09/11/2012
Le chemin de croix de la Thénardier
Comment raconter Les Misérables sur scène quand on n’a que huit comédiens et qu’on n’a pas les moyens financiers d’une production internationale ? Le projet tient de la gageure.
Manon Montel qui a créé sa compagnie (Chouchenko) en 2004, a choisi quelques scènes essentielles, ajouté quelques dialogues oubliés dans beaucoup d’adaptations (le sermon de Jean Valjean à Montparnasse), cite quelques vers des Châtiments, une phrase de Mille Francs de récompense et tisse l’intrigue autour d’une narratrice : la Thénardier (Claire Faurot qui joue aussi Gavroche), cette femme qui n’était mère que pour ses deux filles : Éponine et Azelma et s’était débarrassée de ses trois garçons.
L’idée est intéressante, d’autant qu’elle prouve que Manon Montel connaît bien le roman. En effet, quand Thénardier (Stéphane Soussan, qui joue aussi un bagnard, et un émeutier), vient chez Marius dénoncer Jean Valjean (Stéphane Dauch), qu’il dit avoir « épouse et demoiselle » à embarquer pour l’Amérique, Marius lui rétorque qu’il ment puisque sa femme est morte.
C’est donc Madame Thénardier (, morte et sortant des brouillards de l’au-delà, qui relie les époques, les protagonistes, et se plaint : « Y’a pas d’justice ». Elle raconte comment Jean Valjean vole Petit-Gervais, sauve les deux enfants d’un gendarme, devient Monsieur Madeleine. Elle accuse son mari des maux qu’elle subit, elle commente l’attitude de Marius, celle de Cosette devenue jeune fille, pousse Éponine (Loreline Mione), à se prostituer. Ce n’est plus l’épopée de Jean Valjean mais le chemin de croix de Madame Thénardier.
Cependant, si ses comédiens sont habiles à jouer plusieurs rôles, à chanter, qu’ils ont suffisamment d’aisance pour donner les scènes de foule dans des chorégraphies bien pensées (Claire Faurot), soutenues par les lumières de Sébastien Lanoue, des costumes congruents (Patricia de Fenoyl) et qu’elle-même interprète successivement Fantine, Cosette jeune fille, et l'ardent révolutionnaire Enjolras, il est bien difficile aux jeunes spectateurs de suivre l’intrigue.
L’œuvre a été créée, dit le dossier de presse, avec la participation d’élèves d’un lycée et sans doute y avait-il des grisettes autour de Fantine, une Cosette enfant, un Petit-Gervais et un Gavroche plausibles. Ils manquent terriblement. Comme nous manquent le vieux Gillenormand, un Javert (Jean-Christophe Frèche) plus massif et un Monseigneur Myriel qui n’ait pas l ‘âge de Marius.
L’œuvre a été créée, dit le dossier de presse, avec la participation d’élèves d’un lycée et sans doute y avait-il des grisettes autour de Fantine, une Cosette enfant, un Petit-Gervais et un Gavroche plausibles. Ils manquent terriblement. Comme nous manquent le vieux Gillenormand, un Javert plus massif et un Monseigneur Myriel qui n’ait pas l ‘âge de Marius.
Heureusement, certains tableaux subjuguent par leur beauté, leur efficacité narrative, et l’on se dit, que, si en sortant, quelques-uns ont envie de se replonger dans le livre, la gageure était bonne.
Les Misérables d’après le roman de Victor Hugo
Adaptation et mise en scène de Manon Montel
Vingtième Théâtre
01 48 65 97 90
jeudi 15, 22, 29 novembre, 6 décembre, à 14 h 30,
mardi 11 décembre à 20 h
www.chouchenko.comD I S T R I B U T I O
17:33 Écrit par Dadumas dans Histoire, Littérature, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : victor hugo, vingtième théâtre, théâtre, littérature | Facebook | |
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04/10/2012
Redevenir humains
Imaginez deux informaticiens surdoués, Charline (Juliette Poissonnier) et Arthur (Guillaume Marquet). Ils viennent de gagner le grand concours international des logiciels, et ils s’apprêtent à aller chercher leur récompense à Versailles où le Conservateur (François Raffenaud) les attend avec de gentils sponsors plus ou moins cyniques : Jacques Servié (Jean Charles Rieznikoff), Bernard Pinaud
(Alain Gautré), un artiste Paul Magamé (Tony Mpoudja), et une drag queen, Bugz (Joe Sheridan).
Et soudain, l’ordinateur quantique s’éteint, l’écran disjoncte, la souris devient araignée, les deux jeunes savants sont transformés en chimpanzés, et « le bug envahit le monde »…
Ne dites pas que vous n’y aviez jamais pensé, quand vous voyez vos frères humains, l’œil rivé à des écrans, le pouce sur la touche de leur téléphone, l’index sur la touche « entrée » de leur ordinateur ou de leur tablette numérique.
Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien poussent très loin le délire angoissant dans Bug, une nouvelle pièce qui divise la critique et laisse les spectateurs suffoqués. Sur le plateau, treize comédiens, et une vingtaine de rôles. Pas un temps mort. Un rythme à couper le souffle. Des personnages étranges comme ce Bugz, bisexué, assassiné, mangé et ressuscité. N’y voyez aucune allusion à une religion, quelle qu’elle soit, mais une métaphore de notre monde qui dévore ses créatures et leurs créations.
