02/05/2017
Stabat Filius
C’est un bon fils (Bruno Putzulu). Sa mère (Catherine Hiegel) perd la tête, mais il vient souvent la voir dans cette maison spécialisée où il a dû la placer. Elle ne le reconnaît pas toujours, mais elle en dit du bien. Elle le confond parfois avec le Directeur de l’établissement (Philippe Fretun), lequel essaie de gérer au mieux les conflits entre ses pensionnaires qui sont pour lui « une énigme ».
En six temps, qui commencent tous par : « Votre Maman », Jean-Claude Grumberg raconte le cheminement de la vieille dame vers la sénilité et la mort. C’est tragique, mais l’auteur excelle dans la dérision et l’humour se glisse dans les situations les plus pathétiques.
Ceux qui ont vécu les obstinations absurdes des vieillards, leurs reniements cocasses, leurs colères puériles, leurs attitudes belliqueuses savent combien toute explication est inutile. Catherine Hiegel en vieillarde vindicative, passe de la mine renfrognée au sourire enfantin et nous déchire le cœur. Elle est bouleversante de naturel, engoncée dans son manteau beige suranné (costumes de Cidalia Da Costa). Face à elle, Bruno Putzulu, en fils crucifié de chagrin et de doutes est sublime. Et Philippe Fretun compose un directeur plus stupide que méchant, dépassé sans doute par des problèmes que personne ne sait encore résoudre. Charles Tordjman les met en scène avec une grande pudeur, dans une scénographie simple, rythmée par les lumières de Christian Pinaud.
Cependant si Votre Maman est une pièce impressionnante, c’est que Jean-Claude Grumberg ne peint pas seulement le chemin de croix d’un fils et la progression inexorable d’un mal qui détruit les neurones. Cette vieille dame, qui ne sait plus qui est son enfant, revit le moment où elle a perdu sa mère. C’était un temps cruel de haine, de clandestinité, d’arrestations et de marches forcées. Le temps de Votre maman s’inscrit dans l’Histoire. Les persécutés gardent la mémoire de leurs peurs et des êtres chers dont on les a séparés. La mémoire ancienne est la dernière à s’effacer. Elle lui sera fatale.
Et nous, que ferons-nous « quand la dernière survivante » nous aura quittés ? Qui croirons-nous quand personne ne pourra plus témoigner et que la banalisation du Mal aura conquis les esprits ?
Et, d’ailleurs pourquoi parler au futur ? N’avons-nous pas atteint déjà ce stade ?
Avant de désespérer des hommes, allez voir Votre Maman, et continuez à agir pour que demain ne soit pas un cauchemar.
Photos © Ch. Vootz
Votre Maman de Jean-Claude Grumberg
Mise en scène de Charles Tordjman
Théâtre de l’Atelier
01 46 06 49 24
Depuis le 19 avril
Du mardi au samedi à 19h
(Exceptionnellement vendredi 16 et samedi 17 juin à 18h30)
En matinée le dimanche à 16h
(Relâche exceptionnelle le 23-29 avril, 7 mai, 13-14-15-21 juin)
14:27 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, culture, éducation, Histoire, humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, j. c. grumberg, histoire, charles tordjman, bruno putzulu | Facebook | | Imprimer
Défendre la France
On parle beaucoup « défendre la France » ces temps-ci. Et certains accusent « les élites » de tous les maux ?
Les élites ?
Le mot « élite » aurait-il changé de sens ?
On m’a toujours appris que « l’élite » était l’ensemble des personnes les meilleures de la société. Qui, on ? Mon institutrice qui, - n’en déplaise à un ex-président de la République, - était bien plus importante pour moi que le curé, et ma mère qui était soucieuse que je réussisse mes études pour en faire partie. Ma grand-mère qui métaphorisait sans le savoir, parlait de « crème », ou de « gratin », et elle s’y connaissait en cuisine !
Le Dictionnaire historique de la Langue Française m’apprend que le mot « élite » apparaît au XIIe siècle, sous la plume de Chrétien de Troyes, par substantivation du participe passé du verbe élire qui donne « eslit »; élire, c’est donc choisir parmi les hommes et les femmes, celui, celle, ceux qui sont les plus aptes dans un domaine donné. Dès le XIVe, « élite » s’emploie pour désigner des personnes considérées comme les meilleures dans un groupe. On parlera donc de « l’élite d’une nation » avec fierté. Au XIXe, on l’utilise en locution adjective : « tireur d’élite », « sujet d’élite », pour ceux qui sont hors du commun, distingués pour leurs qualités.
Au XXe, les élites sont ceux qui occupent par leur formation, leur culture, le premier rang dans tous les domaines. Et « les élites » peuvent se recruter dans « l’aristocratie plébéienne » (Roger Martin du Gard). Le premier rang n’a rien de péjoratif. M. Rey, M. Robert, M. Littré, et M. Larousse en attestent !
Pourquoi aujourd’hui, cracher le mot « élite » comme une insulte ? N’a-t-on pas dévoyé ce mot de son sens ? Et qui l’a détourné ?
