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20/03/2017

Funeste monothéisme ?

 

 

 

Théâtre, théâtre du Rond-Point, Rachida BrakniLes murs crépis sont gris clair, les ouvertures béantes, on devine quelque ruine ou un sous-sol labyrinthique (scénographie de Nicolas Marie). Elle (Rachida Brakni) s'avance dans ce dédale, vêtue de gris foncé, silhouette fragile, telle la victime annoncée d’un minotaure impitoyable.

Elle est seule, mais prête sa voix à trois femmes différentes. La Palestinienne qui veut mourir en martyre, l’Israélienne pacifique et désenchantée, l’Américaine venue de ses États-Unis pour pacifier les conflits entre les deux peuples frères, ennemis depuis deux millénaires.

Je crois en un seul dieu de Stefano Massini, est la lente progression vers la mort de ces trois femmes que le destin va réunir le 29 mars 2002, à Tel Aviv.

Mais est-ce vraiment au nom de Dieu qu’elles meurent ? Le funeste monothéisme ne cache-t-il pas de cruelles visées politiques ?

Poignante et pudique Rachida Brakni donne corps à ces trois femmes et le poids du destin étreint le spectateur. La comédienne est superbe et terrible. Le metteur en scène, Arnaud Meunier, réussit le pari de nous faire accepter son défi.

Une et divisible, la femme sacrifiée n’a pas de frontières.

 

 

 

 

 

 

 

 

Je crois en un seul dieu de Stefano Massini

Traduction d’Olivier Favier et Federica Martucci

Mise en scène d’Arnaud Meunier

Théâtre du Rond-Point

01 44 95 98 21

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

15/03/2017

Les murs du purgatoire

 

 

 

 

Le théâtre 13, côté jardin, est rouvert !

La nouvelle est excellente ! D’autant plus que c’est Alexis Michalik qui l’inaugure par un nouveau spectacle, Intra Muros dont il signe le texte et la mise en scène. Et vous connaissez sa « soif narrative » et sa maîtrise de la scène !

Nous avions aimé Le Porteur d’histoire, puis Le Cercle des illusionnistes. Cette saison, Edmond nous a enthousiasmé, alors, c’est avec une joie toujours renouvelée que nous sommes allés voir Intra Muros.

Théâtre, théâtre 13, Alexis MichalikIntra Muros nous plonge dans cette espèce de purgatoire qu’est la prison. Avec cinq comédiens, et un musicien Alexis Michalik reconstitue l’itinéraire de deux détenus : Ange (Bernard Blancan), la cinquantaine et 28 ans de centrale, et Kévin (Faycal Safi), un jeune, détenu depuis sept ans. Tous deux se présentent à l’atelier théâtre qu’Alice (Alice de Lencquesaing), assistante sociale stagiaire a réussi à obtenir pour les condamnés à de longues peines. Elle amène avec elle Richard (Paul Jeanson), metteur en scène et Jeanne (Jeanne Arenes), son ex-femme, comédienne. Le plateau est noir et nu, au centre un quadrilatère plus clair délimite l’espace de jeu de l’atelier dans une « salle polyvalente ». Des chaises entassées et un lit de fer complètent le décor. Au proscenium, côté jardin et au fond de scène des costumes (Marion Rebman) et accessoires sont suspendus sur des portants. Les comédiens se serviront, changeant à vue d’identité quand l’histoire va dérouler ses aléas intranquilles. Car, entre les juges, les flics, les parents, le frère, les témoins, ils incarneront une trentaine de personnages.

Côté cour, Raphaël Charpentier, compositeur, arrangeur pianiste et percussionniste, a installé ses claviers et percussions pour soutenir l’action, suggérer les coups, animer les rencontres, concrétiser le décor. Les lumières d’Arnaud Jung règlent les déplacements, modifient les espaces et les temps dans une fluidité remarquable.

Les serrures de la prison s’ouvrent, l’une après l’autre, dans un bruit métallique, les trois intervenants franchissent les grilles et longent les couloirs et enfin, rencontrent les deux détenus. Au bout du parcours, les attendent Ange, bras croisés, mutique, et Kévin, bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, la rage au cœur et aux lèvres.

Le contact n’est pas facile. Jeanne est meilleure psychologue que Richard. Les détenus ne se laissent pas apprivoiser facilement.

Mêlant subtilement passé et présent, Alexis Michalik déroule vingt ans de vie de ses protagonistes. Nous saurons ce qui a conduit Ange à sa feinte indifférence, ce qui anime Ange, mais aussi ce que Richard espère, ce que Jeanne regrette, ce que veut Alice.

Le purgatoire des uns conduit à toutes les rédemptions.

Admirablement construite, jouée avec intelligence, la pièce transporte les spectateurs.

Intra Muros est une réussite.

