19/05/2011
Des êtres imparfaits
Vous connaissez l’histoire. Camille (Suliane Brahim) et Perdican (Loïc Corbery) sont destinés l’un à l’autre depuis leur plus tendre enfance. Il a fini ses études. Elle sort du couvent. Le Baron (Roland Bertin) va les marier. Tout est prêt, même les dispenses (Ils sont cousins). Mais Camille parle d’entrer en religion et feint lune orgueilleuse froideur. Perdican, par dépit, joue les petits coqs, et Rosette (Suliane Brahim), l’oie blanche, est sacrifiée. La comédie marivaudienne se termine en tragédie.
Alfred de Musset bouscule les mœurs, l’éducation, la société. Son texte est sublime et nos jeunes générations s’en délectent toujours. Les humains sont restés des « êtres si imparfaits et si affreux ! »
Pour montrer son atemporalité, le metteur en scène, Yves Beaunesne fait jouer les comédiens du Français en tenue « sixties » (costumes de Jean-Daniel Vuillermoz). Rosette, jupe ceinturée passe l’aspirateur en gants de latex rose, en écoutant son transistor. Perdican porte un duffle-coat, Camille arbore le bleu marine des pensionnaires. Maître Bridaine (Pierre Vial) n’a pas encore perdu sa soutane. Et un rideau brechtien sépare l’espace.
Il a supprimé le Chœur, et répartit astucieusement les répliques entre les protagonistes. Il situe l’action dans un espace clos, une salle de billard, dont la table s’enfoncera dans le plancher pour devenir « place », « jardin » « champ » et « fontaine ». Notre attachement à la Nature si chère aux romantiques en souffre un peu, mais ne chipotons pas sur le décor. Car l’interprétation brillante des comédiens rallie tous les cœurs.
Loïc Corbery fait de son Perdican un jeune homme susceptible, mélancolique, fragile. Julie-Marie Parmentier, joue une Camille touchante dans sa volonté de répéter les leçons du couvent. Suliane Brahim en adolescente futile et indiscrète qui se cherche une place au soleil, meurt comme une tragédienne. Quant aux « vieux », empêcheurs de s’aimer en rond, Pierre Vial, Christian Blanc, Roland Bertin, et Danièle Lebrun duègne offensée, ils sont parfaits.
Au tableau final, ces bouffons devenus juges, veillent le corps de Rosette tandis qu’au premier plan, Camille dit adieu à Perdican effondré.
La scène est inoubliable…
Photo : Brigitte Enguerand
On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset
Théâtre du Vieux-Colombier
Jusqu’au 26 juin
01 44 39 87 00/01
17:45 Écrit par Dadumas dans éducation, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, comédie-française, musset, beaunesne, loïc corbery | Facebook | | Imprimer
18/05/2011
Une mort très douce
Noëlle Châtelet avait su trouver les mots pudiques, douloureux, affectueux pour dire la mort. Une mort très douce. Celle de sa mère, qui, à quatre-vingt douze ans avait choisi de partir avec dignité avant le grand naufrage du corps et de l’esprit. C’était un récit bouleversant.
Gérald Chatelain en l’adaptant au théâtre, a su recréer l’émotion de la lecture sans aller jusqu’au pathos. Il met en scène le dialogue mère-fille avec une comédienne magnifique, Catherine Rétoré. Elle est seule sur un plateau dans lequel s’ouvrent des trappes. Et de ces bouches d’ombre montent des marionnettes, marottes à tringles manipulées par deux servants, Sylvain Blanchard et Natacha Stoyanova. Il y aura aussi des silhouettes découpées, et en fond de scène des images animées de Jean-Pierre Lescot. Et la voix de Sabine Haudepin, chaude, aux inflexions généreuses, au timbre sensible. Pas une voix de vieillarde, ni de mourante. Mais la voix d’une femme sans faiblesse qui ne transige ni avec son amour, ni avec ses principes.
La marionnette distancie, elle évacue le tragique. Une marionnette impériale, vêtue d’un manteau de brocart rouge à traîne alterne avec celle, plus prosaïque d’une grand-mère à cheveux blancs et tablier bleu, image traditionnelle des livres pour enfants. La mère de Noëlle Châtelet portait un survêtement bleu, mais si l’auteur ne s’y retrouve pas, nos mémoires archaïques la reconnaissent. Lorsque la narratrice prend une flûte traversière pour accompagner la mort de sa mère, c’est le paradis qui s’ouvre.
La dernière leçon est bien sûr un « dialogue d’amour » entre la mère et la fille, commencé dès la naissance et que la fille continue par-delà la mort. La leçon est celle de « l’apprendre à mourir » des grands philosophes, Socrate, Platon, Sénèque, Montaigne.
Une très belle réalisation.
Photo: Lot
La Dernière Leçon d'après le récit de Noëlle Châtelet
adaptation de Gérald Chatelain
Théâtre des Artistic Athévains
Jusqu’au 31 mai
01 43 56 38 32
Attention aux horaires :
Mardi à 20 h
Me et Je à 19 h
Ve et sa à 20 h 30
Sa et Di à 16 h
18:52 Écrit par Dadumas dans éducation, Littérature, Musique, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, artistic athévains, gérald chatelain, noëlle châtelet | Facebook | | Imprimer
02/05/2011
Cauchemar d'une nuit d'été
Par une nuit chaude d’août, M. (Denis Lavant), se retrouve sur un quai obscur, dans une rue qu’il ne connaît pas. Il a oublié ce qu’il y faisait, et jusqu’à son nom. Marius von Mayenburg décrit son cauchemar.
Les êtres qu’il rencontre sont affamés et dangereux. Ils se ressemblent tous. Et M. n’a d’autre solution que de les poignarder les uns après les autres. Mais telles les têtes de l’hydre, ils reparaissent et l’agressent. Figures masculines (Frédéric Cherboeuf), figures féminines (Gretel Delattre), policier, patient, docteur, nymphomane, avocat, infirmière, bourreau ou victime, la même violence les habite.
Jacques Osinski voit Le Chien, la nuit et le couteau comme une suite du Moche. Et en effet on y retrouve les mêmes obsessions. Le décor s’ouvre sur une rue sombre, et en fond de la scène apparaissent une alcôve, une cellule de prison, un hall d’hôpital, espaces clos et menaçants alors que M. est en quête d’apaisement et de sécurité. Pour inquiéter encore, un rideau de tulle noir voile l’espace entre le spectateur et les protagonistes. Au loin rôdent les loups, que les chiens ont rejoints. Et les humains deviennent des loups entre eux.
Effrayant cheminement pour ce M. solitaire, devenu meurtrier comme dans M. le maudit, accusé comme dans Kafka, traqué comme dans Woyzeck !
Au bout de la nuit cependant, quand le jour se lève, les ombres terribles s’effacent. L’amour naît. Est-ce ainsi que les grands enfants que sont les hommes explorent leurs peurs archaïques ?
photo : Pierre Grosbois
Le Chien, la Nuit et le Couteau de Marius von Mayenburg.
Théâtre du Rond-Point à 21 h
Jusqu’au 22 mai
01 44 95 98 21
16:03 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre du rond-point, denis lavant, von mayenburg | Facebook | | Imprimer