Farid Gul Ahmad, Andrea Marchant, Aref Bahunar), réveillée par ces arrivées intempestives, ajoute du chaos au désordre. Cornélia ne retrouvera plus un sommeil paisible.
Les singes du Mahabharata font irruption, les personnages du Terrukuttu s’installent, se sauvent, reviennent. Cornélia tente de s’en inspirer tandis que le peuple de la petite ville intervient, que les comédiens cherchent leur personnage et que les fanatiques religieux de tous bords essaient de prendre le pouvoir. Hommes de main, talibans, maharajah, mafieux, « tous les démons de la création » semblent s’être donné rendez-vous dans cette nuit infernale semblable à celle de Walpurgis.
Cependant, les maîtres veillent. Shakespeare (Maurice Durozier) avec son page (Dominique Jambert), renonce aux errances et à la tragédie du Roi Lear, et à celle de Macbeth. Il conseille la comédie : « se moquer des méchants » ! D’ailleurs, dit-il « Molière savait faire ça ». Ce sera aussi l’opinion de Tchekhov, venu avec Irina, Macha, Olga, les trois sœurs, mettre un peu d’ordre dans la chambre, entre deux scènes du Mahabharata.
Ariane Mnouchkine joue avec les codes du conte fantastique, du cinéma et du théâtre. Elle dit l’hostilité des tutelles, l’angoisse des créateurs, la dépréciation des valeurs qui donnaient aux hommes un sens à leur vie. Elle dénonce les faux prophètes, les vrais méchants, et ne renonce jamais à l’espoir.
Car « il ne faut pas que ça finisse » par la soumission et la mort.
Les masques colorés, les coffres sculptés, les étoffes flamboyantes, les grelots, les danses et les chœurs servent des mythes universels, et parmi ces Indiens, princes et peuple, ces occidentaux qui doutent, s’avance celui qui apporte les paroles de fraternité, un petit homme brun, timide et étonné de revenir parmi les siens : Charlot, sorti du Dictateur pour unir tous les hommes…
Ils sont plus de trente sur scène à harmoniser les cultures dans cette grande fresque. Un miracle dont le Théâtre du Soleil est le démiurge.
Une chambre en Inde
Une création collective du Théâtre du Soleil
Dirigé par Ariane Mnouchkine
Avec la musique de Jean-Jacques Lemêtre
En harmonie avec Hélène Cixous
À la Cartoucherie de Vincennes
01 43 74 24 08
Printemps des comédiens à Montpellier
http://www.printempsdescomediens.com
30, 31 mai, et du 3 au 10 juin
17:35 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, danse, éducation, Histoire, langue, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre du soleil, ariane mnouchkine, mahabharata, terukkuttu, lear | Facebook | | Imprimer