16/11/2010
Mariage ou enterrement ?
A-t-on idée de mourir la veille du mariage de sa nièce ? Alté Bobitshek (Christiane Millet) exagère ! Elle est « morte au mauvais moment ». Elle aurait dû retenir son âme, ce souffle fétide que l’ange de la Mort, Angel Samuelov (Bruno Vincent) vient cueillir chez les moribonds. Mais, non, aucun respect pour les vivants ! Et son fils, Latshek Bobitshek (Eddy Letexier) qui se précipite pour accomplir les formalités d’enterrement et la visite à sa seule famille, sa cousine Shratzia (Christine Murillo) qui marie sa fille ! L'événement est inscrit "dans sa chair " de toute éternité et au calendrier depuis longtemps ! Pas question de renoncer au mariage ! Alors, que faire ? « Quand on ne veut pas avoir d’ennuis, on n’ouvre pas la porte. », dit Shratzia, et Rashèss (Patrick Zimmermann), le mari, approuve ! La belle mère, Tsitskéva (Christiane Millet) aussi. Ce ne sont pas les fiancés, Vélvétsia (Fany Germond), et Popotshenko (Benjamin Meneghini) qui vont les contredire. Et surtout pas le beau père, Baragontsélé (Pierre Aussedat) que personne n’écoute.
Et non seulement ils n’ouvrent pas à Bobitshek l'esseulé, mais ils fuient ! Sous une pluie d'hiver, à la plage d’abord, où deux joggeurs (Denis Rey et Olivier Jeannelle) s’étonnent : « Vous êtes venus faire du sport ou vous suicider ? ». Poursuivis par Bobitshek, ils iront jusque sur les pentes de l’Himalaya, et retour pour être à l'heure à l’enterrement et au mariage. Entre temps, la course aura tué Baragontsélé, Rashèss, un joggeur, un saddu (Olivier Jeannelle), mais les femmes ont résisté.
Elles résistent à tout, ces garces ! Mesquines, égoïstes, cruelles, manipulatrices, elles ne pensent qu’à leur propre satisfaction, elles n’ont aucune pitié, même pas Pshoshitsia (Marie-Lis Cabrières) pour le pauvre Bobitshek…
Mariage ou enterrement ? On n’échappe pas au « deuil de sa mère », mais comment se soustraire à la volonté de Shratzia et de Tsitskéva ?
En face d’elles, les mâles, se laissent entraîner sans aucune réflexion, sans une once de sentiment. Si le voisin de Bobitshek, le professeur Kipernaï (Jean-Philippe Salério), n’avait pas fait son devoir, personne, n’aurait suivi l’enterrement de la pauvre Alté.
La farce transforme les êtres en marionnettes (réalisation de Jean-Pierre Belin et Nathalie Trouvé), postiches et perruques (Véronique Gély) imposent un corps carnavalesque.
Ils sont tous laids, et plus bêtes que méchants. Nulle pitié en ce monde, nul espoir dans un monde meilleur. Les familles Fenouillard pullulent sur terre, en Israël y compris. Hanokh Levin peint des êtres sans foi, un monde où l’âme n’a plus sa place. Traduite de l’hébreu dans une langue savoureuse, par Laurence Sendrowicz, la pièce Funérailles d’hiver est dirigée à un train d’enfer par Laurent Pelly dans une scénographie de Marie La Rocca.
Plans en coupe de la chambre mortuaire, de la maison de Shratzia, rempart d’une digue, pente d’un toit, ou pic enneigé, les lieux disent l’impossible harmonie, l’équilibre irréalisable.
Et des comédiens aguerris accomplissent une merveilleuse performance en exécutant ce ballet fantastique. L’art de philosopher sur la mort peut aussi passer par le rire. Du grand art !
Funérailles d’hiver de Hanokh Levin
traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz
Editions Théâtrales
Théâtre du Rond-Point
Jusqu’au 11 décembre
01 44 95 98 21
© Brigitte Enguérand
18:32 Écrit par Dadumas dans humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, hanock levin, laurent pelly, théâtre du rond-point | Facebook | | Imprimer
13/11/2010
Sans frein ni loi
Le roi François (Florent Nicoud) est jeune et beau, et autour de lui, les jeunes hommes de sa cour (Sébastien Coulombel, Vincent Dedienne ; Baptiste Relat, Pierre-Benoist Varoclier) comme lui, avec lui, ne pensent qu’à jouir. Par complaisance, ils vont au devant des désirs du roi. Même le poète Clément Marot (Robert Parize) est devenu un plat thuriféraire. Pour eux, une femme « n’est rien ». Ils vendraient leur femme, ou leur sœur, ou même leur mère comme un « champ qui rapporte » des places et des rentes. Et M. de Cossé (Alain Carbonnel) n’a plus qu’à accepter d’être cocu.
« Courtisans, race damnée », dit Triboulet (Denis Lavant), qui les méprise. Leur vengeance sera terrible. Triboulet, le difforme, sanglé dans un corset orthopédique, (costumes de Sabine Siegwalt) n’avait au monde que l’amour de sa fille Blanche (Linda Chaïb), ils la livreront au roi libertin. Triboulet voudra se venger, mais Blanche, par amour, se sacrifiera.