Un savant sans conscience Gunther (Stéphane Dausse) rate ses clones, Gunther 2 et 3 (Laurent Ménoret) mais affirme « faire progresser la science.» Une Allemande, Inge (Katarzyna Krotki), bourrelée de remords, rend visite à une vieille dame juive, Juliette, (Bernadette Le Saché) qui perd la mémoire, mais garde son bon sens. Michael Jackson (Pierre Lefebvre), plastiné se promène avec Jean Genet (Laurent Menoret), Houellebecq (Alain Gautré) et Jeff Koons (Stéphane Dausse), un jeune noir, Cassius (Pierre Lefebvre) rêve de devenir footballeur. Paul découvre l’horreur du Rwanda, Maria (Manon Kneusé) les perversités des laboratoires.
La sarabande infernale traverser le temps et les espaces, toujours à l’abri de son « écran », toile transparente tendue entre le public et la scène, dont les effets de verre dépoli, de nuées, de brumes, de « neige », de courts-circuits, fascinent les spectateurs. Sur le décor de Jean Haas, les vidéos d’Olivier Roset assisté de Michaël Bennoun, projettent des images et des textes, et les lumières de Pascal Sautelet assisté de Maëlle Payonne, la musique et le son de Stéphanie Gibert construisent un univers fantastique, que renforcent les maquillages de Sophie Niesseron, les accessoires d’Erwan Creff, les costumes de Cidalia Da Costa.
Jean-Louis Bauer aime ces parcours entrecroisés, ces subtiles dérives, ces rencontres improbables qui illustrent la folie du monde, la transgression, la régression. Philippe Adrien exploite toutes les techniques pour donner au texte qu’il cosigne une diabolique trajectoire. Une gageure, une réussite. Les portes des armoires s'ouvrent sur des jardins, des couloirs incertains, et conduisent sur de hauts plateaux, au bord de l'abime. Juliette Poissonnier et Guillaume Marquet sont prodigieux dans leur quête désespérée.
« Comment on fait pour redevenir humain ? », demandent les deux protagonistes. C’est la question essentielle d’une pièce plutôt pessimiste sur l’avenir de l’humanité.
Mais peut-être, vous, y verrez-vous un autre message.
Photos : © Antonia Bozzi
Bug ! de Jean-Louis Bauer et Philippe Adrien
Théâtre de la Tempête
jusqu’au 27 octobre
01 43 28 36 36
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h
23:14 Écrit par Dadumas dans Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : théâtre, bauer, adrien | Facebook | |
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13/09/2012
Grandes manoeuvres démocratiques
Aujourd’hui que l’Allemagne est réunifiée, il est utile de rappeler le temps des deux Allemagnes la R. F. A. et la R. D. A., afin de montrer le chemin parcouru, depuis la destruction totale en 1945, la partition imposée par les vainqueurs, et le combat mené par ceux qui croyaient en la démocratie. Car dans l’Allemagne qu’on appelait « démocratique », la liberté n’existait pas. Un « rideau de fer » divisait l’Est et l’Ouest, et à Berlin, un mur séparait la ville.
Démocratie raconte un moment de l’histoire des relations entre ces deux Allemagnes. Michael Frayn retrace comment Willy Brandt (Jean-Pierre Bouvier), agit pour faire accepter sa politique d’ouverture vers l’Est (ostpolitik), quels furent les opposants, les coalitions, et pourquoi, en 1974, la découverte de Günter Guillaume (Alain Eloy), un espion de la Stasi (police politique de l’Est) infiltré dans ses services, faillit faire échouer ces grandes manœuvres démocratiques et même compromettre le fonctionnement des institutions. Willy Brandt dut démissionner de son poste de chancelier.
Sur scène, sont présents tous ceux qui, représentent le pouvoir de la République fédérale Helmut Schmidt (Emmanuel Dechartre), Herbert Wehner (Jean-François Guilliet), Horst Ehmke (Frédéric Lepers), Reinhard Wilke( Frédéric Nyssen), Ulrich Bauhaus (Xavier Campion), Günter Nollau (François Sikivie), Hans-Dietrich Genscher (Alexandre von Sivers) ont tous existé.
Un seul personnage est imaginaire : Arno Krestchmann (Freddy Sicx), le correspondant de Günter Guillaume, le véritable espion. Le dialogue se fait à la fois récit des événements et son commentaire. Le rapport des deux protagonistes permet de distancier les faits abrupts de l’Histoire. Les certitudes de l’Est s’opposent ainsi aux doutes de Guillaume, fasciné par le personnage de Willy Brandt.
Embauché parce qu’il représentait « un homme ordinaire », issu de Berlin, et au départ, parfait « serviteur de deux maîtres », Guillaume découvre que lui et Brandt sont « deux orphelins de guerre » et que leurs parcours se ressemblent. L’espion de la R. D. A obéit à ses chefs, mais se prend à admirer « le grand pacificateur de la R. F. A. et se réjouit de ses succès.
Le metteur en scène, Jean-Claude Idée est fidèle à l’ironie de l’auteur, et cette bande de politiciens ressemble quelquefois à un gang bien organisé. Autour du chancelier, dans un décor de meubles tubulaires noirs, les hommes politiques trahissent, tendent des pièges, exigent des places. Günter Guillaume, sans autre ambition que servir son pays, semble lui être plus fidèle qu’un Herbert ou un Helmut.
Les dix hommes paraissent comme prisonniers de la scène barrée par un mur en diagonale. Dans cette nuit de novembre 1989 où le mur s’écroule, le fond de scène se déchire, et c’est tout un peuple qui peut, comme Willy Brandt, enfin respirer.
Photos © Lot
Démocratie de Michael Frayn
Version française de Dominique Hollier publiée chez Actes sud.
Théâtre 14
Ma, ve, samedi à 20 h 30
Me et je à 19 h
01 45 45 49 77
23:28 Écrit par Dadumas dans Histoire, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, théâtre 14, histoire | Facebook | |
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