31/01/2011
La bataille de l'École des femmes
Entre le goût du public et celui des critiques, il y a souvent un hiatus, et quelquefois un fossé !
Et ce n’est pas nouveau… Déjà, le succès de L’École des femmes suscita contre Molière des critiques haineuses et injustes.
L’auteur y répondit en écrivant La Critique de L’École des femmes, un acte qui mettait en scène, Climène (Elsa Lepoivre) une Précieuse scandalisée, un Marquis (Serge Bagdassarian) indigné, un auteur venimeux, Lysidas (Christian Hecq), aux prises avec les défenseurs de la pièce, Uranie (Clotilde de Bayser), Dorante (Loïc Corbery), et Élise (Georgia Scalliet) qui feint délicieusement l’indécise. Mais c’est pour mieux piéger les imbéciles, mon enfant ! Et aussi attirer les regards et le cœur de Dorante, après la bataille...
Le jeu dure une heure, et il est rondement mené par Clément Hervieu-Léger, mettant en scène des comédiens rompus aux facéties de l'impromptu, dans un décor de coulisses, sans doute du Théâtre Italien si on en juge par la découverte du fond, qui laisse entrevoir les peintures des personnages de la Commedia.
Molière n’ayant plus rien à craindre la cabale, le metteur en scène cite d’autres auteurs qui s’amusèrent à se gausser du « suivisme » des snobs, car ces sortes de gens ne jugent jamais par eux-mêmes, mais par ce qu'On leur a dit. Surtout quand ce On jouit de quelque notoriété. Les sorties de théâtre sont quelquefois très réjouissantes. Et c’est un réel plaisir de confondre ces gens-là !
La Critique de L’École des femmes de Molière
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Du mercredi au samedi à 18 h 30
Jusqu’au 6 mars
01 44 58 98 58
14:49 Écrit par Dadumas dans humour, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : molière, comédie-française, théâtre, snobisme | Facebook | | Imprimer
10/12/2010
Noirs plaisirs
Le docteur Faust a-t-il réellement existé ? On le dit. Il aurait, à Cracovie ou à Erfurt arrêté le « fléau de Dieu », c’est-à-dire la peste noire. Il s’était alors cru l’égal du Créateur, et, assoiffé de Pouvoir, se serait adonné à la magie pour assouvir de noirs plaisirs. Christopher Marlowe qui ne croyait guère en Dieu s’empara de cette légende allemande pour écrire, à la fin du XVIe siècle, La Tragique histoire du Docteur Faust, le fameux magicien et maître de l’art ténébreux; comme il se vendit au diable pour un temps marqué, quelles furent, pendant ce temps-là, les étranges aventures dont il fut témoin ou qu’il réalisa et pratiqua lui-même, jusqu’à ce qu’enfin il reçut sa récompense bien méritée. Au XXIe siècle, ce personnage reste fascinant et un jeune metteur en scène Victor Gauthier-Martin lui donne un visage étonnant.
Le Dr Faustus (Philippe Demarle) promène une silhouette de rocker (Costumes : Marie La Rocca).
La magie d’aujourd’hui ? La technologie qui inonde notre univers.
Images et sons déferlent, s’incrustent, se déforment, les lumières (Pierre Leblanc) dansent. Juché sur un podium de concert rock, (scénographie : Jean-Baptiste Bellon) manipulant caméras et micros, scalpels et moniteurs, Faust, cynique, glisse vers d’inquiétantes dérives scientifiques.
Les pentagrammes surgissent sur des écrans, les visages se transforment en masques hideux (Vidéo : Julien Delmotte). Au fond, sur le plateau, Gaëtan Besnard dirige la régie vidéo, et Dayan Korolic joue sa musique en direct, à la guitare électrique. Ce sont leurs voix qu’on entendra dans le dialogue entre le bon et le mauvais ange.
