26/11/2014
Deux enfants très aimables
On connaît peu le théâtre médiéval. Il fut longtemps au Purgatoire. Les auteurs se soumettaient sans regimber à la rigueur classique des trois unités, car le mélange des genres était passible d’un anathème épouvantable ! Grâce à l’obstination des chercheurs, et à la détermination de rares metteurs en scène, il va cette saison, renaître au Théâtre du Poche-Montparnasse.
Stéphanie Tesson se passionne depuis toujours pour ces formes méconnues, qui, du Xe au XVe siècle ont inventé notre théâtre et brassent prodigieusement la comédie, la moralité, les récits, les chants, la tragédie, la farce, la poésie, la philosophie, la musique, le sacré et le profane, afin de divertir et enseigner les hommes.
C’est avec Aucassin et Nicolette que débute le cycle médiéval au Théâtre du Poche-Montparnasse. La « Chantefable » anonyme du XIIIe siècle, « écrite dans des temps anciens », a été retraduite par Stéphanie Tesson en heptasyllabes et octosyllabes chantants et délicats. Elle la met en scène avec deux excellents comédiens, Stéphanie Gagneux et Brock, dans la tradition des tréteaux : pas de décor, peu d’accessoires et une fluidité joyeuse. Ils jouent tous les rôles (Brock fait aussi les lumières et le bruitage) dans les aventures de « deux enfants très aimables », deux enfants qui s’aiment et que la société sépare, car Aucassin est le fils du Comte de Beaucaire, et Nicolette une étrangère, captive achetée aux Sarrazins.
On entend les tambourins avant de les voir. Deux gonfanons encadrent l’espace scénique. Ils sont d’or à rebec couplé en abîme avec flûtes.
Ils arrivent les troubadours !
Souriants, affables, ils commencent le récit, ils le scandent, ils le jouent. Brock devient le Comte Garin de Beaucaire, vieux et méchant, puis son ennemi le comte Bongard de Valence vindicatif et le père adoptif de Nicolette, un vassal obséquieux. Il sera aussi un berger jovial et madré et d'autres encore. Stéphanie Gagneux en habit bicolore asymétrique, imité des miniatures médiévales sera Aucassin côté gauche et Nicolette côté droit. (Scénographie et costumes : Sabine Schlemmmer).
Séparé de Nicolette enfermée dans une haute tour, Aucassin pleure. Il refuse de « prendre les armes » pour défendre ses terres, plus rien n’a d’intérêt pour lui, même pas la promesse du Paradis après sa mort. Il préfère l’enfer « où vont les belles dames, les jongleurs et les rois du siècle ».
Ah ! si son père s’engageait à lui donner Nicolette…
Marché conclu ! Il s’élance, gagne le combat, ramène le conte Bongard de Valence prisonnier… Mais le père ne tient pas sa parole ! Et voilà Aucassin emprisonné.
Je ne vous dirai pas qu’ils se retrouveront, vous l’avez deviné. Je vous parlerai seulement des bergers et de leurs moutons bêlant, des clochettes des troupeaux, des trilles du rossignol et du hululement de la chouette, du ressac qui se fracasse contre la nef qui les emporte, des mouettes qui crient, des chevaux qui caracolent. Et de leur amour, inébranlable.
Nicolette « au clair visage » est naturellement « de haut lignage », fidèle à son Aucassin, rebelle aux ordres du roi païen son père. Elle mène l’action dans un monde féodal où suzerain et vassaux se disputent, et où la femme doit seulement obéir.
Une bien belle lutte, toujours recommencée et ici, récompensée, car « ils vécurent longtemps entre plaisir et délices ».
Et c’est ainsi que le public « si déprimé » en entrant, « retrouve l’espoir, la santé et la gaieté. »
Ainsi soit le théâtre médiéval qui opère miracle !
Photo © Alejandro Guerrero.
Aucassin et Nicolette, chantefable anonyme du XIIIe siècle
Traduction et mise en scène : Stéphanie TESSON
Théâtre de Poche-Montparnasse
Depuis le 12 novembre et jusqu’au 4 janvier 2015
du mardi au samedi à 19h,
dimanche 17h30
Relâches : les 20, 24 Décembre et 1er Janvier
Plein tarif 24€ / Tarif réduit 18€ / Tarif jeunes -26 ans 10€
01 45 44 50 21
www.theatredepoche-montparnasse.com
23:13 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Littérature, Livre, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre du poche-montparnasse, littérature, stéphanie tesson, brock, stéphanie gagneux | Facebook | | Imprimer
09/09/2014
Apprendre la vie
Elena Sergueievna n’en revient pas. « Au nom de la terminale B », quatre de ses élèves, Lialia (Jeanne Ruff), Pacha (Gauthier Battoue), Vitia (Julien Crampon), Volodia (François Deblock), viennent sonner à sa porte, pour lui souhaiter son anniversaire ! Ils apportent bouquet, cadeau et champagne. Comment ne pas être touchée par tant d’attentions ?
