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21/03/2017

Monsieur Cocteau reste vivant

 

 

 

affiche.jpgBérangère Dautun nous avait déjà donné le plaisir d’évoquer les dernières années de Jean Cocteau dans son spectacle Je l’appelais Monsieur Cocteau, adapté du livre de souvenirs de Carole Weissweiller.

Elle s’installe aujourd’hui au Théâtre La Bruyère et toujours avec la même délicatesse, elle évoque l’amitié entre la fille de sa mécène, Francine Weisweiller, et celui que le Tout-Paris appela le « Prince frivole ».

Elle dit le ravissement de la petite fille, à qui le poète a prêté attention sur le tournage des Enfants terribles en 1949. Elle décrit son émerveillement devant la « maison tatouée » de Santo Sospir. Elle décrit ses rapports avec Picasso, avec Edouard Dermit et tant d’autres. À travers des anecdotes et de courtes scènes, soutenues par la vidéo de Sylvain Denis, les lumières de Mathieu Nenny, Guillaume Bienvenu donne la réplique à Bérangère Dautun qui déroule le fil des souvenirs…

Elle explique, justifie, défend son ami.

Car c’est bien d’amitié dont est question ici. Cocteau vouait « un véritable culte à l’amitié » affirme-t-elle. Elle lui demeure fidèle.

Ce sentiment-là devenant denrée rare, chaque spectateur en est ému. Et c’est ainsi que Cocteau reste avec nous, vivant.

 

 

 

 

Je l'appelais Monsieur Cocteau de Carole Weissweiller, adaptation de Bérengère Dautun

Mise en scène de Pascal Vitiello

Théâtre La Bruyère à 19 h le lundi et mardi

01 48 74 76 99

 

13/03/2017

Les crimes de nos pères

 

 

Théâtre, Théâtre 71, Histoire, Politique, AlgériePalestro ! Ce nom faisait frémir de terreur les appelés (et les rappelés) du contingent qui, en 1956, furent envoyés « pacifier l’Algérie. » Le 18 mai 1956, vingt militaires français étaient tués dans une embuscade montée par des maquisards d’Ali Khodja, l’un des jeunes chefs locaux du FLN, sur les hauteurs des gorges de Palestro. Les corps des soldats ont été retrouvés mutilés. Et le gouvernement envoie des renforts. La répression est féroce. Les suspects sont torturés, abattus (on appelle ça la « corvée de bois »), on déplace les populations. On se venge. On accuse le FLN.

Les travaux de recherche de Raphaëlle Branche[1] permettent aujourd’hui de discerner les responsabilités. On peut affirmer que ce sont les villageois qui achevèrent les blessés et mutilèrent les morts.

Le mal venait de loin.

Par décret impérial de Napoléon III en 1869, il est créé « dans la province d'Alger sur le territoire de Ben Hini traversé par la route Impériale n°5 d'Alger à Constantine, à 79 kilomètres d'Alger et à 25 kilomètres du Col des Beni Aïcha, un village de 59 feux qui prendra le nom de Palestro.
Un territoire de 546 ha 31a 10 ca est affecté à ce centre de population conformément aux plans annexés au présent décret. »

Deux ans plus tard, en avril 1871, révoltés par le processus de colonisation qui les expropriait de leurs terres fertiles, 250 tribus kabyles, conduites par Cheikh El Mokrani se révoltaient et brûlaient ce village. La répression fut implacable, on parle de  dix mille « indigènes » tués au combat, comme Mokrani, et pour les survivants, internement, déportations, confiscation des terres.

Ne pensez pas que je remonte au déluge… Il faut bien expliquer comment ces histoires de tueries laissent des traces dans les mémoires des familles qui se les transmettent. Face à elles, de 1954 à 1962, des jeunes gens à qui on a enseigné que la France avait accompli « une mission civilisatrice », et à qui on ordonne à la fois de « pacifier » et de « réprimer sans faiblesse » et qui n'ont aucune expérience de la guerre, aucune notion de la langue qu'on parle sur cette terre.

Mais réprimer qui ? L‘armée des « terroristes » est insaisissable.

Palestro de Bruno Boulzaguet et Aziz Chouaki parle de ces jeunes gens, presque encore des adolescents, joueurs et fraternels, qui devinrent des « outils au service d’une guerre coloniale », des tortionnaires[2] et ne s’en remirent jamais.

Bruno Boulzaguet qui met en scène, les montre, rieurs, inconscients de la tragédie, des gosses obéissants à qui on permet de jouer avec des armes et de boire plus de bières qu’ils devraient (Tom Boyaval, Etienne Bianco, Guillaume Jacquemont). La fortune de Kronenbourg était assurée, et je pense à Cabu, dessinant son adjudant Kronenbourg aux mâchoires carrées, au torse puissant, aux godillots robustes.