Wagner (Thibaud Saâdi) l’assistant, s’enfuit. Alors surgissent les démons que Faust a appelés : Méphistophélès est double, Lilith ou succube (Clémence Barbier) et son alter ego masculin (Frank Semelet). Lucifer (Alban Aumard) est unique, il conduit le concert des péchés. Anne-Schlomit Deonna (L’Avarice, la Gourmandise), Pascale Oudot (La Colère, la Luxure), Thibaud Saâdi (l'Envie, la Paresse).
Les mêmes comédiens interpréteront encore le pape et sa curie, avec passion. Ici, rien n’est sacré, et surtout pas l’Église. Pape et empereur, goupillon et sabre, Marlowe ne respecte rien. Il exhibe leurs bassesses, et Faustus ricane des bons tours qu’il leur joue. N’attendez ici nulle rédemption. Faustus a choisi. Il préfère brûler sa vie terrestre, car il se moque de l’éternité.
Le spectacle est total, impressionnant, fantastique. Il fera date.
Il a été créé au Théâtre de Carouge-Atelier de Genève. Dans un mouvement perpétuel, parfaitement orchestré, l’équipe mène le spectateur au-delà des clichés convenus que l’opéra et le cinéma (de Murnau) ont fixés dans les mémoires. C’est un Faust étrange mais terriblement contemporain que nous propose Victor Gauthier-Martin ! Ce bouleversement des habitudes fera-t-il réfléchir au sens du mythe ?
Docteur Faustus de Christopher Marlowe, traduction de Jean-Louis Backès
Théâtre de la Ville (Abbesses)
Jusqu’au 18 décembre
01 42 74 22 77
19:21 Écrit par Dadumas dans Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : théâtre, marlowe, gauthier-martin, théâtre de la ville | Facebook | | Imprimer
06/12/2010
Éloge du sublime
Qui peut aujourd’hui comprendre qu’une femme brûlant d’amour pour un homme qui l’aime en retour, se refuse à lui, par fidélité à un mari qu’elle estime, mais n’aime pas ? Peu de gens… En effet, le sublime est passé de mode et les mœurs se complaisent dans l’assouvissement. Les humains, faute de sentiments cèdent à leurs pulsions. Aussi était-il hasardeux de proposer une adaptation de La Princesse de Clèves pour la scène. Laurence Février a tenu le pari. Vêtue d’une robe de cour rouge, elle va nous dire les moments les plus beaux de ce premier roman de notre littérature, sous le titre évocateur de La Passion corsetée. Car il s’agit de bien se tenir. Mme de Clèves ne donne pas son soulier de satin à la Vierge, afin de ne pas boiter vers la tentation. Elle marche droit. C’est en elle-même qu’elle puise le courage de ne pas trahir, rester maîtresse de soi.
La scène est vide d’accessoires ou de mobilier. Pour tout décor, des panneaux étroits de tissus lamés tombent des cintres. Elle circule entre ces « colonnes » en racontant rencontres et coup de foudre, hésitations, jalousies, désespoir, accord des cœurs et des âmes. Sa voix aux finales chantantes fait vibrer d’émotion l’auditoire. Belle leçon de morale qu’un public jeune écoute religieusement.
Je me suis souvenue de cette classe de seconde, alors que professeur stagiaire, j’avais choisi d’expliquer la scène de l’aveu. Mon mentor avait eu un sourire narquois : « vous croyez que ça va les intéresser ? Moi, je ne m’y risque pas… ». Et j’ai commencé : « Monsieur je vais vous faire un aveu que l’on n’a jamais fait à un mari… ». Le silence a gagné. On n’entendait plus chuchoter, pas un siège ne raclait le sol, aucun stylo n’est tombé, aucune question ironique n’a été posée, mais ils répondaient aux miennes avec un intérêt soutenu. Pas un ricanement n’a interrompu les explications, et à la fin du cours, ils m’ont demandé comment se procurer le livre « en entier ».
Si vous allez voir Laurence Février, vous aussi, vous aurez envie de lire La Princesse de Clèves.
La Passion corsetée d’après La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette
Théâtre du Lucernaire
du mardi au samedi à 20 h
01 45 44 57 34
19:10 Écrit par Dadumas dans culture, Littérature, Théâtre | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : princesse de clèves, théâtre | Facebook | | Imprimer