Elle vivait avec sa vieille mère maintenant à l’hôpital, elle est donc solitaire, sans joie, et leur gentillesse la bouleverse. Elle les fait entrer. Ils trinquent ensemble. Mais leurs prévenances durent peu. En réalité, ils ont appris qu’elle détenait la clé du coffre qui enferme leurs copies d’examen. Ils ont besoin de bonnes notes en maths pour continuer leurs études, et entrer dans les carrières qu’ils ont choisies. Ils se sont procuré le corrigé. Et ils sont sûrs de la réussite de leur stratégie.
Ils semblaient respectueux, prévenants, reconnaissants, ils n’étaient rien de moins que des pervers roublards, cyniques, cruels. Elena découvre des arrivistes prétentieux, des « esprits fascistes » prêts tout pour réussir. Elle veut les chasser, ils s’incrustent. Elle refuse de donner la clé, il la fouille, et ne la trouvant pas sur elle, retourne tout l’appartement. Ils se moquent de son idéalisme, de son « complexe d’Antigone ». Car elle est celle qui dit « non ».
Au bout d’une nuit de cauchemar où rien ne lui sera épargné, elle n’a toujours pas cédé. Pourtant, elle a décidé de renoncer à l’enseignement, consciente d’avoir échoué dans sa mission, ayant perdu toute illusion sur la bonté du genre humain. « Petit morveux, vous voulez m’apprendre la vie ? », lance-t-elle à celui qui manipule le groupe. Car dans cet affrontement, les failles sont apparues. Et malgré leurs bassesses, Vitia et Lialia sont plus pitoyables que méchants, Volodia plus poseur qu’indigne. Ils croient tout savoir de la vie, Elena a encore bien des choses à leur apprendre.
Dans Chère Elena, Ludmilla Razoumovskaïa peignait, en 1981, une société soviétique en pleine déréliction, quand elle fut créée en France, en 2002, à Aubervilliers, elle parut prémonitoire, car déjà, le mal, dans les banlieues avait atteint notre jeunesse, et des enseignants désemparés renonçaient à leur rôle. Aujourd’hui la gangrène a gagné.
Didier Long règle ce drame avec minutie, dans la scénographie qu’il signe avec Jean-Michel Adam. Il en montre toutes les nuances et les coups de théâtre. Les quatre jeunes bien propres dans leur uniforme vont peu à peu se chiffonner, se salir, les sourires s’effacer, la violence apparaître, les apartés briser les âmes, et Myriam Boyer les affronte, souveraine désespérée mais inébranlable…
Il reste encore une traîtrise à lui jouer. Mais finalement, qui sera vaincu ?
Je vous laisse le découvrir.
Depuis le 2 septembre
Théâtre de Poche-Montparnasse
Chère Elena de Ludmilla Razoumovskaïa
Traduction de Joëlle et Marc Blondel
Du mardi au samedi, 21 h
Dimanche à 15 h
Et si vous ne pouvez pas venir à Paris voir Chère Elena, vous pouvez lire le texte, il est édité à L’Avant-Scène Théâtre, collection des Quatre-Vents.
17:39 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre de poche-montparnasse, ludmilla razoumovskaïa, didier long | Facebook | | Imprimer
26/05/2014
Molière, toujours…
La conférencière (Françoise Thyrion) connaît tout de Molière. Non contente de dialoguer avec lui depuis ses années d’études, la voilà qui déraille et qui s’identifie à lui ! Ce n’est plus « Molière, sa vie, son œuvre » mais Molière par elle-même. « Simple question de réincarnation » ? Ou passion ?
En une heure Françoise Thyrion, de rouge vêtue (caraco, gilet, jupe et culotte) nous invite à un itinéraire « Jean-Baptiste » plaisant et instructif. Il ne manque ni les origines de Jean-Baptiste Poquelin, ni ses amours, ni ses désillusions, ni ses œuvres, ni les œuvres de ses commentateurs. Et si elle refuse de raconter sa mort, c’est qu’il est toujours vivant.
Ce devait être un monologue, mais le personnage qu’elle joue est double. Molière la poursuit, la bouscule, la contredit.
C’est incroyable ce qu’on peut faire de chemin avec un sac, c’est fou ce qu’on peut raconter avec une valise, une table et une chaise. C’est merveilleux d’être ainsi « habitée ! »
Elle/Il ne joue que le mardi, allez la/le retrouver ! Et emmenez-y les candidats au bac, la représentation leur est indispensable !
Molière par elle-mêmede Françoise Thyrion
Mise en scène de Michel Valmer
Théâtre de Poche-Montparnasse
Les mardis 27 mai, 3, 10, 17, et 24 juin à 19 h
01 45 44 50 21
16:41 Écrit par Dadumas dans Blog, éducation, Histoire, humour, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, poche-montparnasse, molière, françoise thyrion | Facebook | | Imprimer