François Rancillac donne à ce drame hugolien des résonances actuelles. Ce roi, qui s’identifie à la France dans le seul but de posséder, qui clame « tout est à moi », « tout est pour moi », et entend gouverner « sans frein ni loi », ne vous rappelle-t-il pas quelque puissant ? Ces courtisans flagorneurs, « grandes maisons, cœurs bas », prêts à toutes les compromissions pour s’enrichir, n’ont-ils pas traversé les siècles pour s’emparer de la brebis du pauvre ? Et Saltabatil (Baptiste Relat) ce sicaire qui profite des ripoux de l’époque : « nous redevons un droit à la police », n’est-il pas plus vrai que n’importe quel indic contemporain ?
Tous des lâches ! Triboulet qui joue les justiciers, lui aussi « fait semblant » d’aimer le roi. Et les femmes ? Madame de Cossé et Dame Bérarde (interprétées par la même comédienne Agnès Caudan), Madame de Coislin (Charlotte Ligneau) n’ont aucun scrupule moral. Et Maguelonne ne diffère d’elles que par un peu de compassion. Non, il n’y a que Blanche, la pure enfant de seize ans pour aimer naïvement. Et M. de Saint-Vallier (Yann de Graval) pour rester un père noble et vitupérer « la luxure royale en clémence habillée ».
On comprend que la pièce, Le Roi s’amuse, ait été interdite jusqu’à la troisième république !
Un seul décor transformable figure ici les différents lieux du drame. Un haut et large paravent constellé de miroirs ferme l’espace qu’il restreint ou élargit à vue. Des boules de cristal projettent des éclats de lumière sur un sol marqueté. Des costumes atemporels rayés noir et blanc comme des livrées aux couleurs royales arborent des éléments Renaissance rouge vif. Une musique "rock métal", souligne les rapports exacerbés des personnages. François Rancillac et son scénographe Raymond Sarti sont entrés dans l’univers hugolien sans archéologie, avec une intelligence rare.
Mais évidemment celui qui magnifie le rôle de Triboulet, c’est Denis Lavant, voix rugueuse, corps tourmenté, âme crucifiée : un génie ! Jamais encore Le roi s’amuse n’avait été aussi intelligemment représenté.
Photos : Andy Parant
Le Roi s’amuse de Victor Hugo
Théâtre de l’Aquarium
01 43 74 99 61
Jusqu’au 12 décembre
18:15 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, hugo, rancillac | Facebook | | Imprimer
01/10/2010
Jeunesse
C’est l’année Musset. Avec ses élèves du cours Florent, Jean-Pierre Garnier a réalisé un magnifique travail choral en mettant en scène La Coupe et les Lèvres poème agrémenté de références à la Confession d’un enfant du siècle.
Onze jeunes comédiens : Valentin Boraud, Camille Cobbi, Matthieu Dessertine, Sylvain Dieuaide, Pauline Dubreuil, Thomas Durand, Marianne Fabbro, Lazare Herson-Macarel, Marie Nicolle, Antoine Philippot, Jean-Charles Schwartzmann. Issus du cours Florent, de l’Erac, du TNS, des Conservatoires municipaux, ces jeunes gens très doués, figurent les chasseurs, les soldats, les paysans, les chevaliers, les moines, créant une polyphonie très antique pour un chœur romantique. Quatre éléments féminins incarnent la fiancée, la courtisane, la sœur, et peut-être la mère. Face à ces types sociaux, un rebelle : Frank, qui « brûle la maison de son père », et cherche sa voie, entre anarchisme, et discipline.
« L’artiste est un soldat », dit Musset, mais son Frank serait plutôt un « soldat de fortune » ingouvernable qu'un militaire responsable. « Homme de bronze », refusant son « patrimoine », il est « sentimental la nuit et persifleur le jour ».
Le travail du mouvement conduit par Maxime Franzetti, donne au groupe une cohésion merveilleusement orchestrée. Les silhouettes juvéniles séduisent. Androgynes, toutes vêtues de sombre au début, elles prennent des poses, se dénudent, se sexualisent. Les filles en robes légères colorées dansent leurs désirs. Jean-Charles Schwartzmann, les accompagne de ses compositions musicales à la guitare, au clairon, à l’accordéon, au piano. C’est prodigieux de beauté.
Mais pourquoi faut-il que le rôle de Frank, passe de bouche en bouche, de corps en corps ? C’est admirable comme travail de groupe. Mais c’est aller contre l’essence même du héros romantique : un individu solitaire face à une société qu’il rejette. Pour qu’on saisisse mieux le travail de la troupe, ne serait-il pas plus logique que le personnage du « coureur d’aventures », « Prométhée » voué à l’échec soit incarné par un seul comédien face à tous les autres ? Par eux, le malheur advient à cet « étranger vêtu de noir », qui croyait boire à la coupe du bonheur.
Cependant, ne boudons pas le plaisir de découvrir des comédiens prometteurs ! Et celui de retrouver avec eux ce Musset passionné qui joue les blasés, sensible qui joue les cyniques : toute la jeunesse, quoi !
La Coupe et les Lèvres d’Alfred de Musset
Théâtre de la Tempête
01 43 28 36 36
22:46 Écrit par Dadumas dans Littérature, Musique, Poésie, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, musset, tempête | Facebook | | Imprimer