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28/11/2010

Marions-les !

 

 

Mariage.jpgAujourd’hui comme hier, le mariage, est la grande affaire de la vie. En Russie comme partout, marier une jeune fille comme Agafia Agafonovna, fille de commerçant, (Julie Sicard) demande une grande connaissance de la société dans laquelle elle évolue. Jadis, les familles faisaient appel à une marieuse, dans L’Avare de Molière, Frosine se chargeait de cette recherche, dans Le Mariage de Gogol deux siècles plus tard, Fiokla Ivanovna, (Clotilde de Bayser) remplit le même office.

 Un à un les prétendants paraissent. Grotesques, vaniteux, imbus de leur situation sociale, leurs patronymes annoncent la farce (traduction d’André Markowicz) : Mamimine (Jean-Baptiste Malartre), officier d’infanterie à la retraite et snobinard de province, Omelette, (Nicolas Lormeau) huissier impatient, Chikine (Alain Lenglet) ancien marin portant beau, Kusmich Kapilotadov (Nâzim Boudjenah) conseiller surnuméraire indécis, Pépev (Yves Gasc), trop vieux pour être honnête. Ils sont consternants de laideur et de stupidité. Et cupides pour achever le tableau ! Dans la mise en scène de Lilo Baur, le décor de James Humphrey impose une séparation entre les classes et les sexes. Un mur à placards clôt la chambre étroite de Kapilotadov, à l’esprit borné. Le décor tourne, ouvrant sur le salon d’Agafia, les prétendants s'attroupent de l’autre côté de la porte, s’épient entre eux, guettent la fiancée par le trou de la serrure.

De l’autre côté, les femmes, la tante Arina Panteleïmonovna (Catherine Sauval) Douniachka (Géraldine Rodriguez) la bonne, conseillent la fiancée, et la marieuse, qui a lu La Fontaine préconise : « Si la tanche te rebute, prends du goujon ! »*

Marions-la ! Marions-les ! Fiokla se démène ! Mais Agafia est timide. Et Kusmich bien timoré.

 Alors intervient Plikaplov, (Laurent Natrella) dans le but de décider son ami Kapilotadov à convoler ! Il prétend « mener à bien cette affaire », il ne fera que « déshonorer une jeune fille ».

La société que peint Gogol est monstrueuse. Le mariage n’y est qu’un contrat d’intérêts. Les féministes du XIXe siècle y voyaient une « prostitution légale », et le tableau qu’en fait Gogol, apporte de l’eau à leur moulin. Il n’y est jamais question d’amour, mais de dot, de convenances, de revenus, d’avantages.

Les comédiens français y ajoutent un aspect clownesque. Enlaidis comme Clotilde Bayser, Nicolas Lormeau, ahuris comme Alain Lenglet, Nâzim Boudjenah, ils manient le burlesque jusqu’à la caricature. Ils sont fantastiques !

On choisit d’en rire, soulagés que cette société soit définitivement abolie.

Plus besoin de marieuse, aujourd’hui, nous avons les sites de rencontres sur Internet ! Et Big Brother saura faire le tri…

 

   photo :  Cosimo Mirco Magliocca.

* « La tanche rebutée, il trouva du goujon » (Le Héron),  

fable jumelle de La Fille. 

  « Certaine fille, un peu trop fière

  Prétendait trouver un mari 

  Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière

Point froid et point jaloux ; notez ces deux points-ci.

Cette fille voulait aussi 

Qu'il eût du bien, de la naissance

De l'esprit, enfin tout ; mais qui peut tout avoir ? »

 

 

 

 

Le Mariage de Gogol

Théâtre du Vieux-Colombier

Jusqu’au 2 janvier

01 44 39 87 00/01

22/11/2010

Trompettes d'alarme

 

On nous l’avait bien dit : « la lutte des classes est terminée ! ». Mais on s’était bien gardé de nous dire que c’était au profit des grands patrons. « Le seul véritable pouvoir est le pouvoir économico-financier, les holdings, les banques, les marchés… en un mot, le Capital. » écrivait Karl Marx. Vous ne l'aviez pas lu  ?  Eux, les capitalistes, si. Depuis trente ans, Dario Fo ne cesse de nous prévenir que nous nous faisons rouler. Mort accidentelle d’un anarchiste, Faut pas payer ! nous montrait l’Italie des années de plomb, quand la chasse aux terroristes servait de prétexte à la dislocation des syndicats, aux poursuites des militants, quand le chômage rongeait la classe ouvrière, et que la solidarité était menacée. Dans Klaxon, trompettes… et pétarades, que Marie-France Sidet vient de traduire avec brio, Dario Fo invente une fable inspirée par l’enlèvement d’Aldo Moro. Et les trompettes qu'il embouche devraient nous alarmer.