 

Photo : © Alejandro Guerrera

 

 

 

Intra Muros d’Alexis Michalik

Jusqu’au 16 avril

Théâtre 13

01 45 88 62 22

du mardi au samedi à 20 h

dimanche à 16 h

                                       

                                                                                                

                        

13/03/2017

Les crimes de nos pères

 

 

Théâtre, Théâtre 71, Histoire, Politique, AlgériePalestro ! Ce nom faisait frémir de terreur les appelés (et les rappelés) du contingent qui, en 1956, furent envoyés « pacifier l’Algérie. » Le 18 mai 1956, vingt militaires français étaient tués dans une embuscade montée par des maquisards d’Ali Khodja, l’un des jeunes chefs locaux du FLN, sur les hauteurs des gorges de Palestro. Les corps des soldats ont été retrouvés mutilés. Et le gouvernement envoie des renforts. La répression est féroce. Les suspects sont torturés, abattus (on appelle ça la « corvée de bois »), on déplace les populations. On se venge. On accuse le FLN.

Les travaux de recherche de Raphaëlle Branche[1] permettent aujourd’hui de discerner les responsabilités. On peut affirmer que ce sont les villageois qui achevèrent les blessés et mutilèrent les morts.

Le mal venait de loin.

Par décret impérial de Napoléon III en 1869, il est créé « dans la province d'Alger sur le territoire de Ben Hini traversé par la route Impériale n°5 d'Alger à Constantine, à 79 kilomètres d'Alger et à 25 kilomètres du Col des Beni Aïcha, un village de 59 feux qui prendra le nom de Palestro.
Un territoire de 546 ha 31a 10 ca est affecté à ce centre de population conformément aux plans annexés au présent décret. »

Deux ans plus tard, en avril 1871, révoltés par le processus de colonisation qui les expropriait de leurs terres fertiles, 250 tribus kabyles, conduites par Cheikh El Mokrani se révoltaient et brûlaient ce village. La répression fut implacable, on parle de  dix mille « indigènes » tués au combat, comme Mokrani, et pour les survivants, internement, déportations, confiscation des terres.

Ne pensez pas que je remonte au déluge… Il faut bien expliquer comment ces histoires de tueries laissent des traces dans les mémoires des familles qui se les transmettent. Face à elles, de 1954 à 1962, des jeunes gens à qui on a enseigné que la France avait accompli « une mission civilisatrice », et à qui on ordonne à la fois de « pacifier » et de « réprimer sans faiblesse » et qui n'ont aucune expérience de la guerre, aucune notion de la langue qu'on parle sur cette terre.

Mais réprimer qui ? L‘armée des « terroristes » est insaisissable.

Palestro de Bruno Boulzaguet et Aziz Chouaki parle de ces jeunes gens, presque encore des adolescents, joueurs et fraternels, qui devinrent des « outils au service d’une guerre coloniale », des tortionnaires[2] et ne s’en remirent jamais.

Bruno Boulzaguet qui met en scène, les montre, rieurs, inconscients de la tragédie, des gosses obéissants à qui on permet de jouer avec des armes et de boire plus de bières qu’ils devraient (Tom Boyaval, Etienne Bianco, Guillaume Jacquemont). La fortune de Kronenbourg était assurée, et je pense à Cabu, dessinant son adjudant Kronenbourg aux mâchoires carrées, au torse puissant, aux godillots robustes.

Bruno Boulzaguet et Aziz Chouaki parlent des remords enfouis, des âmes « grillées », à travers leurs vies ratées que commentent et ressuscitent leurs enfants (Luc Antoine Diquéro, Cécile Garcia Fogel, Jocelyn Lagarrigue). Théâtre, théâtre 71, Histoire, Politique, AlgérieOn a souvent l'impression d'assister à un éprouvant psychodrame. Cependant, Palestro pose une question fondamentale : « Sommes-nous responsables des crimes de nos pères ? »

On pourrait citer le prophète Jérémie, « Les pères ont mangé des raisins verts, Et les dents des enfants en ont été agacées. » mais sans oublier le verset suivant : « Mais chacun mourra pour sa propre iniquité ; Tout homme qui mangera des raisins verts, Ses dents en seront agacées. »

Il faut dire aussi que les appelés ne partirent pas tous le sourire aux lèvres, qu’il y eut des déserteurs, des citoyens qui votèrent pour réclamer la négociation avec Ferhat Abbas, des femmes qui bloquèrent les trains en partance pour Marseille. Mais des « patriotes », à l’assemblée, votèrent l’envoi du contingent, l’engrenage de la violence, la pérennité de la haine.

Il faudrait s’en souvenir, pour ne pas réitérer les mêmes erreurs, éternellement, et se pardonner, enfin.

 

 

 photo © Alain Richard (photo de répétition)

 

Palestro de Bruno Boulzaguet et Aziz Chouaki

Mise en scène de Bruno Boulzaguet

Théâtre 71 jusqu’au 12 mars

Théâtre de l’Atalante du 24 mars au 1er avril

01 46 06 11 90

Théâtre des Bernardines à Marseille du 21 au 25 novembre

04 91 24 30 40

[1] - La Guerre d'Algérie : Une histoire apaisée ?, Paris, Seuil, 2005,

L'Embuscade de Palestro, Paris, Armand Colin, 2010.

[2] - Claude Juin, Des soldats tortionnaires, guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable, Robert Laffont, 2012.