Bruno Boulzaguet et Aziz Chouaki parlent des remords enfouis, des âmes « grillées », à travers leurs vies ratées que commentent et ressuscitent leurs enfants (Luc Antoine Diquéro, Cécile Garcia Fogel, Jocelyn Lagarrigue). Théâtre, théâtre 71, Histoire, Politique, AlgérieOn a souvent l'impression d'assister à un éprouvant psychodrame. Cependant, Palestro pose une question fondamentale : « Sommes-nous responsables des crimes de nos pères ? »

On pourrait citer le prophète Jérémie, « Les pères ont mangé des raisins verts, Et les dents des enfants en ont été agacées. » mais sans oublier le verset suivant : « Mais chacun mourra pour sa propre iniquité ; Tout homme qui mangera des raisins verts, Ses dents en seront agacées. »

Il faut dire aussi que les appelés ne partirent pas tous le sourire aux lèvres, qu’il y eut des déserteurs, des citoyens qui votèrent pour réclamer la négociation avec Ferhat Abbas, des femmes qui bloquèrent les trains en partance pour Marseille. Mais des « patriotes », à l’assemblée, votèrent l’envoi du contingent, l’engrenage de la violence, la pérennité de la haine.

Il faudrait s’en souvenir, pour ne pas réitérer les mêmes erreurs, éternellement, et se pardonner, enfin.

 

 

 photo © Alain Richard (photo de répétition)

 

Palestro de Bruno Boulzaguet et Aziz Chouaki

Mise en scène de Bruno Boulzaguet

Théâtre 71 jusqu’au 12 mars

Théâtre de l’Atalante du 24 mars au 1er avril

01 46 06 11 90

Théâtre des Bernardines à Marseille du 21 au 25 novembre

04 91 24 30 40

[1] - La Guerre d'Algérie : Une histoire apaisée ?, Paris, Seuil, 2005,

L'Embuscade de Palestro, Paris, Armand Colin, 2010.

[2] - Claude Juin, Des soldats tortionnaires, guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable, Robert Laffont, 2012.

12/03/2017

Tueuse et majestueuse

 

 

 

Marguerite Duras était fascinée par les histoires criminelles.

Bien avant la « transgression de l’écriture »[1] qui lui fit proférer (ou non) son « sublime, forcément sublime ! » à propos de l’affaire du petit Grégory, elle s’était passionnée pour celle d’Amélie Rabilloux, paisible retraitée, qui en 1949, avait tué et dépecé son mari. Dans Les Viaducs de Seine-et-Oise, en 1960, c’était le couple qui tuait une cousine. Elle reprit ce thème dans un roman L’Amante anglaise, en 1967, puis dans la pièce éponyme créée en 1968.

Les deux créations scéniques étaient signées Claude Régy.

Théâtre, théâtre du Lucernaire, Marguerite Duras, Thierry Harcourt, Judith Magre, Jacques FrantzAujourd’hui, c’est Thierry Harcourt qui relève le défi. Il a réuni une distribution d’élite. Sur le plateau nu, l’interrogateur (Jean-Claude Leguay) sonde d’abord le mari Pierre Lasne (Jacques Frantz), cherchant à cerner les circonstances de l’assassinat de la cousine sourde et muette qui vivait avec le couple. Peu à peu se dessine le portrait d’une femme si étrange, Claire Lasne (Judith Magre), que le spectateur n’attend plus qu’elle.

L’amante anglaise ? La menthe anglaise ou la mante… pas religieuse mais meurtrière ? 

Enfin elle est là, assise, immobile, calme, sans regret ni remords, tueuse et majestueuse. De sa voix posée, elle parle, flegmatique, mais sans jamais répondre aux questions. Car un mystère demeure. Si la tueuse a dépecé le corps, une fois son forfait accompli, qu’a-t-elle fait de la tête ? « Où a-t-elle trouvé la force ? » Et pourquoi a-t-elle tué ? Nous ne le saurons pas. L’énigme imprègne le spectateur, le pénètre et le trouble. Est-elle folle ? A-t-elle voulu se venger d’une vie médiocre et sans amour ? Mais alors, pourquoi sur la cousine ? Nous ne saurons pas non plus qui l’interroge : un policier ? Un magistrat ? Un psychanalyste ?

Cependant, le charme vénéneux de la pièce est immense. Comédiens et metteur en scène distillent le texte de Marguerite Duras comme un troublant sortilège.

 

 

 

L’Amante anglaise de Marguerite Duras

Théâtre du Lucernaire

01 45 44 57 34

du mardi au samedi à 19 h

dimanche à 15 h

 

[1] - En 1985, à la demande de Serge July, Marguerite Duras se rend à Lépanges-sur-Vologne pour le journal Libération. Le 17 juillet 1985, elle signe dans Libération une tribune, qui pointe la culpabilité criminelle de Christine Villemin. L'article est précédé d'un avertissement, « La transgression de l'écriture », rédigé par Serge July.

À ce jour, le crime n’a toujours pas été élucidé.