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01/05/2011

En perdre son latin

 

 

 

 

Luc, Marc et Mathieu parlent de Jean le baptiste en quelques lignes, pour dire sa parenté avec Jésus, pour raconter comment il baptisa son cousin, comment Hérodias, qui « lui en voulait et désirait le faire mourir » chargea sa « fille d’en demander la tête ». Pour l’obtenir d’ Hérode, le mari de sa mère, « la fille d’Hérodias danse devant lui. Les évangélistes ne retiennent pas son nom. C’est l’historien Flavius Josèphe qui la nomme, « Salomé », mais lui, ne parle pas de danse, seulement de la difficile succession d’Hérode Philippe. Ce sont les Pères et docteurs de l’Église qui la transforment, quelques siècles plus tard en séductrice lascive et cruelle. Les peintres y ajoutèrent l’impudeur, et les poètes du XIXe siècle imaginèrent que l’ensorceleuse n’avait pas agi pour faire plaisir à sa maman, mais par dépit amoureux. Elle aurait fait des avances à Jean et il l’aurait repoussée !

Aujourd’hui, Jean-François Sivadier reprend l’histoire de Salomé (Marie Cariès) folle de désir pour Iokanaan (Rachid Zanouda), qu’il nomme « le baptiseur ». Il lui redonne aussi une assise politique. Iokanaan est le prophète qui s’oppose « au nom de la morale », au mariage d’Hérode Antipas (Stéphen Butel) avec Hérodias (Charlotte Clamens). Il est également un agitateur, guidant les Juifs dans les luttes contre la politique de Tibère, l’empereur qui gouverne depuis Rome et dont Hérode est le représentant. Et, sans doute, pour bien souligner les liens de parenté avec Jésus, l’auteur prête-t-il à Iokanaan les paroles mêmes que le Christ ressuscité dit à Madeleine : «  Dicit ei Jesus : Noli me tangere… » Et Jésus lui dit « Ne me touche pas… »

Certains ne vont pas manquer de crier au blasphème. D’autant que Ponce Pilate (Nicolas Bouchaud) campe un préfet plus proche des Monty Python que de des livres sacrés, comme la troupe de comédiens (Nicolas Bouchaud, Vincent Guédon, Éric Guérin, Christophe Ratandra, Nadia Vonderheyden), imitant celle d’Hamlet ou du Songe, et celle des conjurés parodiant un chœur antique. Le sommet du sacrilège est atteint quand un ange amnésique (Nadia Vonderheyden) confond les dates, les événements, les mythes, et finit par brader ses ailes. On est loin de celui du Soulier de satin et Claudel dans son Paradis a dû en perdre son latin !

Mais il nous plaît bien cet ange des absences auquel Nadia Vonderheyden donne une présence espiègle. Et comme il nous paraît étonnamment actuel ce préfet qui tente de manipuler les rebelles en rappelant les bienfaits de la colonisation romaine. Nicolas Bouchaud, l’œil pétillant, le sourire roublard, mais le geste autoritaire, parle de « maintenir l’ordre », de « barbarie insensée », promet de « châtier les coupables », et « d’installer la paix » dans « l’univers ». Ah ! la Pax romana ! Tacite ne la qualifiait-il pas ainsi : « Ubli solitudinem faciunt, pacem appellant » ? La formule sert toujours ! Et Jean-François Sivadier ne s’en prive pas. Il sait faire résonner la distanciation et embarque les spectateurs dans un monde qu’ils reconnaissent avec ses politiciens véreux, ses femmes vindicatives, ses fanatiques, ses lâches.

C’est à un nouveau mistero buffo façon Dario Fo qu’il nous convie en jetant un regard ironique sur ses personnages. On rit de leurs faiblesses car elles sont encore les nôtres.

L’espace dallé se coupe de rideaux brechtiens, les costumes contemporains côtoient les toges gansées de pourpre, (costumes Catherine Coustère) une valise renferme le trésor du temple et un tuyau figure les plans d’un nouvel aqueduc, mais on comprend tout. L’anachronisme n’est qu’un moyen de transmettre avec humour des idées éternelles.

Il existe, dit Kundera, une maxime juive : « L’homme pense, Dieu rit ». Si les échos du rire des hommes parviennent jusqu’à Lui, Dieu pourrait-Il repenser le monde ?

 

 

Noli me tangere de et mise en scène de Jean-François Sivadier

 Odéon-Berthier

01 44 85 40 40

jusqu’au 22 mai

12/04/2011

Dernière rencontre

 

 

 

Les réunions de famille, ou les retrouvailles entre amis sont souvent prétextes à des règlements de comptes sordides. On ne veut pas lâcher le morceau, on prend des gants, on édulcore, et soudain, un grain de sable ! Un mot mal choisi, un geste incompris, et le masque de la courtoisie tombe. Ce qui commençait bien s’achève en drame. Et on ne remettra « jamais les pieds ici » !