Je ne parlerai ni du père, ni de la fille, ni de la nièce ni des esprits malins qui pérorent dans leurs réunions. Je rappellerai simplement cette phrase : « Nous ne voulons pas convaincre les gens de nos idées, nous voulons réduire leur vocabulaire de façon qu’ils ne puissent plus exprimer que nos idées. » Elle est de Goebbels, ministre de la propagande nazie.
Alors, si vous voulez défendre la France, défendez votre vocabulaire, défendez le français et ses nuances. Soyez fiers d’en désigner l’élite, et si possible, car tout est possible en démocratie, d’en faire partie.
11:17 Écrit par Dadumas dans Blog, culture, éducation, Histoire, langue, Littérature, Politique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : langue française, histoire, littérature, politique | Facebook | | Imprimer
13/04/2017
Petit gangster deviendra grand…
Lorsque le pouvoir nazi brûle ses œuvres et interdit son théâtre, Bertolt Brecht fuit l’Allemagne. Déchu de sa nationalité, il sillonne l’Europe, de Prague à Vienne, Paris, Zurich, Copenhague. La guerre le rattrape en Suède, puis en Finlande, et en 1941, il part pour les États-Unis.
Pour expliquer le nazisme aux Américains qui ne veulent pas en voir le danger, il écrit La Résistible Ascension d’Arturo Ui, « farce historique », où les personnages politiques seront ravalés aux rangs de gangsters.
L’analogie se joue d’abord sur les noms. Le vieux maréchal Hindenburg devient le Vieil Hindsborough (Bruno Raffaelli), Hermann Göring sera Gori (Serge Bagdassarian), Goebbels sera Gobbola (Jérémy Lopez), Ernst Röhm sera Ernesto Roma (Thierry Hancisse), et Adolf Hitler, un petit gangster nommé Arturo Ui (Laurent Stocker). Et, puisque nous sommes au pays des trusts, la prise de pouvoir se fera au sein du trust des choux-fleurs, avant d’étendre sa domination sur celui des légumes et des fleurs, à Chicago d’abord, à Cicero ensuite. Pour ce, il faudra assassiner les témoins, les comparses, trahir les amis, neutraliser la police et la justice, par le mensonge et la violence. Mais, petit gangster deviendra grand pourvu que les hommes soient lâches.
Le Bonimenteur (Bakary Sangaré) nous présente ces hommes comme des « clowns », les jeux du cirque peuvent commencer... Ils ne s'arrêteront qu'avec la mort des protagonistes !
Enzo Toffolutti a conçu la scénographie (et les costumes) pour Katharina Thalbach, la metteure en scène. Des trappes s’ouvrent dans un plan très incliné où figure celui de Chicago. De ces trous sombres jaillissent quelquefois des podiums, ou bien des escaliers y creusent d’obscures profondeurs. Une demi-toile d’araignée gigantesque les surplombe. Au niveau du proscenium, on est toujours au centre de ce tissage démesuré. Derrière lui, les comédiens doivent, pour se déplacer, enjamber les câbles, les agripper ou les éviter. L’image est forte de les considérer comme des mouches engluées dans le piège de l’araignée. Des maquillages expressionnistes évoquent la peinture de Grosz et de Nolde. L'inquiétude gagne.
Toujours à la recherche d’un équilibre précaire, les acteurs miment les humains en danger. Les lumières de François Thouret accusent les périls. Le spectre de Roma hante le plateau comme celui du Banquo de Macbeth. Une seule figure féminine dans ce monde de brutes : Florence Viala qui sera d’abord Dockdaisy, à la fois complice et victime de la pègre, puis Betty Dollfoot, la veuve d’Ignace Dollfoot (Nicolas Lormeau) assassiné par les bandits. Vient alors l'effroi. On pense à la princesse Anne de Richard III de Shakespeare
Bruno Raffaelli, Serge Bagdassarian, Jérémy Lopez, Thierry Hancisse, incarnent avec talent les hommes omnipotents. Laurent Stocker, interprète un führer grotesque, grinçant, emporté, très proche du rôle-titre du Dictateur de Chaplin. Michel Vuillermoz, Nicolas Lormeau, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Julien Frison, qu’ils soient manipulateurs ou manipulés, sicaires ou martyrs sont magnifiques d’invention. On voudrait en rire, mais le rire grince. La peur s'installe...
En choisissant de monter, maintenant La Résistible Ascension d’Arturo Ui, la Comédie-Française nous invite à ne pas nous voiler la face devant la montée des extrêmes et à agir contre « la vermine ». Et, peut-être aussi à ne pas oublier, au-delà de la fable politique, que le capitalisme et le grand banditisme sont dirigés par des hommes sans principes, animés d'une cupidité sans morale, ni limites.
« Apprenez donc à voir ! » conseille le Bonimenteur.
Je vous le conseille aussi en allant découvrir cette Résistible Ascension d’Arturo Ui.
Photo © Christophe Raynaud de Lage
La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht
Traduction d’Hélène Mauler et René Zahnd
Mise en scène de Katharina Thalbach
Comédie-Française, salle Richelieu
En alternance jusqu’au 30 juin
08:36 Écrit par Dadumas dans Blog, cabaret, culture, éducation, Histoire, humour, Littérature, Livre, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, littérature, brecht, thalbach | Facebook | | Imprimer