Un homme grièvement brûlé, le visage défiguré, vient d’être amené aux urgences, dans la veste qui l’enveloppe on trouve des papiers au nom d’Antonio (Gilles Ostrowsky), un ouvrier de chez Fiat. Il est inconscient, méconnaissable, on prévient sa femme, Rosa (Céline Dupuis). Le chirurgien (une chirurgienne, Anne Dupuis) va le « réparer », d’après les photos que l’épouse communique. La convalescence est longue, et difficile. D’autant plus longue que le véritable Antonio, n’est pas « le malheureux esquinté ». Il est seulement l’homme courageux qui a sauvé son prochain en danger. Or, le « prochain », c’est Gianni Agnelli, le grand patron de Fiat, queles Brigades rouges enlevaient. Antonio a enveloppé l’accidenté da sa veste pour le protéger des flammes. Il n’a commencé à « avoir des doutes » que quand les passagers des voitures abîmées lui ont tiré dessus. Et maintenant son amie, Lucia (Milena Esturgie) lui confirme, « il est dans le pétrin ». Les quiproquos se multiplient : un commissaire (Gérald Cesbron) fouineur mais borné s’acharne à retrouver Agnelli, avec une juge (Milena Esturgie) maladroite. De soupçons en absence de preuves, la farce monte, les situations dérapent. Marc Prin, le metteur en scène  travaille « à vue », les quatre portes du décor ne ferment pas l’espace. Et les cinq comédiens, peuvent interpréter les onze rôles de la distribution sans laisser au public le temps de souffler une seconde. Masques, perruques et maquillages (Marie Messien), accessoires (Patrick Laganne) permettent des changements rapides et les comédiens caracolent. Gilles Ostrowsky est à la fois Antonio et Agnelli, puisque Agnelli est devenu son sosie… Incidemment, il fait aussi l’infirmier.  Ah ! quel souffle ! Que de talents conjugués pour nous donner le bonheur d’un spectacle tonique !

Agnelli devrait être reconnaissant à celui qui lui a sauvé la vie. Pas du tout ! puisqu’on lui a fait « une tête d’ouvrier », à lui « grand capitaine d’industrie ». Le commissaire déraille. L’État et la démocratie chrétienne sont les grands accusés.

Les esprits chagrins ne manqueront pas de dire que la farce, pour joyeuse qu’elle soit, ne propose pas de solution. Et rire, alors ? N’est-ce pas le premier pas vers la résistance ? Pour reconstruire un monde plus juste, « il nous appartient de veiller ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers. », dit Stéphane Hessel*.

Pour Dario Fo aussi la vigilance est nécessaire, et la fraternité. S’il n’y a plus de communisme, il reste les camarades.

 

 

 

Hessel Stéphane, Indignez-vous ! Éditions Indigène.

 

Klaxon, trompettes… et pétarades, de Dario Fo.

Théâtre de Nanterre- Amandiers

Réservation : 01 46 14 70 00
Dates : du 18 novembre 2010 au 18 décembre 2010 du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 15h30 (relâche lundi).

 

Texte publié aux éditions de l’Avant-Scène théâtre.

18/11/2010

Solidarité féminine

 

Visuel_UN CAPRICE.jpg

 Dans la série « la France méconnaît le talent de ses enfants », Musset tient une place de choix. Sa pièce Un caprice écrite et publiée (dans la Revue des deux Mondes) en 1837, dut passer par le biais d’une production russe et par le hasard d’une tournée à Saint-Pétersbourg, pour qu’une actrice de la Comédie-Française, Mlle Allan, la rapatrie et la fasse entrer au répertoire ! Nombre de ses pièces n’eurent pas ce bonheur-là, puisque son chef d’œuvre, Lorenzaccio, ne fut créé qu’en 1906, en version allégée, et en version intégrale en 1952.

 Le bicentenaire Musset, cette année, ne jouit pas d’une grande publicité, et hors, la région Centre, peu de manifestations honorent le poète. Heureusement, Sylvain Ledda, grand spécialiste d’Alfred de Musset, a choisi, pour le célébrer, de mettre en sène ce Caprice qui permit de découvrir, son génie dramatique, en 1847. Une jeune compagnie s’est investie dans le projet et donne à cette jolie comédie, un charme délicat.

Mathilde (Séverine Cojannot) a fabriqué, de ses mains, une bourse pour son mari, M. de Chauvigny (Gilles-Vincent Kapps en alternance avec Sacha Petronijevic). Mais celui-ci en a reçu une de Mme de Blainville, et la pauvre Mathilde n’ose plus la lui offrir. En ce temps-là, les ouvrages de dames étaient gages d’amour et de fidélité. Et sans l’intervention de Mme de Léry (Florence Cabaret), le ménage risquait de se perdre.

 L’intrigue est mince, mais l’étude des mœurs est profonde. Elle dit la désillusion, l’usure fatale du couple après « un an de mariage », la « sévérité du monde » envers les femmes, la jalousie, l’amour-propre, des sentiments éternels. Mme de Léry est coquette, sans doute autant que Célimène, mais elle donne une souriante leçon de morale au mari « tyran », prêt à céder aux tentations. Femme légère Mme de Cléry ? Femme d’expérience plutôt ! Et qui met en pratique la solidarité féminine.

Un caprice paraît badiner, mais n’est-il pas aussi cruel que Marivaux ?

 La scénographie (Marguerite Danguy des Déserts) et les costumes (Catherine Lainard), décalent la situation dans le temps. La sculpture de Camille Alaphilippe, La Femme au singe (1908) semble avoir inspiré la robe fluide, gris perle, de Mathilde, et la coiffure de Mme de Léry, dont les vêtements évoquent le couturier Poiret. Les interprètes donnent au texte tout son piquant, et Clément Goyard (le domestique) joue les utilités avec sobriété. Les valses de Chopin illustrent, en contrepoint, les atermoiements des personnages.

Un caprice est la pièce idéale pour commencer à étudier Musset, et pour enseigner que le drame romantique n’est pas le seul genre de l’époque. Nous le conseillons à tous les professeurs de lettres, pour leurs élèves.

Une soirée à Essaïon, ne saurait être « une soirée perdue », au contraire !

 

 

Un caprice d’ Alfred de Musset

Théâtre Essaïon

Les lundi, mardi, mercredi à 20 h

Dimanche à 18 h

Jusqu'au 12 janvier

01 42 78 46 42