Jean-Luc Lagarce, dans Derniers remords avant l’oubli ciselait des dialogues plein de sous-entendus, de dérapages, de repentirs, comme on dit en dessin.

En choisissant de mettre en scène la pièce non sur la scène du théâtre mais dans le foyer, Serge Lipszyc  abolit l’aspect tragique de la mésentente des couples qui se sont réunis afin de décider s’ils vendaient ou non la maison jusque là en indivis. Ils vont, viennent se séparent, montent à la galerie, passent entre les tables des spectateurs, se servent à boire. Lise (Ophélie Marsaud) photographie, suspendant les querelles, ramenant le calme pour le sourire de rigueur. Ce sera leur dernière rencontre. À ce qu’ils disent ! Mais comment les croire, ils sont si à l'aise parmi nous. Après les fâcheries, les serments définitifs, qui sait s'ils ne vont pas se revoir, et recommencer à se disputer, comme dans la réalité ?

C’est astucieux. Paul (Bruno Cadillon) louvoie, Hélène (Valérie Durrin) se contient, Anne (Juliane Corre) ergote, Pierre (Serge Lipszyc) ratiocine, Antoine (Henri Payet) prend ses distances. Le spectateur témoin, comparse de leurs dissensions est impliqué dans l’aire de jeu, embarqué dans l’histoire.

Le théâtre devient d’une simplicité élémentaire. La vie est là, palpitante…

 

 

 

Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce

Théâtre du Ranelagh 19 h

01 42  88 64 44

Un couronnement

 

Il est bien organisé le petit commerce de Jonathan Peachum (Bruno Raffaelli), qui, secondé par sa femme Celia Peachum (Véronique Vella), métamorphose les chômeurs en infirmes pour aller mendier dans les rues de Londres, quadrillée par secteurs afin qu’ils ne se fassent pas concurrence. La charité, la respectabilité et la religion protègent l’organisation de la famille. Aussi, jugez de la colère des parents quand ils apprennent que leur fille unique, Polly (Léonie Simaga) s’est mariée avec Mackie Messer (Thierry Hancisse), tueur et chef de gang ! Les Peachum le dénoncent à la police !

Oui, mais le chef de la police, que les truands appellent Tiger Brown (Laurent Natrella), est un pote de Mackie. Ils ont fait les Indes ensemble ! Qu’à cela ne tienne ! Il reste, pour le dénoncer, toutes les femelles que Mackie a trompées : Lucy (Marie-Sophie Ferdane) qui se dit enceinte de ses œuvres, ainsi que Jenny-la-Bordelière (Sylvia Bergé) et les filles de son bordel. Solidarité féminine oblige ! Et Mackie sera pendu. Mais c’était sans compter sur l’événement du jour : le couronnement de la Reine qui exerce son droit de grâce…

Quand « les messagers du roi [arrivent] au bon moment », tout finit bien. Mais Peachum prévient le public : en réalité, « la vie finit mal », et « le monde est dur ». La pègre pourra prospérer tant que les gueux se soumettront à ses lois, que les puissants fermeront les yeux sur les trafics d’influence, et « qu’aucune somme d’argent ne saurait inciter [les juges] à rendre une justice équitable. ».

Laurent Pelly, le metteur en scène, qui signe aussi les costumes, nous fait découvrir un Opéra de quat’sous nouveau, avec des chansons qu’on n’avait pas encore entendues, et des voix que nous n’avions pas coutume d’entendre, comme la délicieuse voix de soprano de Léonie Simaga, « fiancée du pirate ». Il nous égare dans des décors qui se transforment à vue (scénographie de Chantal Thomas), et toute la troupe de la Comédie-Française est mobilisée pour que cette « entrée au répertoire » donne le frisson aux spectateurs. Les seconds couteaux sont tenus par des grands, Jérôme Pouly (Matthias), Serge Bagdassarian (Le Pasteur, le chanteur), Stéphane Varupenne (Walter), Nâzim Boudjenah (Smith), Félicien Juttner (Jacob), Pierre Niney (Robert), Jérémy Lopez (Jimmy), les élèves comédiens de la Comédie-Française, et la troupe de Laurent Pelly (Florence Pelly, Angélique Rivoux, Mélody Marie-Calixte). Bruno Fontaine dirige treize musiciens avec maestria, et le lumières de Joël Adam se jouent des combats de l’ombre.

Pour un couronnement, c’en est un ! La soirée est inoubliable !

 

 

  

 

 

 

Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht

Traduction de Jean-Claude Hémery

musique de Kurt Weill

Comédie-Française en alternance

Salle Richelieu

08 25 10 16 80